Démocratie libérale et hypocrisie : une combinaison nécessaire

dimanche 1er octobre 2006, par Webmestre

L’éthique, compensation de l’économique ?

Christian Delarue

Entre l’éthique de la pratique et l’étiquette du discours il y a souvent un écart, parfois important. Exemple : La droite a proposé, il y a peu, de revaloriser la "valeur travail" mise à mal par le gouvernement précédant, comme si les chômeurs étaient tous des fainéants, tous content de ne pas travailler, comme si du côté de la demande de force de travail sur ce marché particulier le patronat n’avait aucune reponsabilité, comme si travailler encore plus et toujours plus pour ceux qui travaille déjà suffisamment quand les autres sont au chômage était une "valeur" ! Pas celle du partage en tout cas . Belle entourloupe donc ! Mais la droite est ici fidèle à ses principes de réal-politique : elle écoute le patronat et dans cette optique prends les salariés pour ce qu’ils sont : une force de travail bonne pour l’exploitation et nécessaire pour le profit des entreprises, surtout du du capital .C’est "gros" certes et pour partie inefficace . C’est précisément pour cela que la "gauche plurielle" voulait faire autrement .

Autrement, mais mieux ? Un peu mieux mais largement en deça du nécessaire face à la déferlante de précarisation, paupérisation er de mise au chômage . Elle avait proposé une réduction du temps de travail pour réduire le chômage et augmenter le temps libre . Voilà donc, à première vue, qui parait aller dans le bon sens, voilà qui parait éthique. Mais derrière l’étiquette aguichante et le terme générique, le dispositif appliqué tant dans le privé (lois Aubry) que dans le public (décret du 25 aout 2000) l’est nettement moins . Jamais pareille mesure dans le domaine n’avait donné lieu à de tels effets pervers . En fait le gouvernement d’alors a fait "petit". Fondamentalement il s’agit d’un compromis concocté pour satisfaire d’abord et avant tout le patronat et le mode de production qu’il entretient. D’aucuns ( 1) ont montré qu’il y a eu réduction du chômage mais aussi une nette reprise de l’intensification du travail sur fond de baisse historique des salaires alors que les profits eux grimpent. Ecart donc entre l’étiquette affichée et l’éthique politique. Aujourd’hui elle évoque le statut du travail salarié mais plus la loi pour la RTT pour la semaine de 32 H sans perte de salaire .

Dans le même régistre celui de l’éthique passons maintenant à un autre thème, celui de la démocratie.

LA DEMOCRATIE : la leur et la nôtre !

Partons d’une formule exigente, quasiment autogestionnaire : elle est "le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple". La formule semble effacer la distinction dirigeants/dirigés ou gouvernants/gouvernés . Ici, le peuple est "tout", les élites politiques, économiques et médiatiques ont disparues. Cette démocratie là n’est pas la démocratie réellement existante. Celle-ci porte un nom : la démocratie libérale. Un nom trompeur.

En fait, la démocratie libérale est celle de la démocratie représentative, s’exerçant dans un champ social restreint et sur fond d’inégalité sociale profonde, de racisme et de sexisme. Ecart. Les mécanismes de représentation sont en crise . Ils sont même contestés au profit de la gouvernance (2 ) . Le champ d’application ne concerne pas l’entreprise ni le choix des principaux biens et service à produire dans un cadre planifié en vue d’un développement durable que nous préférons appeler alterdéveloppement.

L’alterdémocratie, que nous voulons est qualitativement et quantitativement différente. Elle se fonde sur l’égalité des conditions et ’lintervention réelle des citoyens et citoyennes dans tous les champs sociaux y compris les choix de production. Elle a pour base une autre société à dominante écosocialiste.

La démocratisation constitue le moyen d’y parvenir . Mais le mouvement ne saurait oublier le but . Il ne s’agit pas sous couvert de démocratie perticipative de se contenter d’une démocratie "en archipel" ou des champs seraient ouverts ici ou là aux débat citoyen mais pas d’autres . Dans cette société à dominante capitaliste, la démocratie est nécessairement circonscrite.

Notre but altermondialiste consiste à faire franchir ensemble un cap qui rende la démocratie au peuple. La stratégie n’est pas simple car elle englobe toutes les questions de la transformation sociale, notamment celle de l’appropriation publique et sociale des grands moyens de production et d’échange, mais en y intégrant constamment le fait que par définition , l’altermondialisme ne s’accomode pas de la "fin de l’histoire" (cf. Fukuyama) et des hyprocrisies et mensonges qui vont avec. Une première lutte idéologique s’impose. Elle passe par la déconstruction d’un mensonge, d’une hypocrisie.

L’ETHIQUE COMME SUPPLEMENT D’AME DE LA DEMOCRATIE LIBERALE.

