Mécanismes et enjeux des pollutions de l’eau en Bretagne : à qui cela profite ?

dimanche 17 novembre 2002, par Webmestre

En un demi siècle, l’agriculture bretonne a réussi une véritable mutation,
devenant la première région agricole française. Mais à quel prix ! Celui
d’un désastre environnemental, de conséquences sanitaires très
préoccupantes à moyen et long terme sans compter les répercussions directes
ou indirectes sur l’économie bretonne, les emplois et l’image de marque
d’une région.

La Bretagne est malade de son eau. A partir de ce triste, douloureux et
récurrent constat amorcé depuis une trentaine d’années, ce travail se
propose d’analyser et d’expliciter les processus et les forts enjeux
économiques qui sous tendent la dégradation de la qualité de ce bien commun
patrimonial de l’humanité qu’est l’eau.

Si elle a un coût, l’eau n’est pas une marchandise !

Document de Yann Olivaux et Anne-Marie Daniel.

1. Définitions et mécanismes des pollutions de l’eau : l’exemple des nitrates

1.1 De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de pollution ?

La pollution est « la dégradation d’un milieu naturel par des substances
chimiques, des déchets industriels » (définition du Larousse).

Il faut noter qu’un contaminant (substance présente dans un milieu sans y
engendrer de dommages) n’est pas forcément un polluant (substance présente
dans un milieu et toxique pour ce milieu).

Pour la pollution de l’eau, il convient de distinguer 2 types de
phénomènes :

- pollution produite par un excès d’éléments qui sont normalement présents à
l’état naturel dans le milieu. ex. : nitrates, phosphates

- pollution par des éléments de synthèse introduits par l’homme dans le
milieu naturel. ex. : pesticides

Les pollutions conduisent à perturber le fonctionnement du milieu naturel
et ensuite, par voie de conséquence, peuvent induire des risques sur la
santé humaine. Les modifications induites dans le milieu naturel et les
risques pour la santé humaine sont en général bien plus importants, et
souvent plus difficiles à évaluer sur le long terme, pour le 2ème type de
pollution (pollution par des éléments de synthèse).

1.2 D’où viennent les pollutions ?

Les pollutions proviennent des activités humaines industrielles, urbaines
et agricoles. Il convient de distinguer :

- les pollutions ponctuelles : la source de pollution est facilement
localisable, c’est un point précis.

ex : Les pollutions industrielles sont qualifiées de ponctuelles.

Il s’avère que de nombreux progrès ont été faits quant aux pollutions
industrielles : les amendes aux pollueurs sont dissuasives, les industries
ont une image à assumer face au consommateur, la plupart possèdent leur
propre station de traitement. La pollution industrielle n’est donc plus un
enjeu d’actualité dans les pays développés (le problème est tout à fait
différent dans les pays dits « en voie de développement »).

- les pollutions diffuses : la source de la pollution n’est pas
identifiable précisément.

ex : Les pollutions agricoles sont qualifiées de diffuses.

Ce sont ces pollutions qui posent vraiment des problèmes aujourd’hui, en
particulier en Bretagne. C’est à ce niveau que se situe l’enjeu. La
pollution de l’eau par les nitrates relève de cette catégorie.

1.3 Agriculture et pollution : comment pousse une plante et quels sont les
mécanismes conduisant à polluer ?

La plante pousse sur un sol qui la « nourrit » en azote (qui se transforme en nitrate pour être absorbé par la plante), phosphore, potasse (.). Les sols doivent donc être régulièrement entretenus par des apports qui viennent compenser les prélèvements réalisés par la plante.

Ces apports peuvent être de 2 types :

- apports de matières organiques (déjections animales = fumiers et
lisiers ; résidus de culture.)

- apports de matières minérales naturelles ou de synthèse = engrais minéraux (ammonitrate, super phosphate.).

