Note concernant les services et l’AGCS : Qu’est que l’on engagerait réellement dans ces négociations ? par Susan George

lundi 28 novembre 2005, par Webmestre

Cette note, en apparence technique, a de profondes implications politiques. Je vous demande d’avoir la patience de la lire jusqu’au bout.

Vous savez sans doute que depuis quelques semaines le Commissaire europeen Peter Mandelson a precise sa demande dite de « benchmarking » aupres des autres membres de l’OMC en ce qui concerne les services. Non seulement il rompt avec la methode de negociations de l’AGCS dite des « listes positives » [l’on n’ouvre aux entreprises des autres pays-membres que les services que l’on choisit, dans les modes de fourniture 1,2,3 ou 4 que l’on choisit egalement] mais il fixe aussi des seuils pour le nombre de services qui doivent etre obligatoirement ouverts [« engages »] par les uns et par les autres.

L’AGCS compte 12 grands secteurs et 163 sous-secteurs [par examples dans le secteur Education, les sous-secteurs Education primaire, secondaire....]. Mandelson demande que les pays developpes ouvrent 139 sous-secteurs, soit 85% du total des 163 ; que les pays en developpement ouvrent les deux-tiers du nombre demande aux pays developpes, soit 93 sur 163 sous-secteurs ; qu’enfin les pays les moins avances [a peine un pourcent du commerce mondial, ils ne comptent pas] fassent ce qu’ils peuvent. Puisque les pays-membres ont encore le « choix » des services qu’ils acceptent d’ouvrir parmi les 163, le Commissaire pretend qu’il ne rompt pas radicalement avec les modalites de negociation [listes positives] mises en oeuvre jusqu’ici. Nous estimons au contraire qu’il y a clairement rupture et ceci sans consultation ni consensus. Il s’agit d’une tentative de coup de force.. .

Il n’est pas dit que cette proposition soit enterinee. Quatorze pays en developpement ont deja pris position contre, mais comme les negociations de Hong Kong doivent aboutir a un engagement unique [rien n’est signe tant que tout n’est pas signe] on ne sait pas ce qui pourrait etre accepte en echange d’autre chose, par exemple en echange de concessions dans le domaine agricole. Tout demeure donc possible et les pays du Sud pourraient encore ceder..

Le fait que Mandelson ait pu mettre en avant cette proposition sur l’AGCS suppose que la France l’ait acceptee, comme d’ailleurs les 24 autres gouvernements de l’UE. Notre pays « couvre » ainsi une proposition destructrice a la fois pour le Nord et pour le Sud.

Le Sud, a travers les multiples plans neo-liberaux dits « d’ajustement structurel », a du deja « ouvrir » la plupart des services publics a la privatisation et aux entreprises etrangeres. Le Nord pourra-t-il conserver les siens ? Serait-il possible d’ouvrir les 139 sous-secteurs canoniques de Mandelson sans toucher aux services publics ?. Comment un pays europeen membre de l’OMC pourrait-il promettre a sa population de sauvegarder tel ou tel service alors qu’il faudrait atteindre le « quota » de 139 ? Quels seraient les 24 sous-secteurs de services sur 163 que l’on pourrait sauver de la commercialisation et qui les choisirait ? Faudrait-il que tous les 25 pays de l’UE soient d’accord pour sauvegarder les memes sous-secteurs ? Voila des questions auxquelles je n’ai pas de reponses satisfaisantes.

J’ai voulu toutefois essayer d’y voir plus clair, et comprendre en particulier quels services publics etaient dans quels sous-secteurs de l’AGCS. Je constate qu’il est indispensable de connaitre les systemes de classification des services pour saisir ce qui nous attend sous l’AGCS. Le gouvernement n’a pas encore travaille serieusement sur cette question—nous l’avons constate lors de notre entretien avec Antonin Baudry, conseiller du Premier ministre, la semaine derniere a Matignon [a qui j’envoie copie de ce message]. Le gouvernement se preoccupe principalement de l’agriculture mais ne semble pas avoir saisi toute la portee des negociations sous l’AGCS.

Regardons de plus pres les systemes de classification des services. Jusqu’a une date recente, la Bible en la matiere etait le Central Products Classification version 1.0 des Nations unies [CPC]. C’est elle qui subdivise tous les grands secteurs aussi bien industriels que de services [1 chiffre] en Divisions [2 chiffres] ; Groupes [3 chiffres] Classes [4 chiffres] et Sous-classes [5 chiffres]. D’autres systemes de classification existent, etablis par differentes institutions internationales [FATS, EBOPS et autres BPM5 ] qu’on n’a pas besoin de connaitre pour le probleme de l’AGCS ; ils sont utilises pour etablir les comptabilites nationales en matiere de commerce des services. Jusqu’a ces derniers temps, il n’y avait aucune harmonisation entre ces diverses classifications, celle de la CPC et celle etablie pour l’AGCS.

De son cote, des 1991, l’OMC-AGCS avait publie la liste des secteurs et des sous-secteurs des services [c’est la liste dite GNS/W/120]. L’etablissement d’une telle liste en 1991 est surprenant dans la mesure ou l’OMC n’existait pas encore, mais cette liste etait avant tout une reference pour les negociations et pour les negociateurs. Cependant, elle ne permettait pas de savoir exactement ce que chaque sous-secteur de services recouvrirait dans l’avenir.

