Réforme Delevoye : un projet régressif

mardi 1er octobre 2019, par Christiane Marty

Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a rendu public en juillet son rapport « Pour un système universel de retraite » qui est basé comme prévu sur un système par points. On peut lui reconnaître un redoutable savoir-faire en matière de communication : il réussirait (presque) à faire passer ce projet de retraite qui génèrera des économies sur le dos des salarié·es et des retraité·es pour un système renforçant l’équité, protégeant mieux les plus fragiles et réduisant les inégalités.

Après avoir rappelé la situation actuelle, ce texte se propose de montrer que les grandes lignes cadrant ce projet de retraites – limitation des dépenses de retraite, gouvernance, rendement du point - surdéterminent la régression à venir. En particulier, il dément les prétendues avancées pour les femmes et les carrières courtes.

Situation actuelle : moins mauvaise qu’ailleurs mais très insuffisante

Par rapport à d’autres pays, notre système de retraites est plus avantageux car il permet d’assurer en moyenne un niveau de vie des retraité·es équivalent à celui de la population active. Ce qui n’est que normal. Mais, d’une part, cette moyenne masque de fortes disparités au sein de la population retraitée ; d’autre part, l’évolution est très défavorable sous l’effet des réformes passées. Celles-ci n’ont cessé de durcir les conditions pour obtenir une pension à taux plein (encadré 1) et de dégrader le niveau des pensions. Ainsi, le taux de remplacement moyen (rapport entre la pension et le salaire) ne cesse de baisser ; l’âge moyen de départ en retraite recule ; la durée de cotisation exigée pour une retraite à taux plein devient de plus en plus irréalisable, compte tenu de la situation du marché du travail, mais aussi de l’usure professionnelle qui survient pour de nombreuses personnes bien avant l’âge de la retraite. Les personnes nées en 1974 devront ainsi réunir 43 annuités de cotisation, mais en moyenne, elles n’ont validé leur première année de cotisation qu’à 23,4 ans [1], ce qui porte leur départ en retraite à plus de 65 ans. Il est donc nécessaire de corriger cette évolution. Mais nul besoin de changer de système pour cela, bien au contraire.

Le nouveau système ne peut que faire baisser le niveau des pensions

En dépit de la communication lénifiante affirmant que le nouveau système sera avantageux pour les carrières courtes ou heurtées et pour les femmes, la réalité est différente. Un régime par points [2], en prenant en compte toute la carrière au lieu des 25 meilleures années pour le régime général ou des 6 derniers mois pour la fonction publique, ne peut que faire globalement baisser le niveau des pensions : il intègre en effet les plus mauvaises années de la carrière dans le calcul de la pension, alors qu’elles en sont éliminées actuellement.

En plus de cette logique propre au régime par points, le système projeté organise le recul du départ en retraite. C’est l’un des rares points reconnus : « Le système universel incitera au prolongement de l’activité » [3]. Il laisse en théorie ouverte la possibilité de partir à l’âge légal de 62 ans, mais il instaure un âge dit d’équilibre à 64 ans, avant lequel les pensions subiront un abattement - une décote - de 10 % pour un départ à 62 ans ou de 5 % pour un départ à 63 ans. À l’inverse, il est prévu une surcote pour un départ après 64 ans. Le système serait ainsi « fondé sur la liberté de choix » ! Mais pour de nombreuses personnes, les pensions seront bien trop faibles à 62 ans. Cette prétendue liberté de choisir entre partir ou continuer à travailler pour acquérir des points supplémentaires se réduit à peu de choses lorsqu’on sait que la fatigue et la morbidité touchent de plus en plus de salariés vieillissants, et que la moitié seulement des personnes du privé sont encore en emploi au moment de liquider leur retraite : pour ces personnes, reculer l’âge de départ signifie allonger la période de précarité entre la fin d’emploi et le moment de percevoir la pension.

L’âge de 64 ans est baptisé âge d’équilibre car c’est celui qui permet d’équilibrer le financement des retraites selon les projections établies pour l’échéance 2025. Mais il augmentera ensuite, ce sera l’un des leviers de pilotage du système, au même titre que la valeur de service du point et celle du point à l’achat (encadré 1). Cet âge est aussi nommé âge du taux plein, ce qui relève de la manipulation !