Traité européen de Lisbonne : le débat démocratique médiatiquement censuré

mardi 26 février 2008, par Webmestre

Source / Auteur : ACRIMED

http://www.acrimed.org/article2838.html

Le 8 février le Parlement approuvait définitivement la loi autorisant la ratification du Traité de Lisbonne. Sa publication au Journal Officiel le 14 février 2008 la rendait effective. Nous revenons ici une nouvelle fois sur les conditions dans lesquelles les médias dominants ont assuré le traitement de cet événement politique majeur. Cet article confirme les tendances déjà observées dans nos précédentes publications [1].

Un réveil tardif…

Le 15 janvier, Laurent Joffrin clame dans Libération qu’« il ne peut qu’exprimer une inquiétude devant cette occultation spectaculaire du débat » [2]. A trois semaines d’un vote parlementaire qui scellera une ratification d’un traité soutenu par Laurent Joffrin et l’ensemble des médias dominants, ce brutal réveil permet de se parer à peu de frais d’une robe démocratique. D’autant moins coûteuse qu’après cette « sortie » le débat européen retrouve dès le lendemain, la quasi-clandestinité dans laquelle il a été cloîtré pendant de longs mois.

Après une longue période de silence, donc, les émissions sur le thème font timidement leur apparition. Ainsi, après l’émission « Dimanche + » sur Canal+ le 27 janvier et « Ce soir ou jamais » sur France 3 le 31 janvier, c’est Serge Moati qui, le 3 février, sort de son coma prolongé dans « Ripostes » sur France 5. Le 4 février, Jean-Michel Aphatie et Jean-Pierre Elkabbach font ensuite cause commune pour ouvrir une grande partie de leurs interviews matinales sur RTL et Europe 1, respectivement à Jacques Delors et Valéry Giscard d’Estaing, dont les positions hostiles au « non » sont connues. Le lendemain, Jean-Pierre Elkabbach reçoit un acharné partisan du « deux fois oui à l’Europe », comme le dit lui-même l’invité du jour : Jack Lang. Le sujet sera abordé en … trois minutes environ.

Mais cette énumération ne doit pas masquer l’essentiel : depuis que le texte en est connu, et particulièrement depuis qu’il a été signé (comme le soulignait déjà notre précédent article « Le service après vente du Traité européen de Lisbonne »), les médias dominants ont dissimulé les enjeux du traité dit « de Lisbonne ». En janvier et février 2008, c’est encore pire. Pour s’en rendre compte, il suffit de préciser que l’ensemble des émissions d’information y compris les magazines et les interviews matinales radiophoniques (à l’exception des exemples mentionnés) n’ont pas traité spécifiquement cet évènement [3]. Aucune des principales chaînes de télévision ou de stations de radio n’a bouleversé ses programmes pour organiser de véritables confrontations d’idée : ni sur le contenu, ni sur la procédure retenue.

Les télévisions n’ont préparé ni reportages ni dossiers spéciaux, se contentant de « faire court », donc superficiel. Entre le 15 janvier, jour du premier débat à l’Assemblée nationale sur le Projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution et le 5 février, lendemain du vote favorable de la révision constitutionnelle par le Congrès, les journaux télévisés ont été d’une particulière discrétion. Le 15 janvier, seul le 19/20 de France 3 consacre un reportage d’un peu plus de deux minutes sur le sujet. Le 20 janvier sur France 2, Laurent Delahousse qui reçoit le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande pendant plusieurs minutes au 20 heures, ne trouve pas le temps nécessaire pour évoquer la question. Le 2 février, le 20 heures de TF1 et le Soir 3 lui accordent respectivement vingt et quinze secondes.

Les JT du 4 février 2008, jour du vote de la révision constitutionnelle, font un effort qui mérite d’être souligné pour son… étroitesse. Ainsi, TF1 consacre respectivement deux reportages d’une minute quinze secondes (13 heures) et une minute trente cinq secondes (20 heures), France 2, un reportage d’une minute vingt sept secondes (20 heures) et France 3, deux fois le même reportage d’une minute cinquante huit secondes (19/20 et Soir 3). Inutile de dire que le contenu s’en est largement ressenti et que les questions essentielles (mode de consultation et contenu) n’étaient pas au rendez–vous. Le 4 février, tous les reportages sont ainsi meublés de bribes d’interviews de parlementaires et évoquent plus ou moins longuement les divisions socialistes. Le 5 février, c’est déjà l’oubli...

