UN SCANDALE, QUELQUES AMENDES ... ET APRES ?...

UN SCANDALE, QUELQUES AMENDES ... ET APRES ?

La grande tricherie aurait duré de septembre 2005 jusqu’en 2010. C’est le 4 décembre 2013 que la commission européenne a infligé des amendes « record » à 8 des établissements financiers accusés d’entente pour la manipulation des taux interbancaires (Libor, Euribor). Ces taux servent de référence à toutes les banques commerciales pour la fixation des taux auxquels elles vont prêter de l’argent (= « le prix de l’argent »). Tous les emprunteurs et les prêteurs sont donc directement concernés : les banques elles-­‐mêmes, les Etats, les collectivités, les entreprises, les particuliers.

Le mécanisme de la tricherie : l’entente au lieu de la concurrence
C’est la commission européenne elle-­‐même qui a caractérisé le délit dans son rapport, et le commissaire européen à la concurrence, M. Joaquim Almunia, l’a commenté en ces termes : « Ce qui est choquant, dans les scandales du Libor et de l’Euribor, ce n’est pas seulement la manipulation des indices de référence, qui mobilise les régulateurs financiers du monde entier, mais aussi la collusion entre des banques qui sont censées se faire concurrence ». Mais comment est-­‐ce possible ?
Rien de plus simple dans le monde de la finance que nous « autorégulons », vous répondrait le trader. Il suffit de comprendre par quelle méthode les fameux taux interbancaires sont quotidiennement fixés.

Ainsi, pour le Libor, c’est à une firme privée très réputée, Thomson Reuters, que le travail a été confié : elle interroge un panel de banques puis fait une moyenne à partir des taux déclarés. Des petits malins, au plus haut niveau pour une fraude d’une ampleur mondiale, se sont aperçus qu’il était possible de déclarer des taux mensongers, en fonction des profits escomptés. C’est comme si les gendarmes demandaient aux automobilistes de déclarer leur taux d’alcoolémie (et de se contenter de cette déclaration), plutôt que de le constater en utilisant un alcootest.
Alors, à l’abri des regards, on joue et on trafique les valeurs de référence dans le grand casino de la finance mondiale, je te rends service aujourd’hui, tu me le rendras demain. L’escroquerie, commencée avec le Libor (City londonienne), s’est étendue à
l’Euribor (zone euro) puis au Tibor (Japon).
Les sanctions sont-­‐elles proportionnées aux délits ? À l’évidence non !
Non, parce que les banques, coupables de vol en bande organisée, s’en tirent avec quelques centaines de millions d’euros d’amendes, pour des milliards escroqués. Aucun des grands délinquants financiers n’a été à ce jour envoyé en prison, les banques conservent leurs licences. Et le système déclaratif ayant permis la fraude n’est pas remis en cause.
Non encore, au regard des conséquences : en effet, ce scandale en rejoint un autre, celui des prêts toxiques et des dettes illégales et illégitimes. Ainsi, parmi les 8 banques condamnées par l’Union européenne, on trouve Deutsche Bank et Royal Bank of Scotland, connues pour avoir vendu des milliers de prêts toxiques (« structurés, à taux variables ») aux collectivités locales. Or, lorsque ces banques les vendaient, les taux d’intérêt servant de référence à la profession étaient précisément et le plus souvent les fameux taux manipulés de l’Euribor et du Libor.
Déjà plusieurs villes américaines, s’estimant victimes de la manipulation, ont lancé des poursuites judiciaires contre les banques.
Alors enfin une bonne nouvelle ?

La question posée est : combien les collectivités locales endettées ont-­‐elles payé en trop ? La condamnation des banques par Bruxelles signifie en effet que tous les emprunts toxiques, fondés sur des taux manipulés, pourraient légitimement nécessiter un réexamen approfondi.
En France, le conseil constitutionnel vient de rejeter 2 dispositions essentielles du projet de loi de finances pour 2014 (article 60 du projet initial qui visait à empêcher tout recours) et cela ouvre grande la porte à des actions en justice à mener contre les banques par les collectivités locales, les hôpitaux publics et autres organismes victimes d’emprunts toxiques. Une telle décision est un pas essentiel dans la lutte contre les dettes illégales et illégitimes. Le combat ne fait que commencer. Ce dévoilement de la manipulation renforce la légitimité de notre lutte contre la spéculation financière.

Ce n’est pas la fin de l’histoire : la commission européenne continue à enquêter, notamment sur de possibles manipulations du franc suisse et sur des manipulations d’un autre marché énorme, le marché des changes.

Elsa Drillon