Ce sont les excès d’apports sur les sols par rapport aux besoins des
plantes en engrais organiques ou minéraux qui conduisent aux pollutions par
les nitrates, car cet élément n’est pas bien retenu dans les sols et est
emporté dans l’eau (phénomène de lessivage). On estime en Bretagne à 60.000
tonnes/an, la quantité de nitrates qui se retrouve dans les rivières et les
mers.

L’autre élément important pour les cultures est la maîtrise des plantes
concurrentes et des parasites. Pour cela, 2 méthodes sont envisageables :

- recherche d’un équilibre à partir d’une bonne connaissance des cycles
naturels (principe de l’agriculture biologique)

- destruction par des produits phytosanitaires (= pesticides et
herbicides).

Lorsque les produits phytosanitaires sont apportés en trop grandes
quantités ou dans de mauvaises conditions, ils sont mal retenus par les
sols et se retrouvent alors dans l’eau.
1.4 Pourquoi a t-on beaucoup de pollution par les nitrates en Bretagne ?

Pour fixer les idées sur l’origine des nitrates excédentaires produits en
Bretagne, quelques chiffres :

1. la Bretagne représente 6 % de la surface agricole utile française et
concentre 20 % de la production bovine française (cheptel de 2,2 millions
de bovins), 40% de la production avicole française (plus de 400 millions
de volailles abbattues par an) et 60% de la production porcine française
(14 millions de porcs abbattus par an) (chiffres du RGA 2000). En terme
de rejets, il peut être également intéressant de connaître les chiffres
suivants : au niveau de la production d’azote, 1 vache produit autant que
14 humains, 1 porc adulte autant que 3 humains et 1 volaille autant que
0,2 humains. Au total, si on transforme l’ensemble du cheptel animal en
humains, on aboutit à une population bretonne d’environ 60 millions
d’habitants.

2. l’origine de l’azote apporté aux sols, et que l’on retrouve ensuite dans
les eaux lorsqu’il est apporté en trop grandes quantités, provient
pratiquement autant des déjections animales (environ 55%) que des engrais
de synthèse (environ 45%). Et pour les déjections animales, la
répartition entre les différentes catégories d’animaux est la suivante :

globalement, il y a trop d’azote apporté sur les sols en Bretagne par
rapport aux besoins. Le bilan effectué pour 1996 est le suivant (source,
atlas de l’environnement en Bretagne, 1998).

La pollution par les nitrates en Bretagne résulte, comme expliqué
précédemment, d’un excès d’apport en azote par rapport aux besoins des
plantes. Deux types de raisons conduisent des agriculteurs à réaliser des
apports en excès :

un raisonnement agronomique erroné et insuffisant. Cela est lié à un manque
de formation et de conseil, d’outils que l’agriculteur puisse facilement
s’approprier mais aussi et surtout, à un manque de sensibilisation à
l’importance de bien raisonner sa fertilisation, ceci d’autant plus que des
plantes comme le maïs ne craignent pas du tout l’excès d’azote ;

une production de déjections animales trop importantes par rapport à la
surface dont dispose l’agriculteur. En Bretagne, cette situation se
rencontre très fréquemment et aboutit dans certaines zones à des
concentration très importante des élevages bovins + porcs + volailles qui
produisent des quantités de déjections bien supérieures aux besoins des
sols et des plantes. C’est ce qu’on appelle, les ZES (Zones en Excédent
Structurel). Dans ces ZES, on dépasse une moyenne de 170 kg d’azote
originaire des déjections animales par ha.

Dans ce cas, la résolution du problème est alors plus compliquée car
l’éleveur cherche avant tout à « se débarrasser » de ses déjections. A
part réduire son cheptel pour diminuer sa production, deux types de solutions s’offrent à lui :

1. chercher à répartir ses déjections sur une surface plus grande, c’est
à dire chez des voisins qui recherchent des déjections animales. Ce
sont les plans d’épandage.