Les hebdomadaires d’information ont continué leur sieste entamée depuis plusieurs mois, et, quand ils en parlent privilégient le jeu politique aux enjeux. Ainsi Le Nouvel Observateur consacre simplement un petit article relatant la cacophonie au PS et un bout de l’éditorial de Jean Daniel (le 7 février). Le Point imite son confrère en concédant ce même jour un article sur l’état des lieux de la ratification en Europe et une microscopique interview de Vincent Peillon sur… la division des socialistes. L’Express prend, lui, le temps d’y consacrer une chronique le… 17 janvier 2008. Paris Match se montre encore plus audacieux : aucun article entre le 20 décembre 2007 et le 6 février 2008. Si Marianne concède bien deux articles dénonçant l’absence de recours au référendum, ce n’est toujours pas au point d’y sacrifier ses « Unes » mercantiles principalement centrées sur le personnage de Nicolas Sarkozy [4].

Les quotidiens nationaux se sont contentés, eux aussi, d’une information sporadique n’abordant qu’à la marge les véritables enjeux du traité de Lisbonne. Entre le 16 janvier et le 6 février 2008, aucun gros titre n’est venu garnir leur une (à l’exception du journal La Croix le 4 février et bien sûr, de L’Humanité [5]). Durant cette même période, Le Figaro livre au total onze articles, dont quatre consacrés aux divisions internes au PS et une tribune relative à la nécessité d’organiser un référendum. Le Monde produit dix articles dont quatre relatifs à la division au sein du PS. Libération, après son « sursaut » du 15 janvier accuse ensuite un énorme coup de fatigue puisque huit articles (dont quatre sur la cacophonie au PS) viennent seulement compléter un démarrage en fanfare … Le Parisien concède lui sept articles, Les Echos sept également et La Tribune trois.

La presse quotidienne régionale n’est pas en reste. À titre d’exemple, seul le quotidien La Marseillaise affiche cette question européenne en une le 2 février 2008, trois quotidiens le font le 5 (Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Ouest France et encore La Marseillaise) et deux le 11, le lendemain de l’allocution présidentielle (toujours La Marseillaise, imitée par Catalan. La Nouvelle République consacrant également un titre voyant en première page) [6].

Les chefaillons des rédactions ont naturellement trouvé les coupables de ce « désintérêt » qu’ils ont eux-même organisé. Laurent Joffrin précise dans Libération le 15 janvier 2008 : « Le “mini-traité” […] rencontre une indifférence massive ». Alain Duhamel le paraphrase le même jour sur RTL : « Les Français ne sont pas en l’occurrence passionnés par l’enjeu du traité ». Michel Noblecourt leur fait écho dans Midi Libre le 5 février 2008 : « Ce qui frappe c’est l’indifférence autour de ce vote solennel sur un sujet […]. Aujourd’hui, les Français se préoccupent du pouvoir d’achat et de leur quotidien. Et l’Europe semble les intéresser encore moins que le mariage de leur Président ». Un mariage qui, malgré le « désintérêt » pour l’Europe, a pourtant fait l’objet d’une couverture médiatique nettement plus voyante que celle du traité de Lisbonne… Un prétendu « désintérêt » pour le Traité qui permet de masquer un choix politique majeur effectué depuis belle lurette par les médias dominants.

Un référendum à éviter ?

« Aux yeux de ces éducateurs du peuple qui, conseillers des gouvernements, enseignent une version singulière du droit et de la démocratie, le rejet du recours au référendum (pourtant demandé par certains partisans du “oui”...), est tellement évident qu’il convient de tout mettre en œuvre pour le rendre indiscutable », écrivions-nous déjà le 2 janvier dernier [7]. Cette orientation reste la ligne d’horizon, mâtinée, pour certains, de convulsions démocratiques soudaines, qui ne les rendent que plus valeureux dans un exercice où ils excellent : « le mépris du peuple ».

