Commission d’enquête sur les élections au C. A. d’Attac. Rapport de Nuri Albala et René Passet. Preuve de la fraude.

jeudi 28 septembre 2006, par Webmestre

Veuillez trouver ci-joint le rapport - unanime -
de la Commission d’enquête, ainsi qu’en annexe
l’étude de Gérard Dumesnil et Dominique Lévy que
ladite commission a décidé d’annexer à son
rapport.

Commission d’enquête sur les élections au C. A. d’Attac

Rapport

I - RÔLE ET MEHODES DE TRAVAIL DE LA COMMISSION

Le C.A. à l’unanimité a mis en place une commission d’enquête pour « établir la preuve de la sincérité ou non du scrutin ; dans cette dernière hypothèse en identifier les causes »

Ses membres ont été désignés le 11 septembre 2006

- La commission s’est réunie une première fois le vendredi 15 septembre au siège sous la co-présidence de Nuri Albala et René Passet ;

Etaient également présents Catherine Agnias, Aymard de Camaret, Gérard Duménil, Emmanuelle Gaziello, Pierre Khalfa et Jacques Nikonoff.

- Elle s’est réunie une deuxième fois mardi 19 au siège où elle a entendu plusieurs salariés.

Etaient présents : René Passet, Nuri Albala, Catherine Agnias, Aymard de Camaret, Marc Delepouve (suppléant Pierre Khalfa), Gérard Duménil, Emmanuelle Gaziello, et Jacques Nikonoff.

- Elle s’est réunie une troisième fois mardi 26 septembre où elle a examiné le rapport réalisé par Gérard Duménil et Dominique Lévy, et que nous annexons. Etaient présents Nuri Albala, René Passet, Catherine Agnias, Aymard de Camaret, Gérard Duménil, Sabine Jauffret ( suppléant Emmanuelle Gaziello), Pierre Khalfa et Jacques Nikonoff.

- Entre ces réunions, des missions particulières ont été confiées à certains de ses membres - agissant en « tandems » - et ses deux co-présidents ont maintenu un contact permanent

La Commission a convenu qu’il n’était pas question de procéder à quelque modification que ce soit de sa composition bien que celle-ci soit un peu étrange, puisqu’on y trouve des personnes concernées par l’élection ou ayant participé au dépouillement : nous avons convenu que ce qui apparaît comme une anomalie devait être utilisé par nous comme un avantage : les deux « sensibilités » de l’association y sont représentées paritairement, mais chaque membre de la commission y siège à titre strictement personnel et indépendant.

La commission a arrêté unanimement ses méthodes et son plan de travail :

1- Le délai pour conclure, fixé au 25/26 septembre est extrêmement court, mais nous avons tous considéré qu’il fallait le respecter (à peu de chose près) dans l’intérêt de l’association, et de façon que la CNCL du 30 ait connaissance de notre rapport.

2- Des comptes-rendus des séances et des notes ou documents internes de travail ont été établis, confidentiels et de diffusion limitée aux membres de la commission ;

Un communiqué intermédiaire a été établi sous la responsabilité des deux présidents et diffusé sur l’ensemble des listes.

Comptes-rendus et communiqués préservent le total anonymat de « qui a dit quoi », en application du principe que chacun(e) est membre de la commission d’enquête, ni plus ni moins.

3- De la même façon l’anonymat est préservé pour tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, ont apporté des témoignages écrits ou oraux à la commission.

4- Les éléments d’information de la commission ont compris :

- Les témoignages écrits de tous ceux qui, ayant participé au dépouillement, ont ou auront accepté de faire un tel témoignage ;

- Les témoignages écrits de tous les salariés qui ont accepté d’en donner

- La déposition devant la commission des deux salariés dont la mission concernait plus particulièrement les élections, savoir Jean-Louis Sounes et Renaud Dumas.

- Les dépositions complémentaires proposées à la commission

- Les documents de travail de la commission sont tous ceux qui ont déjà circulé (y compris notamment les trois rapports d’experts indépendants et leur synthèse réalisée par René Passet) ainsi que les documents et rapports que chaque membre de la commission a été invité à lui soumettre en le « chapeautant » d’un brève note synthétique

5- Un membre de la commission s’est proposé pour réaliser une étude de certains groupes de bulletins dans l’espoir d’individualiser les bulletins faisant problème (et non plus seulement des groupes de bulletins faisant problème) afin que la commission en tire une analyse plus affinée : cela a été fait sous le contrôle de toute la commission. Cette démarche située sur un tout autre plan que les expertises demandées à des statisticiens indépendants n’avait pas valeur de contre expertise ; elle visait essentiellement à la recherche d’indices matériels pouvant contribuer à éclairer la commission.