2. lorsque les voisins sont aussi en « excédent », transformer ses
déjections pour pouvoir les exporter hors de la ZES ou bien traiter
l’azote pour le retransformer en azote de l’air ou en engrais. Or cela
a un coût qui ne peut être supporté que par de grosses exploitations
individuelles. Pour les exploitations plus petites, il est nécessaire
que les éleveurs se regroupent et s’organisent entre eux pour trouver
des solutions collectives ce qui est compliqué, prend du temps et
souffre souvent du manque d’appui de techniciens neutres pour
accompagner ces groupes d’éleveurs dans leur réflexion.

Enfin, même quand un agriculteur a résolu son problème d’excédent et est
capable de réaliser un bon raisonnement agronomique, les apports d’azote ne
sont pas toujours réalisés de façon idéale pour des raisons de temps,
d’accessibilité des parcelles. : il en résulte que certaines parcelles
reçoivent plus d’azote d’origine organique que nécessaire (parcelles de
maïs en particulier) et que, comme il n’y a plus assez d’azote organique
pour les autres parcelles, de l’azote minéral est apporté à la place pour
les fertiliser. et c’est alors l’azote minéral qui est excédentaire et créé
de la pollution !

- 1.5. Comment résoudre le problème de pollution par l’azote en Bretagne ? Des
textes réglementaires et des programmes « d’actions » existent mais les
moyens choisis ne sont pas suffisants et/ou sont inadaptés

Le schéma ci-dessous résume les différents dispositifs mis en ?uvre pour
maîtriser les pollutions d’origine agricole et en particulier la pollution
par les nitrates (source : atlas de l’environnement en Bretagne, 1998) :

- Règlement sanitaire départemental

- Installations classées

(déclaration ou autorisation )

Mise au norme des bâtiments d’élevage et des pratiques

= PMPOA (Programme de Maitrise des Pollutions d’Origine Agricole)

mise en œuvre progressive en fonction de la taille des exploitations

Programme Bretagne Eau Pure

= actions concentrées sur des territoires sensibles alimentant directement des ressources en eau

  1. sensibilisation, information

  2. actions collectives

  3. conseils individuels




Programme d’action

de la directive nitrate

Base = code de bonnes pratiques agricoles

Programmes de résorption

des excédents

définition de cantons en ZES et d’actions spécifiques à réaliser dans ces cantons





Mesures agri-environnementales, CTE (Contrat Territorial d’Exploitation)…

Mais tous ces dispositifs n’ont pas encore produit leurs effets car de
nombreux points de blocages existent. Parmi eux, on peut souligner :

1. le manque de moyens de l’administration entraînant des retards dans
l’instruction des dossiers et une insuffisance de réels contrôles
(dépassements d’effectifs d’animaux, vérification des plans d’épandage.)
qui, même lorsqu’ils ont lieu, ne sont pas souvent suivis de réelles
sanctions

2. l’absence de limites à l’utilisation des engrais minéraux, en
particulier dans les zones excédentaires (ZES)

3. la difficulté pour les agriculteurs à s’organiser pour trouver des
solutions de traitement adaptées

4. des conseils techniques apportés aux agriculteurs inadaptés car
essentiellement réalisés par des techniciens de coopératives, groupements
etc. qui ont tendance à pousser à la consommation

5. une incitation économique insuffisante aux bonnes pratiques agricoles
(aides PAC liées plus à la productivité qu’à l’environnement)

Avant tout, il est essentiel de comprendre que tout cela découle d’une
logique liée à un modèle économique et à une absence de volonté politique
de modifier cet état de fait.

2. L’agriculture bretonne : liens entre modele de production, economie et pollutions}

Deux types de productions apparaissent comme emblématiques du choix du
modèle de production agricole intensif en Bretagne et de ses conséquences
sur la dégradation des ressources aquatiques : les productions hors-sol et
la culture du maïs.

