Attac en danger de mort !

vendredi 8 septembre 2006, par Webmestre

ATTAC DANS LES MEDIAS

Article publié dans Politis du 31 août 2006.

Attac en danger de mort !
Par Geneviève Azam, Susan George, Jean-Marie Harribey et Pierre Khalfa.

Quatre représentants de l’opposition à la direction démissionnaire d’Attac
réagissent ici à la tribune de Bernard Cassen publiée dans « Politis », le
27 juillet. Le débat porte notamment sur le mode d’organisation de
l’association. Mais les auteurs reviennent aussi sur le scrutin de juin
dernier.

Dans une longue tribune, Bernard Cassen, s’exprimant à titre personnel, mais
quand même « comme président d’honneur d’Attac », donne sa conception de
l’avenir de l’association. Le débat politique public est en effet une
condition de la démocratie, voila pourquoi nous lui répondons.
Néanmoins, avant de revenir sur les points qui sont développés et qui
méritent discussion, il faut pointer un trou béant dans les propos de
Bernard Cassen. Un événement impensable s’est déroulé à Attac lors de
l’élection des représentants des adhérents individuels au conseil
d’administration lors de la dernière assemblée générale au mois de juin :
plusieurs études d’experts statisticiens, tant en interne qu’en externe (1),
ont montré que les « aberrations statistiques » constatées lors du scrutin
ne pouvaient s’expliquer rationnellement que par une fraude. Elle s’est
produite au profit du président sortant Jacques Nikonoff et de candidats le
soutenant. La synthèse des études des experts indépendants, qui avait été
demandée unanimement à René Passet, personnalité respectée par tous dans
Attac, confirme cette analyse.
Sous la pression de nombreux comités locaux et devant le refus de siéger de
nouveaux élus, de nouvelles élections ont été décidées une semaine à peine
après le résultat de l’assemblée générale de juin, preuve supplémentaire que
le scrutin n’avait pas été sincère. Elles n’auront cependant lieu qu’au mois
de décembre, laissant croire par là qu’il s’agirait d’autre chose que d’une
invalidation des résultats de juin. On comprend que Bernard Cassen, qui a
imposé Jacques Nikonoff comme président d’Attac il y a trois ans, et qui
demeure l’un de ses plus fervents soutiens, soit gêné et, dans sa tribune,
ne dise mot sur cette affaire. Mais taire cet événement disqualifie l’idée
même d’un débat démocratique.

Une fraude électorale n’est jamais un acte anodin, encore moins à Attac.
Cette situation, d’une extrême gravité dans une association d’éducation
populaire se donnant pour objectif la réappropriation de la politique par
les citoyens, oblige à prendre la mesure du séisme, qui va bien au-delà de
telle ou telle divergence politique. C’est l’identité d’Attac qui a été
touchée au c¦ur. Une fracture éthique s’est produite. Attac a besoin d’un
sursaut moral, tout autant que politique, et la condition de ce sursaut,
c’est avant tout de reconnaître les faits.
Or le silence de Bernard Cassen, les tentatives pathétiques de la part de
ceux qui ont bénéficié de la fraude d’en nier la réalité ou, pire encore, la
volonté d’intimidation (2) ne peuvent qu’aggraver la crise et pousser
l’affrontement aux extrêmes. Comment, en effet, continuer ensemble, comment
débattre sereinement d’éventuelles divergences politiques quand, de plus, un
tel événement fait suite à l’emploi depuis plusieurs années de méthodes de
direction autoritaires (3) marquées par un présidentialisme effréné ? Voilà
le drame de la situation actuelle, qui ne peut que réjouir nos adversaires.
Le débat politique n’en est pas moins nécessaire, et celui évoqué par
Bernard Cassen dure maintenant depuis un certain temps. Il fut l’un des
enjeux de l’assemblée générale de juin et concerne la nature de
l’association. Attac est une construction originale. C’est une association
d’adhérents individuels, dont une partie est regroupée en plus de 200
comités locaux, souvent eux-mêmes des associations, et qui permettent à
Attac d’agir au contact des citoyens au plus près du terrain. C’est un
conseil scientifique, dont les analyses et les travaux ont permis à Attac
d’acquérir une légitimité et une reconnaissance en matière de
contre-expertise et de fournir des éléments théoriques pour l’élaboration
d’alternatives. C’est enfin une association faite d’organismes divers, les « 
membres fondateurs » ­ syndicats, associations de développement,
associations féministes, mouvement des « sans », mouvements écologistes, de
l’économie sociale et solidaire, journaux, etc. ­, regroupés en collège,
intervenant sur des terrains différents, mais d’accord pour agir ensemble
contre la mondialisation néolibérale. Une telle configuration permet à Attac
d’élargir son audience, d’être un lieu où s’élaborent des analyses, des
résistances et des alternatives, à partir de postures au départ différentes.
La force d’Attac, c’est la synergie entre toutes ses composantes, depuis les
comités locaux jusqu’aux organisations fondatrices en passant par l’apport
des adhérents individuels et du conseil scientifique. C’est ce qui a fait
son succès et son caractère inédit. Attac est un lieu de convergence où
s’élaborent des stratégies singulières qui dépassent celles de ses
composantes et où s’affirme un projet inédit « d’association d’éducation
populaire tournée vers l’action ». Ses axes sont clairement identifiés
depuis sa création : déconstruire l’idéologie néolibérale, élaborer des
alternatives et construire les rapports de force pour imposer des
orientations nouvelles en termes sociaux et écologiques, s’inscrire dans le
mouvement altermondialiste.