6- Des salariés ont été entendus par la commission et ont fourni de nombreux éléments concrets permettant d’éclairer nos travaux.

Ces divers éléments ont été analysés

Précisons que nous avons essayé d’approcher au plus près possible les conditions concrètes réelles du dépouillement pour être certains de ne pas négliger quelque élément matériel que ce soit

7- La commission a recherché également les conditions d’imprimerie, diffusion, et stockage des bulletins de vote, et les a obtenus

La commission entière (puis une partie après le départ de deux membres, puis les deux présidents seuls pour des raisons de commodité et d’emploi du temps) ont questionné les salariés sur le trajet chronologique des bulletins :

30.000 bulletins pour l’élection des membres actifs commandés à l’imprimeur ont été livrés au siège les 15 et 16 mai. Ils sont tous repartis chez le routeur le 19 mai pour envoi aux adhérents, encartés dans le n° 52 de Lignes d’Attac.

(La même méthode, bien entendu, a été appliquée pour les deux autres scrutins qui ne nous intéressent pas ici)

531 sont revenus au siège dans les jours suivants avec la mention NPAI indiquant que le destinataire avait déménagé.

743 soit tous les reliquats des envois ont été retournés au siège suivant bon de livraison n° 328 du 31 mai par le routeur et ont été conservés au siège sans attention particulière s’agissant de reliquats de la revue avec, à l’intérieur, les bulletins pour les trois votes

C’est à la veille de l’AG du 17 que deux camarades sont venus au siège et ont amené à Rennes (pour que les présents à l’AG puissent voter sur place comme prévu) tous ces bulletins. Ainsi, dans l’optique de recherche des possibilités de fraude - comme tous ces bulletins n’ont pas été utilisés - il en est resté suffisamment à la disposition d’un éventuel petit groupe de fraudeurs ;

8- Elle a, finalement, reçu et examiné plus de quarante documents, plus de cinquante témoignages, procédé à quelques auditions (en plus des témoignages personnels de plusieurs membres de la commission), tenu trois réunions plénières, examiné physiquement nombre de bulletins et d’enveloppes et . beaucoup travaillé entre ces réunions.

II - Les opérations électorales elles-mêmes

Il était espéré que près de 200 militants participeraient aux opérations de dépouillement , qui ne pouvaient être que longues et complexes compte tenu du nombre de candidats et de postes à pourvoir ainsi que du grand nombre de votants ;

Or il est venu quatre fois moins de volontaires que prévu, ce qui a gravement perturbé le travail et a largement « noyé » tout le monde

En conséquence, les conditions du dépouillement ont été difficiles et parfois incohérentes.

La commission, dont la mission n’est pas d’insister sur ces difficultés, tient à souligner certains points :

- les salariés d’ATTAC, noyés et débordés, sans consignes claires et précises, ont colmaté les brèches comme ils ont pu et selon beaucoup de témoignages, du mieux qu’ils ont pu ;

- ce sont les instances dirigeantes et elles seules qui ont eu collectivement la haute main sur tout le processus, et les désordres constatés ne sont pas le fait des salariés ;

- de nouvelles élections vont avoir lieu bientôt et il importe que les mêmes errements ne se reproduisent pas.

La commission d’enquête et ses présidents sont à la disposition des instances qui seront chargées d’organiser les élections pour attirer leur attention sur les écueils principaux à éviter.

D’ores et déjà, il nous apparaît

a) qu’il faut que l’autorité chargée d’organiser les élections soit clairement désignée et s’abstienne de délégation et sub-délégation,

b) que chacun, qu’il s’agisse des salariés ou des personnes chargées du dépouillement, doit savoir exactement quelles sont les règles de celui-ci

c) que pour cela, une note écrite remise à chaque table paraît absolument nécessaire,

d) qu’aucune règle prévue (sur les heures de dépouillement par exemple) ne doit être changée en cours de route.


