Pour une Attac altermondialiste et démocratique

mercredi 6 septembre 2006, par Webmestre

article publié le 6/09/2006
auteur-e(s) : Texte collectif

La marchandisation du monde et l’extension du libre-échange se poursuivent. Face à elles, les luttes pour la démocratie, la protection sociale, les services publics, la préservation des biens communs, l’instauration de rapports Nord-Sud équitables, la diminution de la pauvreté et des inégalités, une production et une consommation écologiques, seront vitales. Comme elles mettront en cause la logique globale du profit et le rapport des sociétés à la nature, elles ne pourront s’engager que si nous bâtissons des réseaux de réflexion et d’action de plus en plus larges réunissant tous les continents. C’est tout le sens et toute la difficulté pour le mouvement altermondialiste de passer d’une dénonciation du néolibéralisme à la construction d’alternatives. La responsabilité d’Attac, qui a un rôle à jouer en France et ailleurs, est donc directement engagée. Or un voile vient de se déchirer au sein de notre association, rendant plus urgents une clarification politique et un renouvellement des instances d’animation et de direction.

1. La présomption de l’impensable fraude électorale
Prenons d’abord conscience que l’impensable a pu se produire au sein d’une association qui prétend offrir une alternative démocratique : un grand nombre de faits tendent à montrer qu’une fraude a été commise lors de l’élection des représentants des adhérents individuels au Conseil d’administration (CA). Notre identité et le cœur de notre engagement pour qu’un « autre monde devienne possible » sont atteints. Un tel séisme interdit de renvoyer dos à dos tous les protagonistes des conflits qui traversent Attac depuis trois ans. Que ceux qui dirigeaient Attac aient profité d’un CA dont l’élection est entachée d’une grave présomption de fraude pour proroger leur pouvoir, comme si de rien n’était, constitue une faute politique majeure. Un voile se déchire car, derrière des divergences politiques normales, on s’aperçoit que l’exigence morale de ne jamais enfreindre les règles du « vivre ensemble » n’était pas unanimement partagée. Nous proposons aux adhérents de prendre une première décision : tout faire pour qu’il n’y ait plus jamais ça dans Attac. À la condition de rétablir une morale des comportements - qui ne s’obtiendra jamais devant des tribunaux -, il sera possible de clarifier les options politiques qui s’offrent à nous.

2. Une clarification politique
Pourquoi les enjeux politiques ne sont-ils apparus que lentement ? D’abord parce qu’ils ne pouvaient se dessiner vraiment tant que nous étions dans une phase d’« antimondialisme » plus que d’« altermondialisme ». Ensuite parce que, en plusieurs circonstances, le noyau de direction d’Attac s’était rallié in extremis aux positions majoritaires dans l’association. En 2003, il avait mis en cause par voie de presse certaines composantes du mouvement social, dont la Confédération paysanne, puis avait dû tempérer ses propos. En 2004, après avoir imaginé des listes « 100% alter » aux élections européennes, il avait finalement retrouvé une vertu consensuelle pour refuser la transformation d’Attac en parti politique. En 2005, il avait cédé devant la volonté d’une large majorité de comités locaux (CL) de mener, à partir de nos positions, une campagne unitaire contre le traité constitutionnel européen. De plus, la remise en cause des logiques économiques et sociales actuelles ne peut se faire sur une base exclusivement nationale. Ainsi, la critique du productivisme global n’est pratiquement pas prise en compte par la présidence actuelle d’Attac. Or nous devons approfondir la réflexion sur le fait qu’un autre emploi, une agriculture sans OGM ni intrants destructeurs, une production de services publics et de services non marchands accessibles à tous, une consommation responsable et une répartition mondiale juste des richesses sont des objectifs étroitement liés qui exigent de repenser la nature du développement, qu’on ne peut assimiler à une croissance perpétuelle.

Ces divergences renvoient à la nature d’Attac et à sa place dans l’altermondialisme. Elles ont été mises au jour dans les rapports avec le mouvement social et citoyen dont les nouvelles formes de lutte, par exemple la désobéissance civique (comme celle des faucheurs volontaires), sont trop souvent regardées avec méfiance. Le renforcement d’Attac passe par celui du mouvement altermondialiste et non par la tentation de le dominer ou de s’en abstraire.

L’originalité d’Attac est d’être à la fois une association rassemblant des adhérents individuels, souvent regroupés dans des CL, et des organisations (syndicats, associations, organes de presse) intervenant sur des sujets différents, mais unis pour agir contre le néolibéralisme. La raison d’être et la force d’Attac sont la synergie entre toutes ses composantes au service d’un projet : démystifier l’idéologie libérale, proposer des alternatives et construire les rapports de force nécessaires pour les imposer. Il faut poursuivre dans cette voie pour tirer le meilleur parti de notre diversité.

Une obscure polémique a été entretenue au sujet d’une prétendue volonté des membres fondateurs de couper les ailes d’Attac en lui refusant le droit d’avoir son projet propre, car elle leur ferait de l’ombre. En fait, cette accusation a jailli le jour où nombre de membres fondateurs ont exprimé ouvertement leur refus de voir Attac se transformer en une organisation traditionnelle et, au contraire, réaffirmé leur attachement à l’invention permanente d’une autre manière d’intervenir dans la vie politique.