L’objectif de Bernard Cassen, de Jacques Nikonoff et de leurs amis est d’en
finir avec cette configuration originale pour transformer Attac en une
simple organisation d’adhérents individuels. Ils avaient pour cela appelé
les adhérents à voter contre la liste présentée par le collège des
fondateurs lors de la dernière assemblée générale, espérant ainsi se
débarrasser des organisations qui y étaient présentes. Les adhérents ne les
ont pas suivis. Bernard Cassen agite l’étendard de l’indépendance de
l’association, mais serait bien en peine de donner le moindre exemple de
situation où celle-ci a été remise en cause par les organisations
fondatrices. Alors même que les fondateurs sont majoritaires au conseil
d’administration, ce sont eux-mêmes qui ont proposé que les représentants
des adhérents individuels aient la majorité des voix en son sein. Ils n’ont
jamais empêché Attac de prendre telle initiative ou telle position ; il n’y
a jamais eu d’opposition entre les fondateurs pris en bloc et les
représentants des adhérents individuels pris en bloc. Des désaccords
politiques peuvent certes exister, mais n’opposent pas fondateurs d’un côté
et adhérents de l’autre. Ils traversent toute l’association. Bientôt, avec
la réforme des statuts en cours, ces derniers seront majoritaires au conseil
d’administration, et tout risque de contrôle par les fondateurs sera
totalement exclu.
Seules les associations Attac de France et d’Allemagne ont réellement réussi
à construire un dispositif de cette nature, et ce n’est sans doute pas un
hasard si ce sont les pays où l’association s’est le plus développée. De ce
point de vue, réduire Attac à une simple association d’adhérents individuels
apparaît d’abord comme profondément appauvrissant. Cela amputerait Attac
d’une partie de ce qui fait sa richesse et son succès, et la priverait d’une
« force de frappe » non négligeable du point de vue de ses actions et de la
diffusion de ses idées.
Pourquoi alors une telle orientation ? À l’origine, il s’agissait uniquement
d’interdire aux fondateurs, très critiques sur le mode de direction et les
pratiques de Jacques Nikonoff, de participer à l’élection du futur président
et d’empêcher ainsi éventuellement sa réélection. Chemin faisant, le débat a
pris une autre tournure : Jacques Nikonoff, dans un texte écrit pour
l’assemblée générale de juin, refuse maintenant l’idée même qu’Attac puisse
être un lieu de convergence, ce que Bernard Cassen admet malgré tout au
détour d’une phrase dans sa tribune. Bernard Cassen pense, lui, qu’Attac est
en concurrence avec ses organisations fondatrices et doit donc défendre ses
« parts de marché politique ». Il est étonnant de voir comment l’imaginaire
social du néolibéralisme arrive à contaminer ceux-là même qui le combattent.
Avec cette vision d’Attac comme organisation à la recherche de « parts de
marché », Bernard Cassen veut jeter Attac dans la logique « de la
concurrence libre et non faussée » à l’opposé de la logique de la
solidarité. Non seulement il n’y a pas de concurrence, mais il y a un besoin
réciproque d’existence, de développement et d’articulation à construire
ensemble. Il faut faire vivre Attac comme un processus de symbiose,
c’est-à-dire l’association durable et réciproquement profitable entre
organismes vivants.