III - Les résultats du scrutin :

A. Les désordres signalés ci-dessus nous conduisent à conclure que les résultats du scrutin ne peuvent en aucun cas être considérés comme fiables car ils n’offraient aucune des garanties d’une consultation normale.

B. Les aberrations statistiques signalées ont évidemment particulièrement attiré notre attention.

Elles sont incontestables sur un certain nombre de lots et résultent des trois rapports statistiques et de la synthèse qui en a été faite par René Passet : ces éléments factuels sont acquis.

C. Quelles en sont les causes ?

La première condition pour progresser dans nos travaux était de ne jamais perdre de vue les questions auxquelles nous devions répondre. Et d’évaluer systématiquement l’importance des informations qui nous parvenaient au regard de ces questions. Cela pourrait ressembler à une banalité si, comme toute assemblée délibérante, nous n’étions exposés au risque de nous laisser porter par la logique des analyses ponctuelles successives auxquelles nous nous livrions ou par le flot des études, toutes plus « objectives » les unes que les autres,dont nous avons été littéralement inondés.

La question de savoir comment peuvent s’expliquer les fortes concentrations de voix portant sur une période et des candidats déterminés, exigeait bien évidemment un examen sérieux au niveau des lots et des lettres. Et nous y avons procédé. Mais il a fallu veiller à ce que, de fil en aiguille, cette logique ne se substitue pas à celle du phénomène global dont nous avions à rendre compte. Car, de ce point de vue, le tout ne se réduit pas à la somme de ses composantes. Un simple exemple illustrera ce point : quand un édifice en cours de construction s’effondre, l’examen des matériaux que l’on a utilisés - les pierres par exemple - s’impose ; mais il ne suffit pas que l’on ait détecté des défauts sur un certain nombre d’entre elles, pour en déduire qu’elles sont la cause de l’accident : encore faut-il savoir quel était leur nombre, et leur disposition ( concentrées ou réparties) sur l’ensemble de l’édifice ; en outre, ce constat ne nous dit rien sur la possibilité d’un vice plus général tel qu’un défaut de conception ou de réalisation. Il ne suffira donc pas de sortir son « microscope » et d’analyser les éléments constitutifs de l’ensemble.

Ainsi en est-il de notre problème. La logique des lots et des lettres n’est pas notre finalité . Les aberrations que nous pouvons trouver à ce niveau appellent immédiatement la question : « dans quelle mesure cela peut-il expliquer les anomalies globales que nous essayons de comprendre ? ».

Cette considération explique notre façon de procéder et la manière dont nous avons conduit nos investigations. Elle explique en particulier l’intérêt que nous avons porté à une étude physique directe du matériel électoral (paquets, enveloppes et bulletins).

Quand certains affirment que les experts sont partis d’hypothèses d’homogénéité ne correspondant pas à la réalité - et remettant donc en cause leurs conclusions - ils veulent dire en fait qu’un certain ordre initial de classement alphabétique n’a pas été respecté, c’est-à-dire qu’un mode d’organisation obéissant à une norme a été détruit.

La destruction d’un ordre peut se faire de deux façons :

1/ Par substitution involontaire - donc non frauduleuse - d’un désordre à l’ordre initial :

Nous pensons évidemment ici à l’immense « fantaisie » qui - faute de moyens - a présidé aux opérations de dépouillement. Paradoxalement, en dépit de ce qui a été dit, cette circonstance est de nature à fortifier les hypothèses d’homogénéité sur lesquelles se sont appuyés les experts et à faire apparaître les conditions matérielles d’une possible fraude.

- Elles fortifient les hypothèses des experts car, par définition, le désordre va dans tous les sens et, au niveau global, les déviations particulières se compensent : « plus on touille, plus on homogénéise (au sens propre) la sauce »- c’est pour cela que l’on bat les cartes - et plus on homogénéise plus le hasard s’installe et plus le système obéit aux lois de la statistique. Donc, rechercher l’explication des anomalies du côté du désordre qui par définition est aléatoire, revient à valider les études des experts : plus les écarts à l’ordre initial sont involontaires, nombreux et erratiques, plus l’application des techniques statistiques auxquelles les experts ont procédé se trouvent validées et plus les anomalies ne peuvent s’expliquer que par des phénomènes qui, eux, échappent aux lois du hasard.

