Retour sur les origines de la démocratie, Athènes Pierre Khalfa – Septembre 2007

Pierre Khalfa est syndicaliste, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental au titre de Solidaires, co-président de la Fondation Copernic et membre du Conseil scientifique d’Attac

Le texte qui suit est issu d’un exposé fait à l’université d’été d’Attac dans le cadre de la filière « Généraliser l’intervention citoyenne ».

Pourquoi un retour sur les origines de la démocratie est nécessaire aujourd’hui ? En quoi cela peut être utile pour nos combats, au-delà d’un légitime intérêt intellectuel ? La réponse à cette question renvoie à la crise de la démocratie représentative qui touche à sa nature même. L’étude de la Grèce et en particulier d’Athènes montre qu’une autre conception de la démocratie a été à l’œuvre dans l’histoire, avec certes des limites, mais aussi avec des préoccupations qui rentrent en résonance avec un certain nombre de questions que nous nous posons aujourd’hui.
Ce texte ne se veut pas une histoire d’Athènes, ni même des conflits qui ont abouti à la naissance d’une cité, la polis, se définissant comme démocratique, et encore moins une histoire de la Grèce. Les éléments historiques qui seront abordés ne le seront que dans la perspective qui nous intéresse, c’est-à-dire en quoi la conception de la démocratie athénienne et son fonctionnement peuvent nous éclairer sur les graves difficultés que rencontre la démocratie représentative.
La période historique qui sera évoquée est celle qui va du 8ème au 5ème siècle av. J-C, période qui voit la création de la polis et son évolution vers un régime plus ou moins démocratique. C’est la période où Athènes1 devient progressivement une grande puissance, non seulement à l’échelle de la Grèce mais dans tout le monde antique. Les problèmes que la cité a dû donc résoudre étaient complexes et le système démocratique a été confronté à une situation inédite et à des questions nouvelles pour lesquelles il n’existait pas de réponses a priori.
Cette période historique correspond à une rupture fondamentale dans l’histoire connue de l’humanité. C’est la première fois que des êtres humains affirment que les lois qui les gouvernent sont issues d’eux-mêmes, et non pas d’une source extérieure à eux-mêmes (Dieu, les dieux, les ancêtres, la tradition, etc), et qu’ils peuvent donc les changer.

Deux questions préalables

Toute discussion sur la démocratie athénienne se doit d’abord d’évoquer les limites les plus évidentes de cette démocratie, à savoir le statut social inférieur pour les femmes et le problème de l’esclavage. On verra plus loin en quoi ces deux questions renvoient à un problème plus vaste, celui du rapport à l’universel.

La place des femmes

La Grèce, comme d’ailleurs l’ensemble du monde connu à cette époque, est une société patriarcale, c’est-à-dire non seulement dominée par les hommes, mais dans laquelle les femmes ont un statut juridique inférieur aux hommes. Pourtant, les poètes de l’époque donnent une place importante aux femmes. Pour ne parler que des tragédies, dont le rôle politique est essentiel à l’époque qui nous intéresse (voir plus loin), les femmes y occupent des rôles parmi les plus importants. La plus connue est Antigone dans pièce de Sophocle du même nom, mais on peut multiplier les exemples. De plus, les femmes occupent une grande place dans la vie religieuse de la cité et assument des charges sacerdotales considérables avec un statut égal à celui des prêtres2. Enfin, à des moments exceptionnels, les femmes pouvaient participer aux combats, notamment lorsque la cité était menacée. Ainsi lors de la guerre civile à Corcyre en 427, qui vit le peuple, le démos3, s’affronter violemment avec l’aristocratie, l’historien Thucydide note que les femmes combattirent du côté du démos.
Mais aucune conclusion idéologique, et encore moins politique, n’est tirée de tout cela et le statut subordonné des femmes n’est jamais mis en question. Cette situation n’est guère étonnante. L’émancipation des femmes est le résultat d’un processus complexe qui mêle, entre autres, alphabétisation, modification des structures familiales et existence de mouvements de femmes qui arrivent à poser explicitement cette question, tous éléments absents à Athènes. On se souvient que plus de deux mille ans plus tard la question de l’égalité juridique entre hommes et femmes n’était pas résolue en France. Il a fallu attendre près d’un siècle après l’instauration du suffrage universel masculin pour que les femmes obtiennent le droit de vote en 1944 et le milieu des années 1970 pour qu’elles obtiennent l’égalité juridique avec les hommes, et ce malgré la République laïque et des évènements comme la Révolution française ou le Front populaire.
Le progrès social n’est donc pas linéaire et l’Histoire n’avance pas d’un pas régulier, mais plutôt en crabe, ce que confirme la question de l’esclavage.

L’esclavage