Alain Minc, conseiller patronal et sarkozyste, nous rappelle une « évidence » dans Marianne du 15 décembre 2007 : « Sarkozy l’a annoncé pendant la campagne. Son élection ratifie la méthode ». Jean-Marie Colombani, longtemps complice du premier au Monde montre sa solidarité avec la ligne officielle. Le 18 janvier sur France Inter, il brille de mille feux : « Les Français ont tranché ! » en élisant Nicolas Sarkozy [8]. Porte-parole du gouvernement, c’est le rôle que joue Laurence Ferrari le 10 février à « Dimanche + » face à un Laurent Fabius qui affirme qu’une consultation populaire s’imposait. Récitant un communiqué de l’Elysée, elle précise que son locataire a été « largement élu à 53 % [et] qu’il l’avait annoncé pendant sa campagne ». Mais elle oublie de le préciser : Nicolas Sarkozy avait parlé de « traité simplifié »…

Le 7 février, dans Le Nouvel Observateur, Jean Daniel fait lui aussi apprécier l’étendue de son talentueux renoncement démocratique : « L’idée de refuser le choix de la procédure parlementaire - qui a fait partie du programme du candidat Sarkozy - n’était pas vraiment responsable . » [9]

Un référendum serait aussi illégitime pour une autre raison de bon sens : les Français ne savent pas lire. Favilla en tire immédiatement les conséquences qui s’imposent le 17 janvier dans Les Echos : « Il est étrange de vouloir soumettre à référendum un texte extrêmement technique de 400 pages ». Jules Clauwaert précise cette pensée dans Nord Eclair le lendemain, rappelant la débâcle de 2005 : « On sait comment quelques leaders, et une fraction de militants opposés au Traité, ont alors mené campagne avec les “nonistes” de tous horizons, pour faire échec au Traité : en réalité , non pas contre un texte, mais contre la politique alors menée par le gouvernement sur d’autres sujets ».

Sylvie Pierre-Brossolette ne s’embarrasse de ces sous-entendus lors de son « Duel » avec Laurent Joffrin le 16 janvier 2008 sur France Info : « Si on leur laisse la possibilité de dire “non”, comme on cumulera les “nonistes” et les gens qui sont anti-Sarko, on aura un “non” à l’arrivée. Est-ce que c’est vraiment ça qu’on souhaite ? » Ce n’est manifestement pas le souhait de cette journaliste… Dominique Reynié, l’expert « oui-ouiste », déjà traumatisé lui aussi le soir du 29 mai 2005, en convient le 3 février sur le plateau de l’émission « Ripostes » sur France 5 : « S’il avait été annoncé l’ouverture de négociation [sur le contenu du traité de Lisbonne] sous la menace d’un référendum », c’était le « non » qui l’aurait emporté non plus « à 55 mais à 60 % ».

Jean-Yves Le Boulic récite la même poésie le 5 février dans Ouest France tout en y ajoutant une tape amicale sur l’épaule des « nonistes » : « Un référendum, en France, aurait rendu inévitable un référendum en Grande-Bretagne où Gordon Brown est soumis à la pression de ceux qui veulent torpiller l’Europe. L’échec, dès lors, était inéluctable ».

Une catastrophe dont on attend encore la concrétisation pourtant « prophétisée » par le quotidien La Croix le 22 février 2005 : « Les ondes de choc d’un “non” français au référendum sur la Constitution européenne seraient violentes dans l’Hexagone ou en Europe ». Etienne Mougeotte s’adressant à Olivier Besancenot, le 6 janvier 2008 au « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI » invoque le même « péril » : « Vous souhaitez rouvrir la crise européenne qui est en train de se refermer ». Et dans La Croix du 4 février 2008, Guillaume Goubert explique : « En toute logique, il aurait fallu passer par la voie référendaire pour “effacer” la sanction de 2005. Mais ce risque d’une même réponse, qui serait extrêmement coûteuse pour l’Europe et pour la France ».

