Quelques notes sur l’AGCS par Michel Gicquel

mardi 29 avril 2003, par Webmestre

Document de Michel Gicquel

« Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe
d’investir où il veut, le temps qu’il veut pour produire ce qu’il
veut, en s’approvisionnant où il veut et en ayant à supporter le moins
de contraintes possible en matière de droit du travail et de
conventions sociales ». Percy Barnevik, PDG de ASEAN BROWN BOVERI.
Finalement, la mondialisation libérale ne s’avance pas
masquée. Pourtant, il lui faut parfois opérer quelques détours pour
éviter le rejet. La négociation sur l’AGCS est à cet égard
symptomatique.

La part des services, dans le PIB, s’élève aujourd’hui à 75%,
environ. Bien sur, il y a services et services : tourisme, avocats,
par exemple sont des secteurs qui font partie des services. Des
services marchands. Et puis, il y a les autres services, ceux dont
l’AGCS nie l’existence en ne les nommant jamais. Ceux que l’on appelle
les services publics. Tout juste si l’AGCS évoque, au détour d’un
alinéa quelconque, les « services gouvernementaux ». L’Accord Général
sur le Commerce des Services estime que tout est négociable.

L’histoire de l’AGCS commence en 1979. A l’époque, American Express
rencontre des difficultés pour accroître le champ géographique de ses
activités, dans une trentaine de pays. Les législations bancaires
sont à l’époque très strictes. AmEx, Citycorp et AIG, une major des
assurances décident de tout mettre en oeuvre pour faire pression sur
l’administration US pour améliorer cet état de chose. C’est la
naissance d’un lobby : la CSI (Coalition of Services
Industries). Lobby efficace puisque dés 1982, l’ambassadeur US auprès
de la conférence interministérielle du GATT fait savoir que pour les
USA, la négociation sur les services constituent une priorité. En 1983
une commission du GATT planche là dessus et quelques Etats rejoignent
les positions US : le Japon, puis la Grande Bretagne, le Canada, la
Suisse et la France socialiste ! Les pays du tiers monde se méfient et
résistent, en demandant un rapport à la CNUCED (Conférence des Nations
Unies pour le Commerce et le Développement). Le rapport est, dans ses
conclusions, sans ambiguïté : « La libéralisation des services
profitera essentiellement aux multinationales qui dominent le marché
mondial ».

Longue résistance des pays pauvres, le « Groupe des 77 ». Mais en
séparant les plus radicaux (G10 : Cuba Egypte Brésil Inde Yougoslavie)
des autres, ça s’arrange. Septembre 1986 : début de l’Uruguay
round. Le compromis est appelé « mode-4 de fournitures. » : on
s’installe chez vous et en échange, vous exportez chez nous votre
unique richesse : les hommes. Parce que le reste des richesses, dites
naturelles, il y a longtemps qu’on a mis la main dessus. Théorie des
avantages comparatifs... 1990 : Bruxelles. Les pays du tiers-monde
pas contents du tout. Le texte proposé, mis au point par la CSI et 400
lobbyistes est refusé. Clash. 1993 : un nouveau directeur du GATT,
Sutherland, ex commissaire européen, gros poisson de la banque,
réussit en 1994 la signature des Accords de Marrakech. Le GATT est
mort, l’OMC est née. 28 accords ont été signés ce jour là dont un qui
se nomme l’AGCS. Cet accord ou pas une seule fois n’apparaît
l’expression « services publics ». Parce qu’ils sont hors de l’accord
 ? Non : parce qu’ils doivent disparaître. Tous. L’AGCS : 11
catégories divisées en 164 sous- secteurs. Là dedans : les services
financiers, l’école élémentaire, les archives nationales, les musées,
les services informatiques, tout. Absolument tout.

Les 5 piliers de l’AGCS

- a) Portée et définition :
Cela signifie effet de ruissellement. Quand l’accord est établi,
toutes les collectivités doivent l’appliquer : Etat, régions,
départements, communes. La définition : « tout service qui n’est
fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un autre
fournisseur » peut échapper à l’emprise de l’AGCS. L’école : il y a
des écoles privées, donc elle rentre dans le cadre de l’AGCS. La santé
 ? idem. En cherchant bien, il n’y a que le bourreau de la République
qui échappe à l’AGCS. Mais comme cette profession a disparu en 1982...

- b) Obligations et discipline générale :
En gros, à l’OMC, on n’aime pas les mesures de protection, celles de
l’environnement, le droit du travail ou les âneries comme l’accès
universel aux services garanti.