- En revanche - et sur ce point tous les témoignages concordent - ces conditions étaient favorables comme le soulignent plusieurs témoins de tous bords, à la réalisation matérielle d’une fraude. Les conditions de protection du matériel électoral dépouillé ou en cours de dépouillement aggravent ce constat : alors que la porte d’entrée du local d’ATTAC donnant sur l’extérieur se trouve dotée d’une serrure sérieusement sécurisée, il n’en va pas de même des pièces intérieures ; notamment, la porte de celle où était entreposé ce matériel pouvait être facilement ouverte soit à partir d’une copie, facile à réaliser, de la clef, soit à partir d’un banal passe-partout.

Ceci doit être souligné, sans qu’on puisse encore en tirer la preuve qu’une telle fraude s’est effectivement produite .

2/ Par substitution d’un ordre différent à l’ordre initialement envisagé.

Cette seconde situation n’implique pas nécessairement l’existence d’une fraude, car deux cas peuvent se présenter.

- La substitution peut être involontaire : à ce sujet, deux types d’explications sont apparues dans nos débats : d’une part des « effets de tri », et d’autre part des effets de « dates ».

Nous sommes donc tenus de leur accorder une attention particulière. Si, en effet, les phénomènes invoqués suffisent à expliquer les anomalies constatées, cela rend inutile l’hypothèse qui suit.

- Cette substitution peut être volontaire, c’est-à-dire frauduleuse ; peut-être faudra-t-il envisager cette éventualité comme un aboutissement de nos travaux si aucune autre explication ne peut être retenue . Nous voulons dire par là qu’un minimum d’objectivité s’oppose à ce que cette hypothèse soit considérée comme un point de départ. Et, ajoutons tout de suite, que le défaut d’autres explications ne saurait suffire à l’établir si nous ne disposons pas de preuves formelles.

Nous avons donc attaché une importance particulière aux effets de tri et de date le plus souvent invoqués comme phénomènes explicatifs.

Nous les avons examinés en nous demandant dans quelle mesure leur éventuelle apparition au niveau des lettres et des lots a pu avoir une incidence au plan global.

a) Nous avons appelé « effet de tri » la pratique de certains dépouilleurs ayant consisté - à des fins d’accélération des travaux - à pré-sélectionner les bulletins par tendances et à compter séparément chacun des demi lots ainsi constitués. Il est évident que, si l’ensemble des bulletins avaient pu être comptabilisés dans la même journée, cela n’aurait eu aucune incidence sur le « profil chronologique » des résultats ; mais il semble qu’il n’en soit pas ainsi et que les demi lots aient parfois donné lieu à des décomptes étalés sur deux journées. Si donc les bulletins de la tendance X ont seuls été effectivement dépouillés le premier jour et les bulletins Y le lendemain, on pourra assister à des renversement spectaculaires de majorité, résultant de manipulations certainement malencontreuses mais n’ayant aucun caractère frauduleux. Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que ces bulletins soient suffisamment nombreux et que les dépouillements concernant chacun des demi lots se soient situés à cheval sur la période considérée comme normale et la période faisant l’objet de contestation. En fait, il ressort des témoignages des scrutateurs que cette pratique est restée très exceptionnelle, n’ait concerné qu’un très petit nombre de lots et donc ne puisse expliquer les renversements de majorité constatés d’une période à l’autre.

De plus cette pratique aurait entraîné non seulement une accumulation de bulletins d’une certaine tendance sur un dépouillement, mais aussi comme corollaire nécessaire une accumulation de bulletins de l’autre tendance dans le dépouillement précédent ou suivant : or les investigations particulières auxquelles nous allons faire allusion un peu plus loin , n’ont révélé aucune accumulation de ce type.