Vouloir faire d’Attac une simple association d’adhérents individuels aurait
une autre conséquence que Bernard Cassen fait semblant de ne pas voir. Le
domaine d’Attac est la lutte contre la mondialisation néolibérale, et
celle-ci touche de plus en plus d’aspects de la vie sociale. Le champ
d’intervention d’Attac s’est donc petit à petit élargi. Quelle est, dans ce
cadre, sa différence avec un parti politique ? C’est la conscience forte que
la réappropriation du politique par les citoyens ne passe pas par la
création d’un nouveau parti qui aurait une part de marché à conquérir et
pour cela reproduirait des pratiques ayant conduit à la crise politique que
nous avons devant nous. C’est l’espoir de voir émerger de nouvelles
pratiques et de nouvelles alliances pour la construction d’un autre monde.
Évidemment, Attac ne présente pas de candidats aux élections. Mais pourquoi ? Parce qu’Attac est justement ce lieu de convergence entre des individus et
des mouvements ayant des histoires et des choix politiques électoraux d’une
grande diversité.
Le fait qu’Attac joue ce rôle indispensable l’empêche de se transformer en
parti politique. La remise en cause de la nature d’Attac comme lieu de
convergence antilibéral, avec la mise à l’écart des organisations
fondatrices, ouvrira la porte ­ que ses partisans en aient conscience ou pas
­ à une logique de parti et à la transformation progressive de notre
association en parti, même si formellement l’appellation « association » est
maintenue. Déjà, en 2004, au moment des élections européennes, Bernard
Cassen, en liaison avec Jacques Nikonoff, avait lancé les listes dites « 100
% altermondialistes » qui se confondaient aisément, et pour cause, avec
Attac elle-même. Cette initiative, montée sans débats dans le dos de
l’association, avait à l’époque provoqué une crise importante.
Attac est donc doublement en danger de mort. D’abord, parce qu’une fraude
électorale a brisé net une confiance déjà bien ébranlée par le développement
de pratiques de direction bureaucratiques (4) ; ensuite parce que Bernard
Cassen et Jacques Nikonoff essaient de construire un projet pour en finir
avec une configuration qui a fait le succès d’Attac. C’est au moment où des
débats essentiels et souvent difficiles traversent le mouvement
altermondialiste dans son ensemble à propos des points de rupture à mettre
en avant, et des modalités et alliances pour les mettre en ¦uvre, qu’un
repli sectaire veut être imposé à Attac, reproduisant par là les pires
erreurs des mouvements d’émancipation qui nous ont précédés. Les prochaines
élections prévues au CA doivent donc être le moment d’un double choix, un
choix politique doublé d’un choix moral. Les adhérents d’Attac auront dans
leurs mains l’avenir d’une association qui a été « à nulle autre pareille ».

Geneviève Azam, Susan George, Jean-Marie Harribey et Pierre Khalfa

Geneviève Azam et Jean-Marie Harribey ont été élus au conseil
d’administration comme représentant les adhérents individuels.
Susan George, ancienne vice-présidente, et Pierre Khalfa, secrétaire
national de l’Union syndicale Solidaires, ont été élus au conseil
d’administration au titre des membres fondateurs.

(1) Les lecteurs intéressés peuvent se reporter à l’adresse suivante
http://hussonet.free.fr/pour avoir un aperçu de la discussion sur ce point.

(2) Jacques Nikonoff et Bernard Cassen ont porté plainte en diffamation
contre Thomas Coutrot, membre du conseil scientifique de l’association. Ceux
qui souhaiteraient lui manifester leur solidarité peuvent signer une
pétition de soutien à soutienthcoutrot@laposte.net

(3) Les lecteurs intéressés peuvent consulter utilement les contributions
des trois anciens vice-présidents d’Attac et d’un certain nombre d’anciens
élus du CA représentant les adhérents individuels
(http://france.attac.org/rubrique.php3?id_rubrique=716)

(4) Un exemple parmi d’autres de ces pratiques : au début de la campagne
référendaire, Jacques Nikonoff avait établi, sans même en parler au CA et au
bureau de l’association, une très courte liste de personnes autorisées à
intervenir dans les réunions organisées par les comités locaux ; vu le
nombre de réunions à couvrir, ces personnes ne pouvaient évidemment pas
répondre à toutes les demandes ; c’est d’ailleurs parce qu’un comité local
s’était plaint de ne pas pouvoir avoir d’intervenants que le pot aux roses a
été découvert, et il faudra plusieurs heures de « discussion » au CA d’avril
2005 pour qu’une liste comprenant toutes les personnes en capacité
d’intervenir sur le sujet soit enfin montée.

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