« L’anthropocène, une révolution géologique d’origine humaine »

INTERVIEW Laure Noualaht Libération 25/10/2013

Selon les chercheurs, la Terre serait entrée dans une nouvelle ère avec la modernité industrielle. L’historien Christophe Bonneuil décrit un concept qui met à mal un modèle de développement devenu insoutenable. Ce n’est pas la fin du monde mais celle d’une ère assurément. Si les 11 500 dernières années ont connu des conditions de vie relativement stables permettant à l’homme de sauter de la terre labourée du néolithique au sol lunaire, désormais nous filons vers l’inconnu. La planète est entrée dans une nouvelle ère géologique baptisée anthropocène, née il y a deux siècles avec la révolution thermo-industrielle. Autour de ce concept, la communauté scientifique dans son ensemble s’interroge sur nos représentations du monde. Car cette époque interpelle les certitudes de notre modernité, de notre mode de développement et de notre vision du monde. Historien au CNRS, Christophe Bonneuil publie, avec Jean-Baptiste Fressoz, l’Evénement anthropocène, dans la dernière collection des éditions du Seuil, baptisée Anthropocène, où sciences, sociologie, philosophie, anthropologie, histoire, activisme et politique entrent en dialogue pour décrypter cette nouvelle ère et les façons d’habiter dignement la Terre. Le sujet fera l’objet d’un colloque, Thinking The Anthropocène, les 14 et 15 novembre, à Paris.

Comment naît le concept d’anthropocène et que recouvre-t-il ?

C’est le géochimiste et prix Nobel Paul Crutzen qui, dans un article dans la revue Nature en 2002, a avancé la thèse que, depuis deux siècles, la Terre est entrée dans un nouvel âge géologique marqué par la capacité de l’homme à transformer l’ensemble du système Terre. Encore tout récemment, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat [Giec] annonçait sa certitude désormais quasi absolue - à 95% - sur l’origine humaine des changements climatiques.

Quand est-on entré dans cette ère ?

Il existe trois thèses à ce sujet. La première remonte à la période où l’ensemble des cultures humaines auraient stabilisé le système climatique en empêchant le retour à un nouvel âge glaciaire. En gros, cela démarrerait au néolithique, avec les débuts de l’agriculture et de l’élevage. Une autre thèse met l’accent sur la « grande accélération » d’après 1945, lorsque l’ensemble des indicateurs de l’empreinte humaine sur la Terre - démographie, émissions de CO2, consommation d’énergie, extinction de la biodiversité, recul des forêts, cycles de l’azote et du phosphore, etc. - montent à l’exponentiel. Cela dit, l’empreinte humaine s’est intensifiée dès le XIXe siècle.

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