Bassines : outil professionnel ou enrichissement patrimonial ?

, par JN

En agriculture, plus peut-être que dans d’autres activités, la frontière entre patrimoine privé et professionnel est difficile à cerner.

La question se pose d’autant plus lorsque les Pouvoirs Publics entendent subventionner tel ou tel investissement lié à l’exploitation agricole. A qui profite l’argent : à l’exploitation ou au patrimoine personnel de l’agriculteur ?

J’ai personnellement été le témoin d’un cas éclairant. Le Conseil Général, collectivité autrefois compétente pour subventionner l’agriculture, avait décidé d’octroyer une subvention de l’ordre de 70% pour l’édification de retenue collinaire [1].

Un agriculteur du nord du département avait réalisé une retenue d’eau et, dès les subventions encaissées, avait revendu la totalité de son domaine, foncier et exploitation, englobant :
 la retenue dans laquelle s’était incorporée la subvention,
 la plus-value sur l’ensemble de l’exploitation du fait du potentiel de rendements supérieurs ;
 la plus-value sur la valeur des terres (estimée de l’ordre de 30%)
L’effet d’aubaine ainsi généré peut vite se chiffrer par centaines de milliers d’euros selon la surface concernée par les terres rendues irrigables sur l’exploitation.

Dans cette situation de cession du domaine bénéficiaire, la totalité de la subvention n’a servi qu’à enrichir un individu et non favoriser une quelconque politique agricole, fut-elle contestable. L’acheteur paie, en effet, le prix sans décote d’un domaine irrigable avec une retenue d’eau, payée à 70% par l’argent public. On a alors affaire à un détournement de fonds publics.

Qu’en est-il aujourd’hui pour les bassines également subventionnées autour des mêmes montants ? Il semble que les documents publiés dans le Département des Deux-Sèvres [2] n’exigent aucun retour de subvention en cas de vente d’un domaine bénéficiaire [3]. Toutefois, la généralisation des montages juridiques de type sociétaires, notamment par les promoteurs de bassines, rend les mesures souvent inopérantes.

Or, les pouvoirs publics se doivent d’éviter les possibilités de telles dérives assimilables à des détournements de fonds publics. Si les moyens juridiques manquent, la Cour des Comptes pourrait s’en alarmer...

Cette contribution vise à ajouter un aspect juridique à l’aspect environnemental bien plus préoccupant encore et bien pris en main par les collectifs "Bassines non Merci".

Bourges le 27/02/2023
Jean-Noël Feraille

Notes

[1(à la différence des "bassines" les retenues collinaires reçoivent l’eau par écoulement naturel ou déviation sans pompage dans les nappes)

[2

protocole bassines du 79

[3cela peut être prévu par exemple en restituant partie de la subvention non amortie, c’est ce qu’avait prévu par la suite le Conseil Général de l’époque