- c) Les engagements spécifiques :
c’est ce que chaque pays a décidé de libéraliser. (liste UE de 1994 :
100 services, listes qui ne fut d’ailleurs pas communiquée aux
parlementaires chargés de ratifier l’accord. On y trouvait les
services hospitaliers, les services sociaux, l’éducation primaire,
secondaire, universitaire, la formation professionnelle. Les quelques
restrictions inscrites sont strictement décoratives, lorsque l’on
découvre le 4ème pilier.

- d) Article 19 :
la libéralisation progressive : « Les membres engageront des séries de
négociations successives en vue d’élever progressivement le niveau de
libéralisation ». En gros : c’est les élections dans 2 ans, je ne peux
pas foutre en l’air l’hôpital public d’un coup. T’inquiète pas, Jean
Pierre, dès qu’elles sont finies, on négocie de nouveau (tous les 5
ans).

- e) Les « dispositions institutionnelles » (art.23.3) :
On dit aussi, à l’OMC, « plainte en cas de non-violation ». Lorsqu’une
firme de services estime que les avantages escomptés par elle sont
diminués par une réglementation nationale, même conforme aux
dispositions de l’AGCS, cette firme peut porter plainte via son
gouvernement pour obtenir réparation.

Un exemple : l’éducation

Aujourd’hui, l’UE a un secteur de l’éducation, privé ou public, qui
échappe à l’AGCS parce qu’il est financé par l’Etat. Par contre, dès
que des fonds privés interviennent (paiement des cours, subventions
privées, fondations), cela entre dans le cadre de l’AGCS. Ainsi, le
CNED, qui délivre des formations payantes est-il concerné par l’AGCS.
Par ailleurs, la volonté de la commission de Bruxelles est claire :
Michel Servoz, collaborateur du négociateur européen Pascal Lamy écrit
en 1999 : « L’éducation et la santé sont mures pour la libéralisation
 ». C’était il est vrai avant Seattle, Gênes et autres évènements. Le
rapport de force s’est modifié, ATTAC, partout en Europe, des
syndicats, les ministres et la totalité des parlementaires Belges se
sont opposés à voir le secteur de l’éducation inclus dans l’AGCS, en
commençant par le supérieur comme le réclament les USA, l’Australie et
la Nouvelle Zélande. Lamy a donc été contraint de retirer l’éducation
de ses offres INITIALES. C’est là, le piège de l’AGCS : puisque les
membres de l’OMC doivent engager des négociations successives pour
élever le niveau de libéralisation... Une attaque massive sur la
santé, l’éducation, la culture, l’eau... tous les services sont visés
par l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS). Par cet
accord, l’OMC entend livrer les services à la concurrence pour le plus
grand profit des grands groupes multinationaux. C’est une nouvelle
étape de la mondialisation néo-libérale

145 états membres de l’OMC vont se livrer à un vaste marchandage
d’ouverture du commerce des services pour aboutir à un accord en
2005. Ce marchandage va se faire, sans débat public, dans la plus
grande opacité. Pour les pays du sud, c’est une atteinte au droit à
des moyens de survie essentiels pourtant garantis par le Pacte
international relatif aux traités économiques, sociaux et culturels
des Nations-Unies. C’est une atteinte au droit et à l’égalité d’accès
aux services publics, c’est la marchandisation des biens communs.

Nous ne pouvons rester passif. Interpellons le gouvernement. Exigeons
transparence et débat démocratique. Imposons un moratoire.

Historique de la mise en vente des services publics

Quelques faits, quelques dates ...

Depuis 1947, date à laquelle 23 pays ont constitué le GATT (Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce), jusqu’en 1981, les
services publics n’avaient pas été visés par la marchandisation.

En 1982 création aux USA de la Coalition des Industries de Service :
campagne médiatique et campagne auprès des membres d u Congrès
(initialement défavorables).

En 1983 c’est gagné aux USA ; et les négociations commencent à GENEVE,
sur le commerce des services. Rapidement le Japon, la Grande-Bretagne,
le Canada, la Suisse ... et la France se rallient !