2.1. Le rôle des productions hors-sol

Système d’élevage (porcs, volailles, veaux, taurillons) où les animaux sont nourris par des aliments achetés à l’extérieur de l’exploitation
(Industries Agro-Alimentaires)

L’agriculture bretonne a connu une modernisation tardive comparé au reste
de l’agriculture française.

Pour la France voici quelques repères :

- production agricole multipliée par 2,7 sur 100 ans de 1896 à 1998,

- main d’oeuvre agricole : passage de 8,2 millions de personnes à 1,1 million
sur les 100 mêmes années,

- productivité, sur la même période : multipliée par 28 (heures travaillées :
de 3047 h/année à 2200 h/année)

En Bretagne, la modernisation a commencé après les années 50 :

- diminution du nombre d’exploitations de 1950 à 1990 : de 120 000 à 60 000

- diminution du nombre d’actifs : 51 % de la population active en 1954 à 10 %
en 1998 si on tient compte des actifs des I.A.A. (Industries Agro-
Alimentaires).

Cependant, dans les années soixante la modernisation de l’agriculture
bretonne se révèle très insuffisante. En effet, au début de cette décennie,
les surfaces des exploitations étaient petites et les actifs très nombreux.
Pour satisfaire les besoins de cette population nombreuse, l’agriculture
bretonne est à la recherche de revenus plus élevés. Le développement des
exploitations est porté par un tissu social très actif ainsi qu’un
encadrement syndical et coopératif puissant.

Apparaissent alors les premières productions hors-sol (poulets et ?ufs) qui
ont d’abord été développées dans la région de Baud dans le Morbihan, zone
pauvre et archaïque au regard du dynamisme et de la richesse des
exploitations du Finistère.

Mais c’est en 1970 que le modèle économique breton prend vraiment place :

intensification de la production laitière avec augmentation des tailles de
cheptel, introduction de nouvelles races de vaches laitières et
modification de leur alimentation pour gagner en productivité laitière,

production de viande "rouge" avec le même souci de modification de
l’alimentation animale à des fins de productivité,

et surtout développement des productions hors-sol : filière avicole et
filière porcine pour la production de viandes « blanches ». La Bretagne
prend la première place pour la filière porcine en France et fait face aux
concurrents danois et hollandais.

Les productions hors-sol nécessitent à la fois :

- des équipements (bâtiments spécifiques et matériel)

- de nombreux intrants [1] (aliments, produits vétérinaires.)

La physionomie des exploitations a donc été rapidement modifiée par les
productions hors sol : spécialisation des productions et augmentation des
consommations intermédiaires et des facteurs de productions.

Les exploitations se sont spécialisées par productions. Par exemple pour
les poulets, la spécialisation va se faire à partir des étapes de
développement de l’animal : schématiquement, poussins, jeunes poulets,
poulets. Les cultures se sont spécialisées aussi pour nourrir les animaux à
la place de cultures à finalité alimentaire directe (remplacement du blé
sarasin par du maïs par exemple).

Les intrants2, ou consommations intermédiaires, qui sont liés au cycle
d’exploitation (temps nécessaire à la production d’un produit pour la
vente), sont aujourd’hui très nombreux : graines et semences, engrais,
aliments, produits phytosanitaires, outillage, services de personnels
spécialisés (dont le vétérinaire), eau, électricité. Par le passé seuls
comptaient les graines et semences et les engrais.

Le poste des facteurs de production a suivi la même évolution : aux
machines et à la main d’ ?uvre se sont ajoutés le poids des bâtiments
spécialisés et les transformations technologiques rapides des machines. Les
machines agricoles sont très spécialisées en fonction des cultures et des
productions animales. Cela entraîne incontestablement des gains de
productivité mais le coût des machines, leur nombre et leur rythme de
renouvellement ont considérablement augmenté.