En 2002, on a remedie a cette situation confuse. Conjointement, six institutions internationales—les Nations unies, le FMI, la Commission europeenne, la CNUCED, l’OCDE et l’OMC-ont publie le « Manual on Statistics of International Trade in Services [ST/ESA/STAT/SER.M/86] qui met en avant « l’interet particulier accorde aux besoins d’information statistique concernant les negociations et les accords du commerce international ». [« special emphasis is given to the statistical information needs of international trade negotiations and agreements”]. Pour harmoniser les differentes listes existantes, le manuel etablit, notamment dans l’Annexe III, des concordances desormais officielles entre la Central Products Classification [et les autres systemes comme le FATS, etc.] d’une part et la liste AGCS [GNS/W/120] d’autre part.

Le negociateur qui n’en aurait pas pris connaissance ne serait pas certain de savoir ce qu’il lache quand il cede tel ou tel sous-secteur dans le cadre AGCS, c’est du moins mon impression.

Quelques exemples :

SECTEUR AGCS [liste GNS/W120
NOMBRES DE SOUS-SECTEURS DE LA LISTE AGCS
NOMBRE DE SOUS-SECTEURS DE LA LISTE CPC CORRESPONDANT
SERVICES AUX AFFAIRES
52
266
COMMUNICATIONS
23
68
CONSTRUCTION INGENIERIE
5
61
DISTRIBUTION
5
26
EDUCATION
5
9
ENVIRONNEMENT
4
9
FINANCIERS
17
58
SANTE / SERVICES SOCIAUX
4
10
TOURISME
4
17
LOISIRS CULTURE & SPORTS
5
25
TRANSPORTS
35
84
AUTRES
1
24

N.B. je n’arrive qu’a 160 sous-secteurs pour l’AGCS et ne sais ou se trouvent les trois manquants. Il n’en reste pas moins que sous la CPC, il y en a au total 657 sous-secteurs qui correspondent desormais a la liste AGCS et feront foi dans les negociations. Quand on « engage » un sous-secteur AGCS, on signe en realite pour toutes les sous-classes de la CPC, en meme temps plus precises et plus larges.

D’autre part, certains services ne sont pas la ou les attendrait. Par exemple, dans la premiere grand secteur AGCS [1. Services aux affaires], sous-secteur 1,A. [Services professionnels], l’on retrouve les services medicaux et dentaires ou les sages femmes, infirmieres et para-medicaux. Dans le sous-secteur 1,C, c’est toute la recherche et le developpement, en concurrence directe avec le CNRS. Dans la sous-secteur 1,F c’est la distribution du gaz, de l’electricite et du gaz. Et ce n’est la que le secteur 1, les « services aux affaires ».

Dans le secteur 2, Communications, on a la Poste et l’Audio-visuel. Dans le secteur 5, Education, ce sont 5 sous-secteurs [mais 9 dans la CPC] ; dans le secteur 8, Sante et services sociaux, ce sont 4 sous-secteurs AGCS mais 10 dans le CPC ; dans le secteur AGCS 11 Transports, ce sont 35 sous-secteurs AGCS mais 84 CPC, dont un grand nombre peuvent etre consideres comme des services publics.

Le secteur « Autres »—que j’avais toujours cru concu pour les oublis eventuels-en fait correspond aux sections 95, 97, 98 et 99 du CPC. On y trouve de tout-des services de blanchissage et de nettoyage a sec ou la coiffure jusqu’aux services rendus par les associations a leurs membres [e.g. votre carte ou le bulletin Lignes d’Attac] et meme les « services religieux » pour ne pas parler des cimetieres et de la cremation, des domestiques prives ou des services d’accompagnement [« escort services » pour hommes d’affaires en goguette a l’etranger], ou des services rendus par les partis politiques [si, si, c’est dans le manuel].

Bref, a se lancer la-dedans, on ne sait pas ou on va ni a quoi l’on aboutit. Si l’on suivait Mandelson, il serait impossible de proteger tous les services publics. Aucun debat serieux n’a eu lieu a ce sujet. Je demande a Monsieur Baudry de nous donner des qu’il le pourrait l’analyse du gouvernement francais a ce sujet.

Quant aux membres d’Attac, je les encourage a continuer a alerter les elus locaux et a faire suivre notre lettre type, ou un texte similaire modifie par leurs soins, aupres du Premier ministre, parce qu’en acceptant la demarche de Mandelson, la France est sur le point de se vendre a vil prix.

« L’Europe », c’est a dire la Commission, ne s’interesse dans ces negociations qu’aux interets des entreprises transnationales europeennes et nullement aux citoyens. Nous faisons face a la fois aux privatisations menees par notre gouvernement, a la tentative de l’Europe de faire passer la Directive Bolkestein, et, au niveau international, a AGCS. Tous ont le meme objectif : remettre le resultat de decennies de travail par des milliers de personnes au prive. L’AGCS n’est qu’un alibi pour que l’Etat puisse dire, « Je suis desole mais mes mains sont lies par l’AGCS, c’est le prix de notre appartenance a l’Europe » et pour l’Europe de dire, « C’est la mondialisaiton, benefique pour tous ».

Il faut certes des regles pour le commerce, mais pas celles-la. A vous tous de montrer qu’une autre France, une autre Europe, hors AGCS, est possible.

Amicalement et solidairement,

Susan George

susangeorge@free.fr

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