Un supplément d’âme généreux sur fond de politique restrictive peut-il être réellement éthique ? N’y a-t-il pas là un paradoxe voire une contradiction ? Au lieu d’une contradiction n’est-ce pas plutôt une hypocrisie consubtancielle à ce type de démocratie ? Dès lors, une véritable éthique ne doit-elle pas envisager d’aller plus loin que la simple compensation toujours insuffisante de la tendance lourde des dégâts de l’économie capitaliste ?

Je reprends des propos écrit en 1986 par Patrick TORT (3) :

Il devrait être depuis longtemps admis au titre d’une vérité première que dans une démocratie libérale, une politique de droite - quelle qu’elle soit - ne peut se passer d’un discours de gauche, suivant un précepte tacite et très politique, justement, qui enseigne que la dynamique des démocraties à structure inégalitaire soucieuses de persévérer dans leur être est, précisément, la promesse d’égalité. Tel est le piège, infiniment retissé de la République bourgeoise, par exemple.

L’opposition entre discours de gauche et politique de droite a donc toute les chances de n’être qu’une formule à courte vue si l’on convient du fait que l’on doit plus sérieusement reconnaitre à sa place la réalité d’une combinaison fonctionnelle, d’un principe opératoire d’association.

Que signifie cette opposition dans le langage de ceux qui l’articulent ? Elle signifie, une fois débarassée de l’aspect "populaire" qui la rapporte à l’opposition simple entre les paroles et les actes (constat d’un désaccord entre eux, d’où accusation d’hypocrisie politique), que la tonalité égalitariste des discours et des déclarations d’intentions politiques entre en contradiction avec un mode de production, une économie et une société gérés d’une manière inégalitaire, et requérant simultanément un effort continué de séduction du patronat et de la classe capitaliste. En d’autres termes, il s’agit de faire percevoir une antinomie entre un discours politique "marqué à gauche", discours à forte polarité éthique, et d’autre part une pratique politique dictée en fait par des options économiques libérales entrainant d’inévitables convergences avec les attitudes objectivement droitières (soumission prioritaire aux "exigences" du marché). Or si l’on se montre conséquent avec le principe suivant lequel une démocratie libérale repose sur la combinaison très concertée de pratiques économiques et politiques inégalitaires, et d’un discours politique prometteur d’égalité, l’opposition s’efface sous la complémentarité et l’on ne peut plus prétendre fonder sur elle une critique spécifique et sérieuse du réformisme. L’accusation d’hypocrisie est elle-même hypocrite, car elle feint de ne pas voir que c’est à la démocratie libérale toute entière qu’elle s’adresse, et non spécifiquement à la "social-démocratie" réformiste. Il est clair que la ruse de toute politique libérale consiste à persuader ceux qui doivent l’être que l’économie travaille tendanciellement à l’égalitarisation de la société. Nul ne pourrait en, en démocratie défendre le libéralisme s’il n’affirmait qu’il porte en lui la source d’une redistribution sans cesse plus égalitaire. Dans une démocratie libérale, le grand mensonge politique est précisément la promesse d’une société plus juste comme conséquence de l’expansion.

L’analyse correcte eût été de dire qu’il y a en effet, chez les socialistes, "cohabitation" normale d’un discours politique "de gauche" et pratique politique de droite, comme il se doit dans la gestion politique d’une démocratie libérale, qu’elle soit gouvernée par la droite ou par la gauche réformiste.

Notes

1 Michel HUSSON

2 Contribution Christian Delarue site rennes-info.org et attac 35 (De la représentation à la gouvernance et retour...)

3 in "Etre marxiste aujourd’hui" p126

1 Message

  • Alterdémocratie
    Je tombe par hasard sur l’article de Christian Delarue d’octobre 2006.Sujet passionnant s’il en est...
    Mais hélas, qui ressemble à ce que nous avons connu naguère et dont on sait le grand fiasco qui en a résulté.
    Au lieu de vouloir répandre une idéologie qui est simplement une utopie qui, au nom des grands principes, s’est révélée une machine destructrice de millions de vies humaines innocentes, Christian Delarue ferait mieux d’ouvrir ses yeux et son intellect, s’il en est capable, aux réalités du monde en 2007.
    Peut-être pourrait-il alors se retrousser les manches et se mettre au boulot pour aider à faire avancer la société en faveur de ceux dont il semble se préoccuper...
    Dès le début de son article, sa rhétorique est biaisée. Il est très gêné par le fait que ce soit un homme dit de "droite"qui s’attache à promouvoir la "valeur travail". Cela le conduit à volontairement mal interpréter l’éthique dont il s’agit, pour ensuite nous servir ses recettes qui ne mèneront à rien.

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