Jean-Yves Le Boulic, le lendemain dans Ouest France, convoque un mort au chevet de sa démonstration : « Raymond Aron avait l’habitude de dire qu’en politique, le choix n’est pas entre le Bien et le Mal, mais entre le préférable et le détestable » . Jean Quatremer confirme lui aussi dans Libération du 8 février que le recours au référendum était une... impasse pour le « oui » : « En outre, un nouveau référendum en France aurait contraint les Britanniques à faire de même, ce qui condamnait par avance le nouveau texte ».

Sylvie Pierre-Brossolette professe avec une finesse exemplaire le 16 janvier 2008, sur France Info, qu’il faut laisser aux éditorialistes, quand la raison, dont ils sont eux dotés, l’impose, le soin de trancher à la place des gueux : « Est-ce qu’il ne faut pas violer dès fois les peuples un tout petit peu pour leur bien , on le fait pour d’autres questions ; la peine de mort, on l’a voté dans le dos des gens, ils n’en voulaient pas, l’Europe, c’est un peu pareil. »

Jacques Marseille ressort le 9 février 2008 sur Europe 1 une des diatribes préférées des procureurs des « nonistes » de 2005 : « J’étais pour le référendum [mais] organiser un référendum aujourd’hui sur le mini-traité, vu la cote de Sarkozy, serait criminel ». Le choix de Jacques Marseille s’explique sans doute par sa volonté d’éviter la cour d’assises...

Que l’on ait été ou non favorable au recours au référendum, force est de constater que les arguments qui précèdent avouent tous leur caractère doublement anti-démocratique : d’abord et avant tout parce que ce sont presque les seuls que l’on entende ; ensuite, parce qu’ils émanent, non de responsables politiques, mais – liberté de la presse oblige... – de prétendus garants de la démocratie.

Un sursaut démocratique ?

Pourtant, à mesure que se rapproche la ratification, un quarteron de généraux-éditorialistes se découvrent subitement une fibre démocratique qui leur avait jusque-là fait défaut.

Ainsi Alain Duhamel fait mine de s’interroger le 5 février sur RTL : « La question se pose, et ce serait donc hypocrite de ne pas la poser ». Et d’invoquer d’abord une raison de « bon sens », comme il le dit lui-même : « […] les Français ont pu voter directement en 2005, [...] pourquoi est-ce qu’ils ne le feraient pas cette fois-ci ? » Puis d’avancer un motif qu’il qualifie de « juridique » : « Est-ce que le "non", qui a été obtenu par un vote populaire direct, peut ensuite être renversé par un vote parlementaire, indirect ? » Après une longue réflexion, le verdict de « bon sens » de Duhamel tombe : « La vraie réponse, celle qui ne se dissimule pas, se résume en un seul mot, c’est le réalisme »… de ne pas recourir au référendum.

Laurent Joffrin, le 15 janvier 2008 dans Libération, se débat avec lui-même comme il peut : « On cherche en vain les arguments convaincants qui réfuteraient l’idée d’un référendum. Il faut maintenant poser avec force ce problème, dans la forme et sur le fond. Faute de quoi, les partisans de l’Union européenne donneront le sentiment qu’ils ont peur du peuple. » [10]

Le 8 février 2008 dans La République des Pyrénées, Jean–Marcel Bouguereau renvoie dos à dos, les partisans du référendum et ceux de la ratifcation parlementaire. S’il légitime d’abord les premiers, « Les parlementaires n’ont pas à « se substituer » au peuple, a lancé jeudi M. Fabius. A-t-il raison ? Formellement oui », c’est aussitôt pour s’approprier la thèse inverse : « Mais il est vrai que Nicolas Sarkozy avait clairement annoncé la couleur, avant d’avoir été élu et… qu’il a été élu. Par ailleurs, peut-être faut-il rappeler que les représentants de la nation [...] sont élus pour la représenter ».

