Le système de retraites, un choix de société

vendredi 30 mai 2008, par Webmestre

Le Monde, 30 mai 2008

Gérard Aschiéri, secrétaire général de la FSU
Jean-Marie Harribey, coprésident d’Attac
Pierre Khalfa, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires

La crise financière sans précédent qui affecte toutes les institutions
financières, notamment les fonds de pension, confirme que seul un système par
répartition permet de garantir les retraites pour toutes les générations. Un tel
système est basé sur un contrat intergénérationnel. Les salariés actifs payent
avec une partie de leur salaire, versée sous forme de cotisation sociale, les
pensions des retraités car ils savent qu’une fois venu leur tour d’être à la
retraite, la génération suivante fera de même. Comme tout contrat, il ne peut
reposer que sur la confiance. Or, alors que le niveau de vie moyen des retraités
a presque rejoint celui des actifs, les réformes en cours programment une
paupérisation des retraités.

Le gouvernement actuel est sur cette voie. Il veut augmenter encore la durée de
cotisation à 41 ans et engager un processus d’allongement permanent de celle-ci
en y affectant les deux tiers de la croissance de l’espérance de vie à 60 ans,
le Medef s’étant prononcé pour 45 ans. Il s’agit d’une rupture historique. Alors
que, depuis plus d’un siècle, l’augmentation de la richesse produite, du revenu
national, était en partie utilisée pour baisser le temps de travail, que ce soit
de façon hebdomadaire ou sur toute la durée de la vie, l’objectif aujourd’hui
est de « travailler plus pour gagner plus ». Dans le cas des retraites, ce
slogan se traduit par le dilemme, mille fois ressassé : « soit l’augmentation de
la durée de cotisation, soit la baisse du niveau des pensions ». En fait, les
salariés ont l’une et l’autre depuis les mesures Balladur de 1993.

Depuis cette date, pour les salariés du secteur privé, ces mesures entraînent,
selon le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), une
baisse du pouvoir d’achat de la retraite du régime général de 0,3 % par an et de
0,6 % pour la retraite complémentaire, celui de la retraite des fonctionnaires
baissant de 0,5 % par an. Ces baisses devraient se poursuivre dans le futur et
le décrochage par rapport aux salaires s’accentuer. Selon le Conseil
d’orientation des retraites (COR), le taux de remplacement moyen – le niveau de
la retraite par rapport au salaire – est aujourd’hui de 72 %, il devrait passer
à 65 % en 2020 et à 59 % en 2050.

Ces mesures ont aggravé les inégalités pour toutes les personnes aux carrières
heurtées. Les femmes, qui ont déjà des pensions en moyenne inférieures de 40 %
aux hommes, sont particulièrement touchées par l’allongement de la durée de
cotisation et par les effets très pénalisants de la décote. En effet, à ce jour,
seulement 39% des femmes retraitées ont pu valider 37,5 ans contre 85 % des
hommes. Dans la fonction publique, la réforme de 2003 a porté gravement atteinte
aux droits des femmes avec la remise en cause des bonifications pour enfants.

On mesure l’hypocrisie du discours sur l’emploi des seniors quand on sait
qu’aujourd’hui plus de six salariés sur dix sont hors emploi au moment de faire
valoir leur droit à la retraite. En outre, les jeunes rentrent de plus en plus
tard sur le marché du travail. Toute nouvelle augmentation de la durée de
cotisation se traduira donc inévitablement par une nouvelle baisse du niveau des
pensions. Hypocrite, cette solution est aussi dangereuse car elle revient à
rompre le contrat entre générations. Si les actifs paient les pensions des
retraités, en contrepartie, les salariés âgés laissent leur place sur le marché
du travail aux nouvelles générations. Cette exigence est d’autant plus forte que
le chômage de masse perdure. Décaler l’âge de départ à la retraite revient à
préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites.

Mais surtout est-ce que travailler plus longtemps est une solution acceptable
alors que les conditions de travail se détériorent, que la souffrance au travail
se développe et que de nouvelles pathologies apparaissent ? Est-ce que le sort
des êtres humains est de travailler jusqu’à n’en plus pouvoir pour permettre que
les dividendes versés aux actionnaires continuent leur croissance faramineuse ?
Disons le sans fard, alors que la productivité du travail ne cesse de
progresser, il faut travailler non pas plus, mais moins !

En vérité, la solution au financement des retraites existe et elle figure en
filigrane de tous les rapports du COR. Elle consiste à mettre un terme à la
baisse de la part salariale (10 points en 20 ans) dans la valeur ajoutée, la
richesse créée par les salariés dans les entreprises, et à accompagner
l’évolution démographique par un relèvement progressif des cotisations sociales.
Est-ce possible ?

Le besoin de financement supplémentaire des retraites, par rapport à la loi
Fillon de 2003, a été estimé par le rapport du COR de novembre 2007 à un point
de PIB en 2020 et à 1,7 point en 2050. Personne ne peut raisonnablement croire
que l’évolution de l’économie ne permettra pas de le couvrir. Un point de PIB
correspond aujourd’hui à 10 % des dividendes versés aux actionnaires des
sociétés non financières. L’hésitation n’est plus permise : il faut rééquilibrer
le partage de la valeur ajoutée en augmentant le taux des cotisations dites
patronales et en réfléchissant à l’élargissement de l’assiette des cotisations
aux profits pour y appliquer le même taux qu’aux salaires. Un tel rééquilibrage
de la part des salaires serait compensé par une baisse des dividendes versés aux
actionnaires et ne toucherait pas à l’investissement productif. Il ne
pénaliserait donc pas la compétitivité des entreprises.

La litanie sur le renchérissement du « coût du travail » n’a donc pas lieu
d’être. La frénésie de profits, facilitée par la financiarisation de l’économie
mondiale avec sa spéculation récurrente, sa prolifération de produits financiers
et ses paradis fiscaux pour abriter fraude et évasion fiscales, frappe
d’illégitimité toutes les lamentations patronales sur ce point. Car ce qui est
en train de délabrer les sociétés, du Nord au Sud de la planète, c’est le « coût
du capital », dans un double sens : ce qu’il prélève comme richesses devient
exorbitant et ce qu’il provoque comme dégâts sociaux et écologiques devient
inestimable. C’est en ce sens que la question des retraites pose la question de
savoir dans quelle société nous voulons vivre.

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