Car là est le nœud du problème : si nous transformions Attac en une association composée uniquement d’individus, nous perdrions la possibilité qu’elle soit un creuset, un lieu où se construisent des convergences entre acteurs différents, mais tous confrontés aux politiques néolibérales. En choisissant au contraire d’être partie prenante du mouvement social et citoyen, Attac s’interdit de s’engager dans la compétition électorale, de manière ouverte ou déguisée, sans se désintéresser pour autant des enjeux des échéances politiques. Elle peut ainsi rester fidèle à sa vocation à faire se rejoindre, par l’éducation populaire, les actions de rupture avec le néolibéralisme, par-delà les engagements éventuels divers de ses membres dans des partis.

Cette démarche est la garantie de la diversité de notre association qui est sa force première. Elle seule est en mesure de faire aboutir un projet de Manifeste qui rassemble les adhérents (individus et personnes morales), les CL, les commissions, le Conseil scientifique, sous la conduite d’un CA représentatif de toutes les sensibilités. Elle conditionne la définition des points clés de rupture avec le néolibéralisme : l’arrêt de la marchandisation, l’imbrication du social et de l’écologie, la justice, l’égalité de droits, dont celle entre hommes et femmes, la solidarité avec tous les peuples de la terre, notamment par la mise en place de taxes globales, la démocratie comme principe directeur de toutes les sphères de la société. Pour cela, Attac doit continuer d’être un lieu de convergences antilibéral, de s’investir dans la construction du mouvement social et citoyen altermondialiste, en particulier avec toutes les Attac du monde, et de participer activement aux forums sociaux mondiaux, continentaux et locaux.

Si cette démarche est confirmée, de nombreux débats adjacents, mais pas secondaires, par rapport à l’axe de lutte contre le néolibéralisme, pourront s’affiner et trouver peu à peu une expression commune. Ainsi en est-il de la laïcité, dont certains veulent faire un point de clivage partisan au sein d’Attac. Le choix en faveur d’une République démocratique et laïque est un dénominateur commun et non l’apanage de quelques-uns. Il résulte du fait qu’Attac s’inscrit dans une histoire sociale de deux siècles : celle de la lutte du travail contre le capital, pour l’émancipation humaine, pour les valeurs progressistes de solidarité et de justice contre celles de droite qui prônent l’enrichissement personnel et la loi du marché. La laïcité offre une garantie en faveur de la liberté et un rempart contre le morcellement communautariste. Et elle nous aide à penser un fonctionnement démocratique préservant l’expression de tous.

3. Un renouvellement des instances d’animation et de direction
Ces engagements sont cohérents avec la manière dont nous souhaitons animer l’association. Déjà, en 2000, lors de l’assemblée générale de St-Brieuc, nous avions œuvré à la création d’une Conférence nationale des comités locaux (CNCL), première reconnaissance des CL, tenus alors en suspicion par le président de l’époque. Plus tard, nous avons obtenu de modifier les statuts et de donner une place majoritaire aux adhérents individuels au sein du CA. C’est aujourd’hui un principe reconnu par tous qui sera, espérons-le, validé prochainement.

Il faut maintenant faire un pas de plus. L’assemblée de La Roche-sur-Foron en 2005 a retenu l’idée d’aller vers une co-présidence. Le noyau de direction l’a ignorée dans la modification des statuts en cours. Nous proposons de la mettre en œuvre dans la prochaine mandature. Ce n’est pas une utopie irréalisable, puisque nombre de CL fonctionnent déjà de cette façon et certaines Attac hors de France fonctionnent même sans présidence. Il s’agit de développer un mode de décision collégiale à tous les niveaux, de donner plus de responsabilité aux CL et aux adhérents dans la définition des orientations. C’est une manière de traduire dans les faits la volonté de rassembler dans l’association des cultures et pratiques militantes diverses, à l’encontre d’une dérive présidentialiste et de tous les risques d’autoritarisme que celle-ci comporte.

Attac est née dans le contexte de l’émergence d’un mouvement de résistance à la mondialisation capitaliste néolibérale. Elle est confrontée aujourd’hui à la maturation de ce mouvement qui essaie de définir des alternatives. Nous devons collectivement préparer le franchissement d’une nouvelle étape, en termes d’objectifs, de moyens d’organisation et de fonctionnement internes, et aussi d’éthique pour restaurer la crédibilité d’Attac et retrouver un chemin fédérateur. Il nous appartient de tirer les leçons de ce qui a fait la force mais aussi les faiblesses de notre association, pour reconstruire la confiance et retrouver la pleine capacité d’œuvrer ensemble à la réalisation d’un espoir qui ne peut s’éteindre : celui d’un monde plus juste et plus démocratique.

Signataires :
Geneviève Azam ; Christelle Baunez ; Chloë Bénéteau ; Jacques Cossart ; Christian Delarue (MRAP) ; Marc Delepouve (FSU) ; Susan George ; Jean-Marie Harribey ; Pierre Khalfa (Union syndicale Solidaires) ; Gus Massiah (CRID) ; Isabelle Mercier ; Christian Pilichowski (UGICT-CGT) ; Annie Pourre (DAL) ; Gérard Régnier (AC !) ; Lysiane Rolet ; Jean-Émile Sanchez (Confédération paysanne) ; Anne-Françoise Taisne (Fédération Artisans du Monde) ; Aurélie Trouvé ; Bénédicte Veilhan

Répondre à cet article