Le Forum Social Européen de Londres, 15-17 octobre 2004

lundi 3 janvier 2005, par Math P

L’expédition militante vers cette édition 2004 du Forum Social Européen à Londres est organisé par ACG (Agir Contre la Guerre)-Rennes qui est animé par des étudiants de l’université de Rennes 2.
Le long trajet en car et en Ferry permet de se poser les premières grandes questions dont on est parti chercher les réponses à Londres : après environ cinq ans d’existence, où en est le mouvement altermondialiste ? Quels seront les prochaines luttes ?

L’arrivée à Londres évoque une carte postale : des rangées de petites maisons identiques "So British". Et l’essentiel des conférences du Forum a lieu à l’Alexandra Palace, un gigantesque centre de congrès de la banlieue Nord de Londres, à l’architecture victorienne. Les autres débats se tiennent dans divers lieux au centre ville. Cette concentration contribue à la bonne ambiance de village du Forum et facilite l’enchaînement des conférences, contrairement à l’année dernière à Paris où tout était très éclaté.
La tenue même du FSE dans une ville comme Londres n’est pas le moindre des paradoxes. Plus que dans d’autres grandes capitales européennes, l’argent est omniprésent à Londres : la vie est très chère, les publicités sont très agressives, quasiment tout est privatisé. En effet, le néo-libéralisme a commencé en Europe avec Thatcher dans les années 80. Certains ont d’ailleurs déploré les prix de l’entrée au Forum et de l’hébergement dans l’énorme Millenium Dome, à même le béton. Dans ce Dome, équivalent à un hangar, il y avait même un stand de vente de couvertures. " Business is business", même avec des altermondialistes !

Le repérage des lieux fait, rentrons dans le vif du sujet : les conférences. Pour trouver des réponses aux questions précédemment posées, je commence par le séminaire "Le futur du mouvement - stratégies et perspectives". Les intervenants insistent sur la radicalité des exigences ainsi que sur les nécessités d’autonomie et d’unité du mouvement. Pierre Khalfa, membre d’Attac France et du syndicat G10 tire un bilan sans concession : le mouvement a avancé dans sa remise en cause du libéralisme, mais « il manque des victoires ». On conclut en citant les prochains grands enjeux européesn : la directive Bolkestein sur les services ou le Traité constitutionel de Bruxelles.
Ce traité est le sujet du deuxième séminaire "la nouvelle constitution européenne et nos réponses". Les intervenants, notamment Bernard Cassen, le spécialiste Europe d’Attac, rappellent le contenu du traité - largement inspiré par le libéralisme économique - et ses dangers. Philippe Cohen-Seat, Euro-député communiste, appelle à voter non au référendum français sur le traité et affirme qu’il faut opérer une rupture avec la construction libérale de l’Europe pour ouvrir de nouvelles perspectives.
La première journée se termine par un documentaire "Le Venezuela vu d’en bas" qui permet de se détendre et surtout de se regonfler le moral. La parole donnée « aux petites gens » , permet de mesurer les premiers effets positifs des réformes sociales menées par le régime d’Hugo Chavez.

La seconde journée est consacrée au syndicalisme, avec en particulier le séminaire "Travailleurs, syndicats, mouvements sociaux et représentation politique" au siège du syndicat TUC (Trade Union Congress). Tous les représentants européens s’accordent à dire que la représentation syndicale est en crise, en particulier à cause du partenariat avec la social-démocratie vendue au néo-libéralisme. Cependant les discussions restent centrées autour du syndicalisme et donc peu perméables aux apports des autres organisations altermondialistes.

Ce tour d’horizon, forcément personnel et sommaire des conférences, ne peut évidement rendre compte des autres thèmes abordés, tel que l’anti-racisme, la question palestinienne, la guerre en Irak, l’impérialisme des USA, qui tiennent particulièrement à cœur aux organisations britanniques. D’ailleurs, ces priorités constituent un point de divergence relatif avec d’autres organisations telles qu’Attac qui craignent de voir passer la lutte contre les politiques néo-libérales au second plan.
Dans l’ensemble, les débats sont toujours intéressants mais assez chaotiques. Des discours préparés se succèdent souvent sans cohérence, sans se répondre, certains prennent des allures de prêche religieux qui sont d’autant plus vains qu’ils s’adressent à des convaincus.

Mais le FSE ne se résume pas à des plénières et séminaires, ni aux multiples stands qui rendent compte de la diversité du monde militant européen. C’est aussi un formidable espace de rencontre militant et humain, où le contact est extrêmement facile et spontané. D’ailleurs, la jeunesse d’une grande partie des participants donne une impression de fête et même une ambiance digne d’un festival de rock dans le Millenium Dome, où sont acceuillis plusieurs milliers de personnes. Ce Forum social est un gigantesque chaudron militant et culturel qui s’exprime de la manière la plus spectaculaire pendant la manifestation du troisième et dernier jour.
Cette marche "contre la guerre en Irak, contre le racisme et pour la fin des privatisations" se veut d’ailleurs surtout être une suite de celle du 15 février 2003, avant la guerre en Irak, qui avait mobilisé massivement à Londres.
Les pancartes sur la guerre en Irak, distribuées par le Socialist Worker Party britannique sont innombrables : "Stop Bush", "Troops out", "Bush, terrorist n°1", "Blair Liar". Les cortèges multiculturels et multicolores se suivent sans se ressembler, avec évidemment une grosse dominante rouge. On crie, on joue de la musique, on exulte !
La police est très pésente sur le parcours : les "Bobbies" serrent parfois même la foule, ce qui crée de la tension et entraîne quelques interventions musclées et complètement disproportionnées pour embarquer des manifestants. D’autre part le défilé est curieusement morcelé, avec d’énormes trous, à cause semble-t-il des autorités, qui ne laisse partir les différentes délégations que séparément. Autrement dit, on aurait volontairement « saucissonné » la manifestation, pour en diminuer l’aspect massif.
De plus, la manifestation, malgré son coté festif réjouissant, est une petite déception dans la mesure où elle ne rassemble qu’environ 50 000 personnes, avec relativement peu de Britanniques. L’évènement a été très peu médiatisé. J’ai personellement pu vérifier que ni la BBC à la télévision (pourtant le service public) ni le grand quotidien The Guardian (qui édite Le Monde Diplomatique en anglais) n’ont traité du FSE.
Les cortèges se terminent à Trafalgar square où une scène est installée pour des discours et des concerts..

Le retour du nuit sur le bateau est l’occasion de partager ses impressions et de tirer un petit bilan personnel du FSE. Tout le monde est d’accord : le forum est une expérience humaine marquante mais les débats sont confus et il manque des propositions alternatives. D’autre part, avec 20 000 personnes pour les conférences et 50 000 pour la manifestation, cette édition 2004 est un succès mitigé. En attendant le prochain FSE à Athènes au printemps 2006, il faudra donc chercher les victoires lors des prochains grands rendez-vous altermondialistes, en particulier le 19 mars prochain à Bruxelles, à l’occasion de la tenue du conseil européen et des deux ans de la guerre en Irak. Que chaque militant altermondialiste le note en rouge sur son agenda !

par Mathias Poirier (en collaboration avec Stéphane Le Queux)

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