Le 5 février dans Libération, Bernard Guetta soutient que la demande référendaire est légitime : « Les nonistes n’ont pas tort. Ces nonistes de gauche […] ont raison de dire que, dès lors que sa première version avait été soumise à référendum, la seconde aurait dû l’être aussi. » C’est évidemment aussitôt pour réduire l’importance de cette concession : « Mais sur le fond ? Il a été trompeur, surtout, de faire croire aux électeurs de gauche que la victoire du non freinerait la libéralisation économique des pays européens alors même qu’elle n’est pas le fruit de l’Union mais de la mondialisation ».

Le goût du paradoxe est décidément très en vogue,… une fois que les dés ont été jetés. L’éditorial du Monde du 6 février en est une brillante illustration : « Entre le devoir européen et la passion démocratique, le devoir l’emporte donc. » Curieuse alternative entre le devoir de faire « avancer » l’Europe vers plus de démocratie tout en en écartant les principaux intéressés, les citoyens européens !

Ensuite, le quotidien semble d’abord valider la ligne officielle : « Nicolas Sarkozy, en effet, avait joué cartes sur tables durant sa campagne : pour sortir l’Europe de l’ornière, il s’était engagé à tout mettre en oeuvre pour que les vingt-sept membres de l’Union négocient un nouveau traité, plus ou moins simplifié et censé permettre aux institutions européennes de fonctionner plus efficacement. Et il avait annoncé qu’il soumettrait ce nouveau texte […] à la ratification du Parlement pour éviter de se heurter une nouvelle fois aux aléas d’un référendum. C’est ce qu’il a fait ». Pour ensuite sembler valider la thèse contraire tout en s’essuyant au passage les pieds sur ceux qui lui avait fait échec en 2005 : « Le peuple avait refusé le projet de Constitution il y a trois ans ; il a soigneusement été tenu à l’écart de l’actuelle procédure[…]. En bonne logique démocratique - y compris pour faire la démonstration que « le plan B » et la « relance démocratique » de l’Europe promis par les partisans du non en 2005 n’étaient qu’un leurre habile, mais démagogique ». Le Monde déplore en conclusion : « Ces trois années de débats et leur épilogue actuel n’ont pas rapproché l’Europe des peuples qui la composent [...]. Il faudra, demain, plus que des habiletés tactiques pour redonner sens et dynamique au projet européen ». Et d’arguties sémantiques…

En dernière analyse, un argument – à peine implicite - l’emporte de fait sur tous les autres : le choix des éditorialistes est, par principe, préférable à celui du peuple qui ne mérite, quand ils ne suivent pas leurs sages conseils, que le mépris…

… Un mépris, dont on vient de voir diverses variantes et qu’Eric Zemmour, une fois n’est pas coutume, a fort bien diagnostiqué sur le plateau de l’émission de Guillaume Durand sur France 2, « Esprits libres » [sic] du 18 janvier 2008 [11] : « Julliard [Jacques Julliard, du Nouvel Observateur], c’est intéressant, il dit, il parle de l’irruption des citoyens partout etc... Mais en même temps il m’amuse parce que les citoyens, parce qu’en même temps, les citoyens sont méprisés comme jamais . C’est-à-dire par exemple, ils votent "non" au référendum, on leur refait la Constitution et on la repasse devant les parlementaires, c’est quand-même du mépris démocratique comme jamais on a vu ». Cette interpellation entraîne, on s’en doute, une réaction immédiate des gardiens scrupuleux de la démocratie que sont Guillaume Durand, Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur), Olivier Mongin (Directeur de la revue Esprit). Sujet suivant.

Nos tartuffes de la démocratie n’avaient-ils pas à leur disposition des moyens pour donner une traduction concrète à ces hypocrites plaidoyers bien tardifs contre le risque d’un déni de démocratie ? Il suffisait d’organiser vraiment dans les colonnes des journaux, sur les antennes des radios et des télévisions, et sur les sites Internet des débats publics contradictoires équilibrés, à la fois sur la procédure la plus démocratique et sur le contenu du Traité. Il n’en a rien été.