Dernier point à souligner, l’autoconsommation sur l’exploitation a
largement diminué. L’agriculteur ne produit plus sa propre nourriture. Cela
apparaît contre-productif (temps, espace et préoccupation) et
culturellement la famille de l’exploitant intègre aussi la société de
consommation. C’est un point qui empêche les agriculteurs de se poser la
question de la qualité de leurs productions : l’objectif est de produire
des protéines animales bon marché et en grande quantité, transformées et
commercialisées par les I.A.A.

2.1.1. Une dépendance croissante des exploitations à l’égard des marchés
« amont et aval »

Par le passé, l’exploitation mettait ses productions variées (récoltes,
animaux, lait et dérivés) sur un marché local dont la caractéristique était
l’inorganisation. En amont, les intrants étaient faibles puisque
l’exploitation achetait seulement les engrais et les machines et seulement
une partie des graines et semences. L’agriculteur savait produire ses
semences à partir des récoltes de l’année passée. En aval, les productions
agricoles assuraient une alimentation directe. Il faut être dans le sud
Finistère pour voir des productions faites pour l’industrie : petits pois
et haricots essentiellement. Certes les fermes n’étaient pas riches mais
c’était plutôt le rapport taille de l’exploitation/nombre de personnes sur
l’exploitation qui était la cause de la pauvreté.

Actuellement, l’augmentation de la taille des exploitations et la
spécialisation des productions ont entraîné une dépendance très forte des
agriculteurs à l’égard des marchés. Ces marchés sont organisés aussi bien
en amont qu’en aval. Ils ont été dominés, très tôt, par les I.A.A. soit
sous forme coopérative, soit sous forme privée. La forme juridique joue peu
sur l’intensité de la domination. La grève du lait en 1972, dirigée contre
les coopératives qui étaient les premiers collecteurs de lait à ce moment
là, montre bien cette domination. Les contrats d’intégration (fourniture
des aliments, production et écoulement de la production) ont été dès 1970
dénoncés comme étant un salariat masqué pour l’agriculteur, son travail se
limitant à l’application du cahier des charges établi par les I.A.A..

Ces cahiers des charges ont évolué mais la perte d’indépendance de
l’agriculteur se voit aussi dans la non maîtrise des coûts des intrants et
des prix des productions vendues.

D’un coté, les I.A.A. fournissent aux agriculteurs des intrants devenus
indispensables à des coûts sans cesse croissants.

De l’autre coté, les prix des productions vendues ne sont plus garantis et
sont à la baisse très régulièrement. En effet, les productions vendues ne
sont plus que des consommations intermédiaires pour les I.A.A. donc des
fournitures acquises au prix le plus bas possible par ces mêmes I.A.A.

La valeur ajoutée aux produits agricoles reste donc entre les mains des
I.A.A. L’écart entre le coût croissant des intrants et le prix des
productions vendues augmente considérablement le niveau du seuil de
rentabilité des exploitations. Les exploitations sont condamnées à
augmenter la taille de leurs productions et ne peuvent pas trouver leurs
propres débouchés pour leurs productions. La dépendance est absolue.

En conclusion, les productions hors-sol fragilisent à terme l’équilibre de
l’exploitation.

En effet, le coût des intrants est élevé et accentue la poursuite des gains
de productivité. Cela se traduit par la recherche continue d’aliments
sophistiqués pour assurer une croissance rapide des animaux d’élevage dans
le but de réduire le cycle de production et de répondre en terme de
quantitatif et non qualitatif, au marché.

2.1.2. La justification à l’augmentation des tailles de production : une
usine de traitement du lisier

Au nord de Brest, 340 éleveurs se sont associés pour créer, à Milizac, une
gigantesque usine de transformation collective de lisier capable de traiter
300 000 tonnes par an. Elle traiterait aussi 7 000t /an de boues
d’épuration et 15 000 t/an de déchets verts. Le résultat : 160 000 t.
d’engrais en granulés commercialisables. L’eau rejetée par cette usine
serait propre. Mais cette transformation nécessiterait la fourniture et
l’utilisation de 92 000t/an d’acide sulfurique et 32 000 t/an
d’ammoniaque ; ceci classe l’usine comme site industriel à risque de type
Seveso 2. Le coût total est estimé à 22,87 millions d’Euros (150 MF). Bien
sûr l’Etat financerait 1/6 du projet. Mais quel devra être son financement
si l’écoulement des engrais chimiques se fait mal ? Qui remettra en cause
un tel équipement, s’il voit le jour, au titre de sa non rentabilité
commerciale ?