b) Nous avons appelé« effet de date » la possibilité que des événements survenus pendant la période au cours de laquelle les militants ont exprimé leur suffrage aient affecté au cours du temps les choix des électeurs. De tels effets auraient pu se manifester en dépit du classement par lettres des paquets si les mélanges des enveloppes parvenues au siège à des dates différentes n’ont pas été correctement effectués.
L’imperfection des brassages semble bien avoir été le cas, malgré les différentes manipulations qui se sont produites soit conformément à la procédure soit au cours de la répartition des enveloppes entre les tables de scrutateurs.
Un pointage des paquets d’enveloppes appartenant à la lettre B - correspondant de loin au plus grand nombre de bulletins - a fait apparaître effectivement une forte prédominance des lots dans lesquels un regroupement selon la date d’arrivée des bulletins subsiste en dépit du classement par lettres. Un ordre chronologique est donc venu s’infiltrer dans le classement alphabétique. A priori ce phénomène a pu favoriser la manifestation d’un effet de date. Mais il ne suffit pas de constater ce fait au niveau des lots et des lettres. Il faut se demander quels sont les événements qui auraient pu affecter le comportement global des électeurs sur une période concentrée du temps des dépouillements. Certains évoquent l’appel de Susan George qui a pu attirer un plus ou moins grand nombre de suffrages, suivi en sens inverse, de la lettre des 32 militants et d’une forte campagne auprès des adhérents pour les appeler à voter en faveur de l’équipe en place. Mais, l’appel de Susan est daté du 20 mai ; la « contre-offensive » démarre trois jours plus tard, et ne sont pris en compte que les suffrages postés jusqu’au 9 juin. Peut-être - et même sans doute - certains votes survenus à partir du 23 mai ont-ils été influencés par rapport à ceux qui ont précédé, mais on ne parvient pas à s’expliquer par quel mécanisme, au niveau global, les effets de l’appel de Susan se seraient systématiquement concentrés sur la période de dépouillement antérieure au 14 juin et ceux de la contre offensive sur les journées des 14 et 15 juin.
La question se pose d’autant plus que la proportion de lots correctement mélangés n’est pas nulle et que le retournement de tendance ne peut s’être manifesté qu’à travers une partie des bulletins incorrectement brassés. Au total, il est douteux qu’elle ait pu suffire à renverser une tendance générale.

Cette observation est renforcée par celle-ci : un tel effet de date se serait nécessairement produit de façon relativement homogène sur toutes les lettres de l’alphabet, et non pas, comme c’est le cas, largement sur certaine lettres et pas du tout sur d’autres

Cette question de l’effet de date concerne en outre la validité des données sur lesquelles ont travaillé les experts indépendants : le décompte de l’huissier, sur lequel ils se sont appuyés, nous dit-on d’une part, aurait été invalidé par l’inventaire qui a suivi et aurait fait apparaître, selon les comptages, entre 661 ou de 720 bulletins non répertoriés, toutes lettres confondues ; ces bulletins étant parfaitement typiques, nous dit-on d’autre part, valideraient au contraire les premiers résultats et constitueraient un argument en faveur de la fraude. En fait, il semble qu’ils ne puissent être invoqués ni dans un sens ni dans l’autre : car, si comme personne ne le nie, ils sont parfaitement « typiques », leur prise en compte ne modifierait en rien la distribution à laquelle aboutit le comptage de l’huissier et sur laquelle s’appuient les experts ; à l’opposé, la portée de leur retour à une forme typique proche des résultats initiaux se trouve amoindrie par le fait que les 171 bulletins parvenus au siège et ouverts le 15 juin (donc non susceptibles de fraude), sont fondus dans l’ensemble et ne peuvent plus être identifiés ; on ne saurait donc les invoquer en faveur d’un retour aux équilibres des premières journées.

Aucun de cet ensemble d’éléments n’est totalement convaincant.

c) Il restait donc à examiner l’hypothèse de manipulation frauduleuse. La méthode mise en ouvre par un membre de la commission, avec l’accord de cette dernière, consiste à faire apparaître, par une analyse factorielle le degré de proximité des différents bulletins en fonction de leur similitude. Elle s’attache indifféremment à tous les types de bulletins et, le fait qu’une tendance émerge plutôt qu’une autre - la tendance Nikonoff en l’occurrence - constitue un résultat ne découlant pas d’un intérêt particulier qui lui aurait été porté a priori. Si des phénomènes similaires avaient affecté la tendance opposée, ils seraient spontanément apparus de la même façon. La méthode met en évidence, un nombre élevé de votes absolument similaires parmi lesquels un examen plus fouillé, permet de dégager deux - peut-être trois- stratégies (ou consignes) de sélection, dont une largement prédominante. Lorsque l’on consulte directement les bulletins concernés, le fait troublant est qu’à chacune de ces stratégies correspond une façon particulière de cocher les cases. Ceci est particulièrement net en ce qui concerne la stratégie dominante qui se caractérise par une façon très particulière de former les croix, dans laquelle on trouve les mêmes déformations et dont le graphisme exprime la même fébrilité : tous les bulletins, visiblement remplis de la même main, reconnaissables au premier coup d’oil, sont à la fois très semblables entre eux et très différents des autres.