Denis Perais

Avec Mathias et Henri

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Annexes :

Quand Jean-Pierre Elkabbach et Valéry Giscard d’Estaing s’inquiètent de l’absence de débat

La dissimulation grandeur nature des enjeux a été l’occasion d’une scène fort cocasse le 4 février 2008 dans le studio Lagardère d’Europe 1. Nos deux "oui-ouistes" aux relations très anciennes se lamentent. Jean–Pierre Elkabbach, faisant référence à la plainte des socialistes sur l’escamotage de ce débat dans l’hémicycle, lance : « Est-ce que l’Europe ne mérite pas mieux qu’un débat de nuit ? » Valéry Giscard d’Estaing, professoral, répond : « C’est un peu la même chose sur les médias . Si vous regardez les journaux du soir, on consacre à l’Europe trente secondes au maximum. C’est le grand problème de notre temps. C’est beaucoup plus important que les faits divers car c’est un fait divers collectif pour cinq cents millions de personnes. Je crois en effet qu’il faut prendre conscience que c’est un grand événement ».

Cette affirmation empreinte de lucidité épargne cependant l’hôte de l’ancien président de la République sur le sujet. Il faut savoir remercier celui qui a l’obligeance de lui réserver un accueil chaleureux et de ne pas le déranger avec des questions stupides telles que celle de son obligation de réserve en temps que membre du Conseil Constitutionnel, qui lui interdit d’afficher publiquement sa position [12].

Jean-Pierre Elkabbach, scandalisé d’un tel crime de lèse-Sarkozy, demande alors à Valéry Giscard d’Estaing, ce qu’il pense des déclarations de Jean-Louis Debré le 3 février 2008 sur l’antenne de Radio J s’en prenant au mode (privé) de vie du président de la République : « Qui le [Debré] rappellera à ses devoirs d’impartialité ? Vous ? Jacques Chirac ? ».

- VGE : « Vous ».

- JPE : « Voilà, on le fait. Merci de le dire. »

Les partiaux Jean-Pierre Elkabbach et Valéry Giscard d’Estaing au service de l’impartialité… des autres. D’autant plus magistral que Jean-Pierre Elkabbach dirigeait (avec Jean–Marie Cavada) l’information du temps de la présidence d’un certain…Valéry Giscard d’Estaing [13]. A l’époque, le contrôle de l’information se faisait sous le joug « terrifiant » de l’Etat. Aujourd’hui, ce joug n’existe plus, mais la censure demeure…

Les partisans du « non » toujours introuvables ... ou presque

« Si la surface médiatique accordée à ce traité est déjà assez faible, la place dévolue à ceux qui s’opposent au mode de ratification retenu ou au contenu, est particulièrement réduite », écrivions-nous déjà dans notre article du 2 janvier dernier. Aucun changement n’est à signaler depuis. Aucune tribune dans la presse quotidienne depuis la dernière parue le 13 décembre 2007 dans Libération. Entre le 16 janvier et le 6 février, Libération égare un courrier des lecteurs fustigeant la position du PS très largement compensé par une chronique et une tribune « oui-ouiste » ; Le Parisien consent une squelettique interview à Nicolas Dupont-Aignan le 4, engloutie le même jour par celle largement plus abondante de Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes et de Valéry Giscard d’Estaing le 2 février ; Le Monde consacre un éditorial et Les Echos deux chroniques favorables au « oui ». Et de très rares articles qui évoquent principalement leurs difficultés à mobiliser et leurs divisions. Quelques secondes pour Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon et uniquement sur France 3, une poignée sur France 2 consacrée à l’attelage « hétéroclite » des partisans du « non » à la procédure référendaire, qui a nuit à l’efficacité de leur campagne. Le reportage montre à l’écran, le député UMP, Nicolas Dupont–Aignan, qui incarne « les souverainistes de droite » et Michel Charasse, sénateur socialiste. La suggestion de leur « ringardisme » est à peine voilée même si jamais explicitement formulée dans le reportage. Le qualificatif « souverainiste » n’est pas spécialement un compliment dans le langage journalistique. Hormis les parlementaires, les « nonistes » se voient « généreusement » accordés quelques secondes le 2 février par TF1 et France 3 à l’occasion de la journée d’action organisée pour un référendum et le 4 février (sur les trois chaînes) pour la manifestation devant les grilles du château de Versailles, lieu de réunion du Congrès.