Ce projet illustre bien la fuite en avant de l’agriculture hors-sol en
Bretagne. Les effets négatifs des épandages, sur la qualité de l’eau, ne
sont plus contestés et plutôt que de revoir le modèle porcin breton, les
autorités laissent celui-ci continuer sur sa lancée productiviste et
acceptent de financer le remède : une usine de production d’engrais
chimique sous couvert de traitement du lisier. Le gigantisme de l’unité de
traitement, le risque industriel qui y est attaché imposent déjà de penser
le remède à ses inconvénients. Ce projet est uniquement un palliatif aux
inconvénients du système de production hors-sol et ne comporte aucune
prospective environnementale et économique. L’enquête d’utilité publique a
commencé le 15 novembre dernier.. Un collectif est créé, il a déjà mobilisé
du monde. ATTAC se doit de savoir condamner les incohérences d’un tel
projet qui sert à masquer les inconvénients d’un système de production.

2.2. Le rôle du maïs hybride

Cette plante n’appartient pas aux cultures locales et a été implantée en
Bretagne à partir des années 70 pour assurer l’alimentation des animaux
élevés hors prairies et accroître leur productivité (bovins et vaches
laitières). De plus, la semence est le plus souvent un " intrant ", c’est à
dire que l’agriculteur l’achète à l’extérieur de l’exploitation (le maïs
hybride ne se reproduit pas).

La culture du maïs a les caractéristiques suivantes :

période de travail impérative : ensemencement au printemps sur une période
courte,

unique récolte annuelle à une période donnée (octobre/novembre),

besoins en eau importants,

machines spécialisées et importantes pour l’ensemencement et la récolte,

sensible aux manque d’ensoleillement ce qui implique des compensations en
apports d’engrais,

engrais nécessaires compte tenu des sols bretons et grande tolérance envers
les excès de nitrates,

et dernière exigence : des produits phytosanitaires sont nécessaires et
massivement utilisés.

La graine fournit :

des calories,

2. des protéines déficitaires en acides aminés indispensables pour les
vaches (en comparaison sur la même surface, l’herbe produit autant de
calories, le double de protéines avec un meilleur équilibre entre acides
aminés et pour un coût 5 fois moindre).

Elle implique automatiquement des compléments alimentaires protéinés :
soja, (ce protéagineux, automatiquement importé d’autres parties de la
planète, est sensible aux cours mondiaux et aux sources
d’approvisionnements), et pour parer aux approvisionnements en soja ,
sont apparues les farines animales.

En conclusion, le maïs hybride est la culture symbole d’une agriculture
productiviste : nécessité d’une alimentation assurant une croissance rapide
des animaux. L’introduction de cette culture est perturbante sur le plan
environnemental : utilisation de grandes quantités d’eau, pollutions des
eaux par les engrais et produits phytosanitaires.

3. Les conséquences économiques des pollutions de l’eau

- 3.1. A qui profite les pollutions de l’eau en Bretagne ? : les enjeux
économiques

Aux yeux de l’opinion publique, la responsabilité majeure des pollutions par
l’azote, le phosphore et les pesticides incombe à l’agriculture intensive
rebaptisée « raisonnée ». Cependant, de nombreux secteurs économiques plus
ou moins interdépendants tirent profit de manière directe ou indirecte des
pollutions de l’eau. En voici un canevas :

* Industries d’amont : conglomérat agro-industriel

* Intérêts directs :