Nous croyons bon de reproduire ici intégralement le résumé des conclusions qui figure dans l’étude , laquelle est, par ailleurs, jointe dans son intégralité ,en annexe du présent rapport : « Le résultat principal de cette investigation est l’établissement de l’existence de la fraude sur des bases distinctes de celle du Rapport Passet. L’évidence provient d’un fait inattendu : le caractère très aisément identifiable d’un des fraudeurs dans sa manière (souvent hâtive) de cocher les cases des bulletins, première signature de la fraude. Elle est confirmée par le caractère méticuleux et systématique de certaines procédures de camouflage de la fraude ; ces précautions se retournent contre leurs auteurs, fournissant une seconde signature de leur acte. La combinaison des deux éléments, déjà probants en eux-mêmes, montre la cohérence de l’ensemble.

Nous utiliserons les épithètes « georgien » et « nikonovien » pour renvoyer aux candidats des deux « listes » ou « groupes ». Dans la suite de ce rapport, on parlera de « listes », qu’elles soient explicites ou de fait.

En simplifiant, on peut résumer les observations principales de la manière suivante :

1) Pour une partie des bulletins fraudés, dits « camouflés », les votes portent toujours sur les 16 candidats nikonoviens les mieux placés, accompagnés de 7 autres candidats, non-nikonoviens n’ayant aucune chance d’être élus, et, alternativement, soit Aurélie Trouvé, soit Jean-Marie Harribey, deux personnalités majeures de la liste Susan George (qui, eux, étaient élus à coup sûr).

2) Pour une autre partie des bulletins fraudés, on observe un vote exclusif pour les candidats de la liste de Jacques Nikonoff, en général pour les 24 candidats nikonoviens les mieux placés.

3) Nombre de ces bulletins sont identiques ou diffèrent légèrement (23 ou 22 voix pour les mêmes candidats sur un total de 24 au maximum). Dans le cas du lot B4, par exemple, il s’agit de 39 bulletins, soit 41% des bulletins non nuls du lot. De telles proximités n’existent pas pour les votes portant sur la liste Susan George.

4) L’analyse des manières de cocher révèle plusieurs styles : (1) le style du fraudeur évident, et (2) deux ou trois autres manières de cocher moins spécifiques.

5) Il est facile de vérifier la correspondance des votes des bulletins remplis par le fraudeur évident et les configurations de votes ci-dessus. Par exemple, dans les lots B3, B4 et B5, on trouve deux sous-groupes de bulletins, respectivement de 15 et 16 bulletins, dont les votes sont parfaitement identiques dans chaque sous-groupe, qui sont tous clairement de la main de ce fraudeur évident. Au total, il a rempli, au moins, 47 bulletins sur 85 suspects dans ces trois lots B3, B4 et B5, qu’on peut alors qualifier de « fraudés ».

6) Nous pensons identifier plusieurs fraudeurs pour deux raisons : a) les styles sont si distincts qu’il est difficile d’imaginer qu’ils proviennent de la même main, et b) diverses personnes semblent s’être réparties des configurations de votes (pour quels candidats voter) particulières. Seule une étude d’un plus grand nombre de lots permettrait de préciser ce point.

En marge de ces observations, cette étude confirme l’existence d’effets de liste, guidant les votes. Cet effet apparaît pourtant atténué dans les lots fraudés. Le nombre des bulletins massivement alignés sur la liste de Susan George s’y trouve réduit (dans le cas du lot B4, à l’unité), puisque des bulletins ont été retirés pour permettre l’introduction des bulletins fraudés ».