Jean-Michel Aphatie, qui recevait Olivier Besancenot au « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI » explique pourtant très sérieusement le 6 janvier 2008 : « Tout le monde peut s’exprimer en France ». Sans doute, mais certains beaucoup plus que d’autres !


[1] Voir sur notre site, Quand la plupart des éditorialistes adoptent - sans référendum - le nouveau traité européen, Le service après vente du Traité européen de Lisbonne, Traité européen : le tardif et difficile réveil de Laurent Joffrin et de Libération et Traité de Lisbonne : la morgue de L’Est républicain.

[2] Voir l’article cité dans la note ci-dessus.

[3] Le sujet a certes pu être abordé ici et là comme au « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI » le 6 janvier 2008 avec Olivier Besancenot ou le 14 janvier avec Pierre Moscovici dans « Le Franc Parler » France Inter-Itélé-Le Monde.

[4] Le 16 février, l’hebdomadaire brocarde pourtant que la « Peopolitique [...] révèle un fondamental vide démocratique », auquel il a lui-même participé !

[5] Notable exception puisque ce quotidien a choisi depuis longtemps de faire du traité européen, un sujet majeur.

[6] D’après la page des « unes » de la PQR de leurs organes de presse respectifs, voire l’organisation sous leur égide. Le cas particulier du quotidien La Marseillaise pouvant vraisemblablement s’expliquer par son hostilité affichée au mode de ratification et au contenu.

[7] « Le service après vente du Traité européen de Lisbonne », déjà cité.

[8] Lire sur le site de Marianne : « Colombani, un sarkozyste de moins en moins caché… » (mis en ligne le 19/01/2008).

[9] Une variante plus insidieuse de cette constance à se défier du peuple qui vient de loin et qu’exprimait déjà avec arrogance Jean Daniel à l’occasion de la campagne de 2004 – 2005 : « Tout ce qu’à de bon la volonté générale, c’est la représentation populaire[sic] qui le canalise et le cristallise. La collectivité, elle, est plus sensible au caprice et surtout à la peur. Les partisans du « non » au référendum sont plus émotifs, plus passionnels » . Cité dans Médias en campagne. Retours sur le référendum de 2005, Syllepse, p.7.

[10] Notons que Laurent Joffrin en particulier et Libération en général, n’ont jamais mis le quotidien au service d’une longue campagne réclamant ouvertement un référendum. Cela n’empêche cependant pas François Sergent, de Libération, de prendre quelques libertés avec cette réalité en affirmant le 18 février dans un article intitulé... « Vigilants » : « Nous nous sommes [...] associés à Marianne pour demander un référendum sur le traité simplifié européen ». En fait, liberation.fr s’est bien associé aux sites marianne2.fr et arretsurimages.net, mais simplement pour poser la question suivante aux internautes : « Traité de Lisbonne : Faut-il le ratifier par voie parlementaire ou par référendum ? ». Le 4 février, liberation.fr récidive en interrogeant les libénautes : « La ratification par voie parlementaire, un déni de démocratie ? La ratification du Traité de Lisbonne se fera par voie parlementaire et non par référendum. Qu’en pensez-vous ? » http://www.liberation.fr/actualite/....

[11] A l’occasion d’un débat non sur le Traité, mais sur l’omniprésence de Nicolas Sarkozy dans les médias.

[12] Le décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 relatif aux obligations des membres du Conseil Constitutionnel précise dans son article 2 : « Les membres du Conseil constitutionnel s’interdisent en particulier pendant la durée de leurs fonctions : De prendre aucune position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l’objet de décisions de la part du Conseil ». Le Canard Enchaîné rappelle cette obligation le 6 février 2008 mais pour le seul Jean–Louis Debré.

[13] Voir Le Plan B dans son article « Le Procès de Jean-Marie Cavada », numéro 12, paru le 7 février 2008.

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