- Groupements porcins et légumiers via les coopératives agricoles

- Industriels des phytosanitaires et des fertilisants (80% du marché
agrochimique est détenu par 5 grands groupes : Aventis (Hoeschst + Rhone-
Poulenc), Novartis, Zeneca, BASF, UIPP (a titre d’exemple, le chiffre
d’affaire 1999 de ce dernier groupe était de 18018 Millions de Francs pour
la France + 3843 Millions de Francs pour l’étranger)

* Intérêts induits :

- Industriels des aliments pour bétail, fabricant de matériel agricole,

- Industries AgroAlimentaires (4000 entreprises), abattoirs, banques.

* Industries d’aval

* Intérêts directs :

Opérateurs de la potabilisation, de l ’assainissement et de
l’ingéniérie de l’eau (construction des stations de potabilisation et
d’assainissement) :

( Vivendi Water (ex Générale des Eaux) (50 % du marché de la
distribution d’eau potable et de l’assainissement en France, 25
millions de Francs de CA en 2000)

( Lyonnaise des Eaux-Suez (23 % du marché français, 15 millions de
Francs de CA en 2000)

( SAUR (17 % du marché, 8 millions de Frs de CA en 2000)

Ainsi 80 % du marché de la distribution d’eau potable est privé. En
1992, la loi sur l’eau qui fixait des objectifs ambitieux de
dépollution a donné aux opérateurs privés l’occasion de s’enrichir et
de se développer. C’est pour cela qu’aujourd’hui on retrouve ces
grandes compagnies des eaux dans de multiples secteurs d’activité
économique. L’exemple de la diversification des activités et
investissements de la Génrale des Eaux est frappant : naissance de
Vivendi Universal, participation dans Canal +, SFR, Générale d’images,
SGE (BTP).

* Intérêts induits :

- Minéraliers (Danone, Nestlé.)

- Sociétés de traitements individuel et industriel de l’eau (osmose inverse.)

- Bureaux d’études (ex : étude d’impact pour l’implantations de porcheries)

- 3.2. Coûts et effets pervers de la politique de gestion de l’eau

* Prix et facture de l’eau

Le prix de l’eau varie beaucoup dans l’espace (milieux urbains et ruraux,
bassins, régions, départements, villes) et sa structure (postes de la
facture) évolue également dans le temps.

3 critères prépondérants expliquent les disparités constatées :

- l’assainissement

- le mode d’organisation (communale ou intercommunale) et de gestion (en
régie publique ou déléguée à un privé)

- le degré de qualité, d’accessibilité et d’abondance de la ressource.

La moyenne française du prix TTC au m3 était de 16,55 Frs en 1998 pour une
base de consommation de 120 m3/an/habitant (étude IFEN). L’augmentation est
en moyenne de plus de 60 % par rapport à 1990.

Il existe 5 postes sur une facture d’eau :

- Distribution de l’eau : 42 %

- Assainissement : 31 %

- Redevance pollution et préservation de la ressource : 17 %

- Taxes (FNDAE, VNF, TVA) : 10 %

(source DGCCRF, étude 1998)

Or :

1) La consommation domestique est en moyenne inférieure à 90
m3/an/habitant (G. Borvon « S-EAU-S »).

2) De nombreuses collectivités appliquent à leurs factures d’eau une "
part fixe" égale à zéro, d’autres la font grimper à 1200 F (183 Euros)
par an, ce qui entraîne une grande disparité dans le montant final de
toute facture d’eau et une grande iniquité car ce sont ceux qui
consomment le moins qui paient le plus cher. De plus, cette disposition
incite au gaspillage.

Ainsi, le prix de l’eau ne correspond à aucune donnée objective. De
surcroît, sur le plan de la qualité, nous payons notamment en Bretagne, une
eau de plus en plus cher pour une qualité de moins en moins bonne.