Le constat ci-dessus se trouve conforté par celui qu’ont effectué deux autres membres de la commission ( remarquons au passage que toutes les démarches effectuées au sein de cette dernière ont été menées « en tandem » par des membres représentant les deux tendances représentées ) qui, explorant le lot B4 - tout à fait indépendamment de l’étude précitée - avaient spontanément isolé, afin de les soumettre à la commission, 24 bulletins qu’il avaient jugés anormalement similaires dans leur apparence et dont le graphisme se révèle correspondre très exactement à celui auquel nous venons de faire allusion . Sur leur proposition, ces deux membres ont reçu mission d’explorer, pendant le week-end, le maximum de lots jugés atypiques à la fois par l’une et l’autre parties, afin de vérifier s’ils conduisent à des constats similaires. Cette exploration, quoique n’ayant pu, faute de temps, être menée sur l’ensemble des lots concernés , a révélé un certain nombre de bulletins suspects dont 10 correspondant au modèle « fébrile » dominant, dans le lot B3 et 6 de même nature dans le lot L4.

Dans l’état actuel des choses, il nous faut bien admettre avec une grande tristesse, que nous avons sous les yeux la preuve matérielle d’une fraude que la fébrilité de l’un de ses auteurs rend encore plus évidente.

CONCLUSION

Cette conclusion s’impose au terme d’une démarche progressive qui s’est appliquée à explorer toutes les hypothèses et que nous retracerons ainsi :

- Les trois études statistiques menées par six experts indépendants - dont l’un d’entre nous avait présenté la synthèse –aboutissaient à la très forte improbabilité statistique des retournements de votes constatés pendant la période du dépouillement et à la mise en évidence de lots de bulletins fortement atypiques. Une discussion s’est alors engagée sur les hypothèses de départ sur lesquelles reposaient les conclusions des experts ;

- La présente commission d’enquête, composée par les représentants des deux tendances opposées, s’est donc attachée à vérifier ce point et à explorer prioritairement toutes les hypothèses pouvant expliquer autrement que par la fraude les anomalies constatées ; aucune explication satisfaisante n’a pu être retenue, concernant notamment l’existence d’un biais au niveau des hypothèses des experts ;

- Nous nous sommes donc résolus à explorer, en dernier ressort, l’hypothèse de fraude ; précisons que, si celle-ci n’avait donné aucun résultat matériellement vérifiable, elle aurait également été écartée et la commission aurait reconnu son incapacité à se faire une opinion. L’analyse - plus particulière mais non exclusive - des lots réputés atypiques a fait apparaître des ensembles de bulletins suspects dont l’examen a révélé qu’ils avaient été massivement réalisés par deux ou trois mains et dont le contenu a révélé des « stratégies » évidentes.

- Nous précisons que nos constatations, à nos yeux irréfutables, établissent que deux ou trois personnes se sont livrées à ces opérations, et que rien ne permet de les attribuer à un groupe plus important

A ce stade, nous pouvons déclarer en conscience que la preuve matérielle d’une fraude en faveur de la tendance favorable à la présidence sortante est établie. Pour nous, ce constat clôt toute controverse concernant ce point.

Rapport établi par les deux coprésidents :

Nuri Albala , René Passet

et adopté par l’ensemble des membres de la commission :

Catherine Agnias,
Aymard de Camaret,
Marc Delepouve,
Gérard Duménil,
Emmanuelle Gaziello,
Sabine Jauffret
Pierre Khalfa,
Jacques Nikonoff

Jeudi 28 septembre 2006

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1 Message

  • La fraude est établie : quels enseignements ? Le 28 septembre 2006 à 19:52

    Michel Husson

    La commission d’enquête va livrer sous peu ses conclusions, qui établissent matériellement la fraude. C’est, en un sens, une bonne nouvelle (si l’on peut dire) qui va permettre de sortir de la situation incertaine où s’opposaient deux "hypothèses", celle de la fraude, et celle de la constitution malencontreuse de lots "atypiques" lors du dépouillement. Chacun est dorénavant face à ses responsabilités. Maintenant, quelques commentaires.

    1) nous avons perdu trois mois. La fraude était statistiquement démontrée par diverses analyses disponibles fin Juin, entre autres ma Radiographie d’une blessure ( http://hussonet.free.fr/fraude.pdf) que la Commission d’enquête corrobore entièrement. Les rideaux de fumée ont pourtant été nombreux, la dernière contribution en date étant celle de Marie Bougnet, Michel Fenayon, Alain Gély et Michel Lasserre, intitulée L’alternative à « l’hypothèse-fraude » : quatre approches complémentaires ( http://hussonet.free.fr/antifr4.pdf). Quelles que soient les motivations des anti-fraudistes, ils ont contribué à retarder le moment du nécessaire sursaut en entretenant, sur des bases erronées, le doute sur la réalité de la fraude.

