38 raisons de dire NON à la directive Bolkestein par Alain Lecourieux

vendredi 17 février 2006, par Webmestre

Les exigences du court terme

EX20

38 raisons de dire NON à la directive Bolkestein

4 février 2006

Démocratie

1. - Durant la campagne référendaire de 2005, les plus hautes autorités de l’Etat, notamment le Président de la République et le Premier ministre, ont pris l’engagement de retirer ou de « remettre à plat » la directive Bolkestein.

2. - Par leur vote du 29 mai 2005, les Français ont rejeté cette directive.

3. - Une directive qui touche 70% de l’activité économique et des emplois et modifie considérablement les dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales doit faire l’objet d’un débat dans l’opinion publique, et d’un débat et d’un vote au Parlement français. Le gouvernement français doit prendre les dispositions pour que ces débats et ce vote aient lieu.

4. - En France s’agissant des services, il n’y a ni état des lieux des législations et réglementations nationales, ni étude d’impact sur les conséquences de la directive Bolkestein. Adopter cette directive, c’est donc donner un blanc-seing.

Droit

5. - L’égalité devant la loi n’est pas respectée par le principe du pays d’origine (PPO) qui contrevient ainsi à la fois au droit français et au droit communautaire. S’agissant des normes juridiques nationales en France, la directive Bolkestein remet en cause des principes fondamentaux de droit de valeur constitutionnelle comme la souveraineté nationale, l’égalité devant la loi, la légalité des délits et des peines.

6. - L’application simultanée de 25 droits nationaux sur un même territoire et de plusieurs droits différents sur le même chantier de service crée une grave insécurité juridique. L’insécurité juridique est accentuée par la rupture du lien entre loi et territoire qu’institue le PPO.

7. - Par la pression qu’elle exerce sur le législateur national, la concurrence des 25 droits nationaux de l’Union provoque un abaissement du niveau global de protection des pays les plus protecteurs. Ni la directive Bolkestein, ni le rapport de la Commission européenne du 30 juillet 2002 intitulé « L’état du marché intérieur des services » ne donne un état des lieux de l’harmonisation en matière de services qui permette d’apprécier la force de cette concurrence des droits.

8. - Avec le principe du pays d’origine, un Etat étranger devient législateur dans l’Etat d’exécution de la prestation de service, sans que sa législation soit approuvée par le législateur national ou communautaire.

9. - Le PPO multiplie les cas où une juridiction nationale applique le droit civil ou commercial d’un autre Etat membre. C’est une source de divergences dans l’interprétation de la règle de droit. Le juge français accède-t-il dans de bonnes conditions au droit de tous les autres Etats membres ? A-t-il la formation pour les interpréter ?

Compétences, pouvoir et intégration de l’Union

10. - Le champ couvert par la directive réduit les compétences des Etats membres au profit de l’Union, notamment en transformant des compétences d’appui en compétences partagées. Le principe de subsidiarité qui figure dans le traité de Nice est donc violé. Par exemple, la directive Bolkestein ne garantit ni la capacité d’appliquer la loi pénale, ni les responsabilités des Etats membres en matière d’organisation et de financement des systèmes de santé.

11. - La directive Bolkestein est une directive cadre qui nécessite, une fois adoptée, de nombreux compléments et ajustements réglementaires et administratifs. A ces fins, il est prévu une procédure dite d’évaluation mutuelle et des mesures d’application qui accroissent très sensiblement les pouvoirs de la Commission européenne.

12. - La directive Bolkestein est cumulative et s’ajoute à d’autres instruments communautaires comme la directive sur le détachement des travailleurs, le règlement sur la coordination des régimes de sécurité sociale et la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Les conflits de droit entre la directive et les autres instruments accroissent par la jurisprudence qu’ils rendent nécessaire le pouvoir de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et renforce son pouvoir législatif.

13. - Pour partie, ces instruments communautaires sont contradictoires. Les conflits de droit qui en résultent augmentent les actions contentieuses. C’est, par exemple, le cas du droit de la consommation qui est fondé sur la loi du pays d’exécution des services.

14. - Les conflits de droit concernent également les normes de droit international définies par la Convention Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles. La directive Bolkestein est aussi en contradiction avec le projet de Convention Rome II sur l’harmonisation des règles de conflits de loi applicables aux obligations contractuelles.

15. - Le mode d’intégration entre les Etats membres de l’Union européenne par l’harmonisation législative et réglementaire est abandonné au profit de la coexistence des droits et donc de leur concurrence. La directive Bolkestein constitue une rupture de la méthode communautaire d’intégration.

Droit d’établissement

16. - La capacité des Etats membres à réguler le droit d’établissement est considérablement amoindrie par les interdictions qui la frappent. De fait, il y a une dérégulation du droit d’établissement.

17. - L’interdiction de la préférence nationale condamne ou limite toute politique publique d’envergure.

18. - La dérégulation du droit d’établissement couplée avec l’encouragement des services transfrontaliers dû au principe du pays d’origine est une forte incitation aux délocalisations.

Politique sociale

19. - La directive est un encouragement au détachement de travailleurs de l’Union et des pays tiers qui a pour but d’abaisser le coût du travail pour le prestataire de service.

20. - La situation des travailleurs détachés est encore fragilisée : ni autorisation, ni déclaration, ni représentant du prestataire, ni tenue de documents sociaux.

21. - La situation des travailleurs des pays tiers est pire encore : l’Etat de détachement ne peut exiger ni titre d’entrée, de sortie ou de séjour, ni permis de travail.