Mars 1985 les ministres européens du Commerce déclarent solennellement
vouloir négocier sur la question de la commercialisation des Services
... Les PVD (pays en voie de développement) se méfient et résistent :
opposition du G77 (77 PVD) sous la houlette de l’Inde et du Brésil !
Mais experts et lobbies se mobilisent, et divisent les PVD ... et
l’emportent :

Septembre 1986, à PUNTA DEL ESTE, 1500 délégués de 103 pays ouvrent
l’Uruguay Round, c’est à dire un cycle de discussion, en particulier
sur la marchandisation des Services, lesquels sont détaillés en 11
secteurs et 160 sous-secteurs : tout y est, sauf la police et l’armée
 ! Mais fortes résistances, surtout dans les PVD. Ca traîne ...

Décembre 1990 : Réunion ministérielle à BRUXELLES : maladresses ... et
clash !!!

1993, ça redémarre : la Table Ronde européenne des Industriels (ERT)
réclame, sur la commercialisation des Services, « un accord global
sans contenu précis ». Travail acharné des lobbyistes auprès de tous
les gouvernements ...

Avril 1994, les ministres de 124 pays signent à MARRAKECH : 1/ l’acte
de naissance de l’ « Organisation mondiale du commerce » (OMC) :
ex-GATT 2/ 28 autres accords, dont l’Accord Général sur le Commerce
des Services (AGCS).

Commence alors jusqu’en 1999 un travail intense au sein des comités et
groupes de travail spécialisés :

    • la flexibilité dans les définitions, pour « capturer » tous les
      Services ...
    • Le « Traitement national »(article 17) : les entreprises
      internationales se voient accorder le même traitement et les mêmes « 
      subventions » que les entreprises locales et les entreprises
      publiques.
    • Définition du « sens unique » des libéralisations : si recul,
      compensations ...
    • Identifier tous les programmes de « subventions », y compris par
      exemple l’éducation et la santé Inquiétudes de presque tous les pays
      et enquêtes : ça renâcle ...

Avril 1998 à PARIS : Réunion des ministres de l’OCDE (Organisation
pour la Coopération et le Développement Economique) pour faire aboutir
l’ AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement).

Superbe manif de mouvements citoyens (CCAMI, Droits Devant, qqs
syndicats d’artistes ...etc...) réussissent à mobiliser les médias et
à révéler au monde entier ce qui se trame sous l’AMI. 40 tambours
brésiliens et afro-cubains empêchent ministres et négociateurs de
s’entendre !!! Le soir même, Lionel Jospin, enfin, annonce le retrait
de la France pour 6 mois des négociations !!! Première grande
victoire citoyenne ! Quelques forums et contre-sommets plus tard,
l’AMI est abandonné, ou plutôt renvoyé par Jospin lui-même vers l’OMC
 !!! Mais le Forum Européen des Services continue à travailler et à
identifier toutes les mesures réglementaires intérieures qui gênent la
libéralisation des Services.

Décembre 1999, aboutissement attendu à SEATTLE ... Mais
... formidable blocage citoyen de la « relance du round du millénaire » !
Cependant les multinationales veillent, et poursuivent leur
lobbying avec acharnement !

Novembre 2001 à DOHA (Qatar) : 144 pays ... dont la France bien sûr
... signent le calendrier de la libéralisation des services publics :

1ère étape : avant 30 juin 2002, chaque pays formulera à chacun des
autres pays la liste des services dont il demande la libéralisation.

2ème étape : avant 31 mars 2003, chaque pays fournira la liste des
services qu’il offre de libéraliser.

3ème étape : avril 2003, lancement d’un cycle de négociations
généralisées ...

4ème étape : 31 décembre 2004, première conclusion des négociations,
et mise en application des décisions de libéralisation ; avant de
nouvelles négociations qui ne peuvent aller que vers une
libéralisation de plus en plus complète ...

Mars 2003 : une « fuite » permet de connaître la liste des « services
 » dont la Commission européenne, au nom des 15 gouvernements qui la
composent, demande la libéralisation au autres pays :

-  services postaux et du courrier
-  services de télécommunication
-  services des bâtiments et travaux publics
-  services de distribution
-  services de l’environnement
-  services financiers
-  services du tourisme et des voyages
-  services des agences de presse
-  services des transports (aérien, maritime, terrestre, et autres ...)
-  services de l’énergie
-  services professionnels
-  services des affaires

Que conclure de cette énumération de faits et de dates ?

Que depuis 1985 quelle que soit la « couleur » de notre Gouvernement
et de notre Président, nos services publics ont été promis à la vente
 : opacité totale, crédulité, ignorance, calculs, faiblesses, dans tous
nos exécutifs ...

La population et ses représentants, élus et syndicaux, se sont laissé
endormir et rouler dans la farine ultra-libérale !!!

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