De la stratégie de Lisbonne à la nouvelle loi française sur l’université (LRU) : la mise en œuvre d’un projet de société

dimanche 18 novembre 2007, par Webmestre

LRU : un président d’université PDG aux super pouvoirs et la porte ouverte à toutes les dérives marchandes

De la stratégie de Lisbonne à la nouvelle loi française sur l’université (LRU) : la mise en œuvre d’un projet de société

La LRU (« Loi relative aux libertés et responsabilités des universités ») fait du président de l’Université un véritable PDG qui dispose de pouvoirs renforcés dans le conseil d’administration, notamment grâce à son pouvoir – exclusif – de recruter des CDD et des CDI (art. 19) et à son droit de veto sur l’affectation des fonctionnaires. Avec l’autonomie financière, qui ne s’accompagne pas des financements publics nécessaires pour y subvenir, ses pouvoirs s’élargissent considérablement en termes de limitation de l’emploi (art.18) et de gestion du patrimoine (art. 32).

Les problèmes financiers s’accompagneront donc "naturellement" de recours à une main-d’œuvre précaire, à des coupes budgétaires dans certaines filières, voire à la revente du patrimoine immobilier de l’Université. Une autre solution de financement est ouverte par la réforme : subvenir aux besoins grâce à des financements privés, sous la forme de fondations.

Qui va se plaindre de ce qui est présenté comme de simples aménagements permettant ces rallonges budgétaires… dont notre Université a en effet tant besoin ?

La LRU : une mise à disposition du privé

C’est qu’il faut encore lire entre les lignes de ce texte. Hier on disait « loi d’égalité des chances », et c’était en fait le CPE et la précarisation. Aujourd’hui, l’autonomie ressemble étrangement à une mise sous tutelle… du privé.

Qui peut nier que la possession des médias, de la presse, par de grands groupes privés a une conséquence sur la ligne éditoriale ? Eh bien pour l’Université, ce sera le même mécanisme. En dehors du financement privé, point de salut. Gare à ne pas oublier de bien caresser le généreux « mécène » dans le sens du poil !

La LRU et l’Europe : la stratégie de Lisbonne en action

C’est à la manière des entreprises de presse, invitées à vendre du papier comme on vend des patates, que l’éducation est appelée à devenir un produit comme un autre.

La LRU s’inscrit dans un chef-d’œuvre de la musique néolibérale, dont la partition est écrite par l’OMC : il s’agit de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Cette pièce est mise en musique par l’Union européenne, via la stratégie de Lisbonne, qui souhaite faire de l’Europe « une économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». Avec un objectif : « l’élimination des entraves aux services » [1].

LRU : la recherche de la rentabilité, nouvelle mission pour l’Université

C’est clair : l’Université doit fonctionner comme une entreprise, en adopter les codes [2]. On invite à apprendre aux étudiants « l’esprit d’entreprise », à s’accomplir, à réussir leur vie (comme chantait Bernard Tapie dans les années 1980). Face à la menace d’un chômage persistant, l’étudiant est invité à adopter des « stratégies » individualistes, à maximiser ses « investissements scolaires », et à se préparer à devenir un bon petit soldat du marché.

Car, si on peut concevoir l’Université en termes d’égalité de traitement social, de démocratie, de savoir et de réflexion, cela ne rentre pas dans les critères de rentabilité chers à l’Union européenne : une main-d’œuvre qui n’est pas soumise n’est pas une main-d’œuvre « compétitive ». L’Université efficace, appelée des vœux des apôtres du marché, privilégie ses filières « marchandisables », c’est-à-dire fonctionne précisément selon les exigences du marché.

La rentabilité évaluée par les classements

L’exemple est donné par les ribambelles d’universités anglo-saxonnes qui, elles, ont déjà adopté les canons de la "modernité ultralibérale" (frais de scolarité élevés [3], fortes inégalités sociales, omniprésence de l’entreprise). Ces universités culminent dans les classements mondiaux, tel le classement de Shanghai, qui sont mis en avant dans les débats parlementaires [4] comme les preuves de la mauvaise gestion actuelle selon la fameuse équation néolibérale : public = archaïque.

En y regardant de près, on voit que ces classements sont fondés sur des critères à court terme, dans une logique fondée sur la « rentabilité de la connaissance ». Une fois de plus, le résultat est contenu dans les critères retenus, et, au travers du prisme néolibéral, rien de nouveau sous le soleil : les bonnes pratiques sont celles du marché.

Tous ces classements s’accordent dans le mépris de "la connaissance pour la connaissance", qui n’a pas besoin d’argent… Comme le résume notre président de la République : « Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne » [5]

Ce qu’une bonne réforme aurait pu proposer

Le manque de ressources a rendu l’Université exsangue. Une réforme est nécessaire, mais elle doit se faire au travers de propositions de progrès :

- L’université est un investissement social à long terme, sa gestion doit être publique, son financement public.
- Le savoir doit être mieux partagé, le droit aux études élargi. Il faut défendre la gratuité de l’Université, son pluralisme, et lutter contre toute forme de ségrégation.
- L’Université ainsi consolidée à la hauteur des besoins de tous, il devient possible au plan mondial de développer une logique, non pas de concurrence, mais de coopération entre les Université.
Notes

[1] Conclusions de la Présidence – Conseil européen de Lisbonne – les 23 et 24 mars 2000, §17.

[2] Cf. « Pouvoirs et mesure en éducation », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, juin 2005, p. 85.

[3] « L’Europe du savoir contre l’Europe des banques ? », Actes de la recherche en sciences sociales, n°166-167.

[4] Débats parlementaires des 23 et 24 juillet 2007.

[5] Cf. Entretien publié dans 20 minutes du 16 avril 2007


article publié le 18/11/2007

auteur-e(s) : Attac France

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