22. - Le contrôle du prestataire de service et des services est assuré par le pays d’origine du prestataire et, de ce fait, est illusoire : la directive favorise le contournement des lois.

23. - Dans une Union très hétérogène où les salaires sont dans un rapport de 1 à 10 pour les salaires minimum et de 1 à 5 pour les salaires moyens, la directive Bolkestein promeut la concurrence entre les travailleurs.

24. - Au titre de la directive concernant le détachement des travailleurs, certaines normes sociales minimales du pays de détachement s’appliquent là où elles existent pour les détachements supérieurs à un mois : temps de travail, congés, salaire minimum, sécurité, santé et hygiène. Mais la concurrence entre d’une part les prestataires et d’autre part des travailleurs qui ont des ambitions ou des demandes très différentes dégrade la norme moyenne appliquée effectivement. La dégradation porte sur les salaires au-delà du salaire minimum, le temps de travail, les conditions de travail et la protection sociale.

25. - Au-delà des effets sociaux, l’exacerbation de la concurrence aura des effets fiscaux et environnementaux. La réglementation européenne permet, par exemple, le paiement des cotisations sociales des travailleurs détachés dans le pays d’origine.

26. - De fortes contraintes dérégulatrices s’exercent sur les professions réglementées. De plus le PPO affecte très sensiblement l’autorité des organisations professionnelles.

Services publics

27. - Les services d’intérêt général non économiques (SIG non marchands) sont exclus de la directive mais ne sont définis nulle part, ni dans la directive, ni dans le droit communautaire. Ils ne trouvent aucun fondement juridique ni dans le traité de Nice, ni dans la directive Bolkestein. Sans définition, sans fondement juridique ils sont menacés par la marchandisation.

28. - Les services d’intérêt économiques général (SIEG) sont inclus dans la directive. La concurrence qui s’exerce sur eux est donc accrue par la dérégulation du droit d’établissement et l’application du PPO au x services transfrontaliers.

29. - Chaque Etat membre ayant sa propre définition et conception de l’intérêt général, du service public et du secteur marchand et non marchand, l’application du principe du pays d’origine remet en question les définitions et conceptions de tous les Etats

30. - Le fondement juridique des services économique d’intérêt général (SIEG) n’est pas assuré dans le traité de Nice. L’urgence est d’assurer ce fondement par une directive cadre sur les services publics qui les affranchissent des règles de la concurrence relatives aux aides des Etats membres qui sont contraires à leur mission d’intérêt général.

Concurrence

31. - Les prestataires de service étant soumis à des droits nationaux différents pour la même affaire, le PPO entraîne une distorsion de concurrence.

32. - Le PPO institutionnalise une concurrence faussée par les différences de coût du travail, et plus généralement par les niveaux d’exigence sociale, fiscale et environnementale très hétérogènes des pays d’origine de l’Union. Le PPO favorise les prestataires de service dont le siège social est installé dans les pays où la réglementation est la moins contraignante.

Qualité et sécurité des services

33. - Les consommateurs ou destinataires des services n’auront pas les moyens de comparer correctement les différentes propositions de service qui s’appuient sur autant de législations différentes que d’Etats membres de l’Union.

34. - La directive Bolkestein favorise les prestataires de service au détriment des consommateurs ou destinataires de service. Cela est notamment dû à la dissymétrie d’information entre le prestataire qui est une entreprise et les consommateurs. Seules certaines entreprises qui sont destinataires des services ont la capacité de réduire ou d’annuler cette dissymétrie. Elles se heurtent néanmoins à la multiplicité des droits nationaux.

35. - Avec le PPO, le contrôle de la qualité et de la sécurité des services est de la responsabilité de l’Etat d’origine. Sur le vaste champ des services, le contrôle de la qualité et de la sécurité des services est irréalisable.

Droit pénal

36. - Le droit pénal n’est pas explicitement exclu du champ du domaine coordonné de la directive Bolkestein. Quel est le juge national compétent en matière répressive ? Est-ce que le principe de l’application de la loi pénale est remis en cause du fait qu la loi nationale serait paralysée à l’égard d’un prestataire de services transfrontaliers ? Si, au titre du PPO, le juge national devait faire application d’une règle pénale de fond (et non de procédure) d’un pays étranger, cela porterait atteinte au principe de légalité des délits et des peines si cette règle n’était pas reprise par la loi nationale.

37. - La directive Bolkestein traite de l’accès et de l’exécution des services. Elle donne de longues listes d’exigences traditionnelles des Etats et indique qu’elles sont interdites. La définition même des exigences est extensive. On peut donc légitimement s’interroger sur la pérennité des réglementations générales relatives à la protection de la sécurité, de la santé et de l’ordre publics. Ces règles relèvent pour partie des règles de police et de sûreté dont le code civil prévoit l’application territoriale. La méconnaissance de nombre d’entre elles est sanctionnée pénalement. Les dispositions de la directive Bolkestein n’ont pas pour objet de réserver l’application de ces règles.

Calendrier

38. - La directive Bolkestein prévoit une mise en place immédiate et extrêmement large du PPO à l’ensemble des activités de service dès l’expiration du délai de transposition de la directive. Exemple : l’évaluation mutuelle fait apparaître, mais seulement à une date ultérieure, qu’un régime d’autorisation d’un Etat membre aurait été objectivement justifié par une raison impérieuse d’intérêt général ; durant la période qui sépare la mise en place immédiate du PPO de cette constatation l’intérêt général a été bafoué.

Alain Lecourieux

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