Projet de Loi DADVSI et droits d’auteur : Contribution au débat de Philippe Aigrain

lundi 5 décembre 2005, par Webmestre

5/12/2005

Des critiques de la proposition de loi DADVSI ont mis en avant le fait qu’il s’agit en réalité d’une offensive contre le droit d’auteur menée pour le profit des grandes sociétés éditoriales. En réaction, certains se sont demandé en quoi cette proposition de loi était en contradiction avec le droit d’auteur. Voici quelques réflexions sur le sujet, qui replacent ce texte dans une perspective plus large.

article publié par Philippe Aigrain sous licence CC-By-SA

C’est une ensemble de textes incluant le traité sur les phonogrammes de 1996, la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information et surtout la transposition proposée dans DADVSI qui soulèvent de graves interrogations en ce qui concerne le devenir du droit d’auteur.

Voici les arguments principaux qui conduisent à le penser :

1- Pendant toute l’histoire du droit d’auteur, celui-ci a reposé sur l’énoncé de droits des auteurs, et la constatation a posteriori d’éventuels abus d’usages qui ne respectaient pas ces droits. A ce principe, qui est ouvert à la création, se substitue un principe de protection par les mesures techniques (laissant donc à la mise en oeuvre de la technologie le soin de définir dans le détail les usages légitimes, et non plus au juge). Ce changement est très aggravé par le fait que la directive ne permet pas d’imposer à priori que les mesures techniques de protection rendent possibles les usages légitimes comme la citation ou les autres exceptions reconnues (dont la liste varie selon les pays). L’Etat ne peut que constater à posteriori qu’il y a un problème, et même alors les mesures correctives qu’il peut imposer sont très encadrées. Malgré cela, il existe une certaine marge dans la transposition pour considérer que des droits minimaux ne peuvent être mis en cause du fait de la protection des mesures techniques. La proposition de loi est particulièrement timide sur ce point. On peut craindre que les amendements gouvernementaux soient encore plus agressifs dans leur service des oligopoles éditoriaux, complètement au-delà des besoins de la transposition, allant jusqu’à rendre illégaux des systèmes d’échange libre qui sont aujourd’hui au coeur de nombreux processus créatifs.

2. L’industrie musicale, principale demandeuse des dispositions les plus extrêmes de DADVSI, dont l’amendement "Vivendi-Universal", bénéficie d’une situation dans laquelle les droits des auteurs - et plus particulièrement de ces auteurs musicaux que sont les interprètes - sont particulièrement maltraités (notamment financièrement). Il n’y a donc pas de synergie "naturelle" entre une législation favorable à cette industrie et les droits des auteurs. Le niveau de rémunération de tous les types de droits d’auteur pour la musique (interprètes, auteurs, compositeurs et techniciens) est le plus bas de tous les médias. L’avis de beaucoup est que plus les mesures techniques sont protégées et s’opposent à l’accès libre à la musique, plus il y a concentration sur un petit nombre de titres, et plus, à l’exception des quelques gagnants au gros lot, les auteurs sont mal traités.

3. La directive laisse ouvert une assez longue liste d’exceptions. La France a traditionnellement la liste la plus limitée, se signalant par l’absence totale d’exceptions pour l’éducation et la recherche, une interprétation particulièrement restrictive du droit de citation excluant en pratique l’audiovisuel. On aurait au moins pu attendre de la transposition qu’elle élargisse cette liste d’exceptions au profit d’usages dont il faut remarquer qu’ils constituent la base des créations futures.

Les propositions de l’Alliance Public Artistes comprenant plusieurs sociétés d’auteurs, d’autres appels (à paraître) en plus de celui d’EUCD.info ou la tribune que l’avais signé avec Michel Rocard, Valérie Peugeot, Patrick Viveret et Jacques Robin montraient par ailleurs qu’il y a des solutions de mutualisation sociale du financement de la musique (licence légale financée par des redevances sur les abonnements au haut-débit par exemple) beaucoup plus favorables aux créateurs que les mesures techniques de protection.

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