    2) il n’est pas inutile de tirer un premier bilan de cette polémique, d’abord sur un plan scientifique. Le programme de travail des anti- fraudistes était fondé sur plusieurs postulats. Le premier était que l’analyse statistique ne pouvait prouver quoi que ce soit : ce principe était développé à partir d’une série d’arguments, plus ou moins élaborés. Dans la version fruste, il y a eu la référence de Testart à une étude aux résultats idiots, ou au gagnant du Loto qui avait peu de chances de gagner mais n’a pas pour autant fraudé. Il y a eu, plus « scientifiquement », la remise en cause de l’arbitraire dans la définition des seuils permettant de repérer les lots « atypiques ». Piètre conception de l’éducation populaire.

    Second postulat : puisque l’analyse statistique ne peut rien prouver, ceux qui concluent à la fraude ne peuvent être animés que par un biais idéologique systématique, bref ils font preuve de malhonnêteté intellectuelle, ou bien sont carrément incompétents. Quand ces procès d’intention ne suffisaient pas, on mobilisait un réflexe apparemment « démocratique » mais en réalité populiste, en faisant feu sur les experts arrogants qui prétendent tout savoir de tout. Piètre conception du débat citoyen.

    Troisième postulat (ou sophisme) : puisque la fraude ne peut être prouvée et qu’en plus on préférerait qu’elle n’ait pas eu lieu, il faut alors rechercher des hypothèses alternatives, à la crédibilité équivalente, de manière à créer un sentiment d’indécidabilité, quitte à s’en remettre à la commission d’enquête en pensant qu’elle ne permettrait pas de sortir de l’incertitude. C’est une démarche scientifique de considérer toutes les hypothèses possibles. Mais faut- il encore que ces hypothèses alternatives rendent compte de l’intégralité des faits observés. Or, la démarche des anti-fraudistes a consisté au contraire à nier la réalité de ces faits, et en particulier le ciblage des lots atypiques sur les candidats pro- Nikonoff éligibles au vu du décompte disponible à mi-parcours du dépouillement. Il était évident que ce fait, que j’avais mis en lumière dans mon document du 26 juin cité plus haut, ne pouvait être intégré aux hypothèses alternatives. Inutile de revenir ici sur les hypothèses plus ou moins paranoïaques qui n’honorent pas ceux qui les ont diffusés. Piètre conception de l’intégrité intellectuelle.

    Conclusion : les anti-fraudistes, malgré les titres dont ils se réclamaient, se sont trompés. Mais la sociologie du champ scientifique a depuis longtemps établi que les conséquences ne seront pas trop lourdes. Ils pourront toujours dire qu’ils étaient de bonne foi et qu’ils se sont contentés de montrer que la fraude était « très peu probable ». Cet argument n’est pas recevable : la fraude était établie avant même les résultats de la commission d’enquête qui ne font que corroborer point par point les résultats d’une analyse statistique correctement menée. Ce point est important : sinon, c’est la négation de toute démarche scientifique. Il y aurait d’un côte les analyses statistiques qui peuvent raconter n’importe quoi, et seule la vérification super-empirique permettrait de trancher. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne : les théories anti-fraudistes ne sont pas devenues fausses après l’examen détaillé des bulletins, elles l’étaient avant.

    3) sur un plan plus politique, la première conclusion à tirer est que Cassen et Nikonoff doivent immédiatement retirer leur plainte contre Thomas Coutrot. La phrase incriminée de son texte (« qu’il l’ait organisé directement, qu’il l’ait incité ou qu’il l’ait seulement laissé faire, le noyau directionnel croyait manifestement (sans doute à juste titre) tout perdre en perdant l’élection du 17 juin »), n’est plus une diffamation, mais une affirmation dorénavant prouvée.

    La seconde est qu’Attac doit porter plainte contre X.

    La troisième est qu’il faut passer d’une politique de l’autruche à une prise de responsabilité. La blessure morale infligée à Attac ne peut se refermer si les fraudeurs sont toujours parmi nous. Il faut espérer que l’éradication sera possible, sinon Attac restera un grand corps malade.

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