La Fidélité Maspero

Maspero est mort. Libraire, éditeur, écrivain, son nom signifiait l’absence de toute compromission, le courage de dénoncer les errances et les scandales dont beaucoup s’accommodaient.

D’un naturel assez timide, il a eu pourtant une importance considérable dans le réveil des consciences, notamment lors de la guerre d’Algérie. Il a incarné la liberté de parole et d’écriture. Edwy Plenel aime se placer dans son sillage, et il s’est inspiré très fidèlement de son logo d’éditeur pour en faire celui du quotidien numérique qu’il a fondé. Racontant le trajet de François Maspero, il indique du même coup quel idéal l’a guidé en fondant Mediapart.

13 avril 2015 | Par Edwy Plenel

Ami, compagnon, camarade, François Maspero était tout cela pour nombre d’entre nous. Sous le choc de sa disparition, le 11 avril, je republie ici mon hommage de 2009 dans le livre collectif François Maspero et les paysages humains (A plus d’un titre-La fosse aux ours), en complément de mon article du Journal : François Maspero, ce résistant.

En 1959, un jeune libraire du Quartier latin décidait de devenir éditeur. Il commença par lancer une collection qu’il choisit d’intituler « Cahiers libres », en hommage transparent à son ancêtre en rébellions, Charles Péguy, le fondateur des « Cahiers de la quinzaine ». Puis, afin d’éviter toute méprise sur ses intentions éditoriales, il plaça en exergue du catalogue des premiers titres publiés ces mots du même Péguy : « Ces cahiers auront contre eux tous les menteurs et tous les salauds, c’est-à-dire l’immense majorité de tous les partis. »

Pour que lesdits menteurs et salauds ne se trompent pas d’adresse, l’artisan éditeur-libraire préféra signer ouvertement son forfait : ses « Cahiers libres » paraîtraient à l’enseigne de son nom – François Maspero, tout simplement. Nulle quête de notoriété ou de gloriole dans son choix ; plus essentiellement, l’envie d’assumer ses actes dans une époque obscure où la saloperie faisait le plein dans l’abjection de la torture d’Etat, cette gangrène autorisée et encouragée, tandis ...