( Consommation et redevances aux agences de l’eau

Pourcentage de redevance versée aux agences de l’eau Consommation (%du volume total)
84 % usagers domestiques et collectivités 10 %
15% industriels 20 % (50 % IAA)
1 % agriculteurs reste

Ce sont ceux qui consomment le moins qui payent le plus : on est loin
du principe « pollueur - payeur » ! ! et l’argent collecté est reversé à
ceux qui consomment le plus (les agriculteurs) pour les aider théoriquement
à avoir des pratiques moins polluantes.

* Coût de la pollution

Exemple du bassin versant de l’Ic (ouest de la baie de St Brieuc 22)

(source : « Le coût de la pollution à travers l’exemple du bassin versant
de l"Ic, mémoire de G. Le Roux , ENSP 1998)

1. coûts directs :

surcoût lié aux traitement nitrates et pesticides 965 kF/an
traitement des marées vertes 160 kF/an
consommation d’eau embouteillée 328 kF/an
études d’impact 250 kF/an
investissements3 5 400 kF sur 5 ans

2. coûts indirects appelés coûts externes :

impact de la pollution par les nitrates sur le tourisme balnéaire, estimé
par modélisation :

pertes financières / au cas de figure optimal (développement durable =
nitrates ( 25 mg/l)

si nitrates 25-50 mg/l : 15 MF/an

si nitrates ( 50 mg/l : 30 MF/an

On remarque que les coûts externes, bien que difficilement appréciable en
valeur, sont très supérieurs aux coûts directs

En conséquence sur les 3 points précédents (prix, consommation, coût),
chaque citoyen (soit comme contribuable, soit comme consommateur) supporte
le coût des pollutions (assainissement de l’eau, subvention des
installations polluantes)

* Quelques effets pervers de la lutte anti-pollution.

Le discours technologique rassurant sur les améliorations performantes du
traitement de l’eau (aval) par les grands opérateurs de l’eau encourage
fortement et plus ou moins consciemment à continuer de polluer (amont)

Dans de nombreux cas, l’argent versé par les plus gros pollueurs ne fait
que leur revenir grâce aux aides à la dépollution (source : Science et Vie
Hors série, juin 2000, page 59)

Concernant le PMPOA (Programme de Maîtrise de la Pollution d’Origine
Agricole) dont l’objectif est de participer à la reconquête de la qualité
de l’eau : « les grosses exploitations vont payer 38 millions de francs de
redevance et elles vont bénéficier de 620 millions d’aides pour dépolluer,
c’est-à-dire pour compenser les conséquences d’un choix de production
mauvais pour l’emploi, l’aménagement du territoire et l’environnement »
Jacques Lamaud, conseiller régional du Limousin cité dans « S-EAU-S » de
Gérard Borvon.

En proportion, 1 million de francs versé par exploitation polluante contre
1 milliard de francs d’aides des Agences de l’eau (rapport de 1/1000).

4 Conclusion

En Bretagne, l’agriculture productiviste et l’élevage intensif ont généré
une situation catastrophique en matière de pollution de l’eau . Nous avons
pris les nitrates comme symbole étalon de cette atteinte à l’élément vital
pour le vivant qu’est l’eau afin de montrer les mécanismes qui sous tendent
cette pollution. Mais il est vrai que les nitrates constituent davantage un
bon indicateur de dégradation des milieux aquatiques qu’un polluant au sens
strict du terme. Les pesticides ou les métaux lourds ont une dangerosité en
matière sanitaire et écotoxicologique bien plus dramatique.

Le constat de la mauvaise qualité des eaux en Bretagne est récurrent depuis
trois décennies et le dernier rapport de la cour des comptes de février
2002 intitulé « La préservation de la ressource en eau face aux pollutions
d’origine agricole : Le cas de la Bretagne » enfonce une nouvelle fois le
clou : « les cours d’eau et les nappes de Bretagne sont aujourd’hui
fortement dégradés par l’activité agricole, au point qu’une prise d’eau sur
trois contrevient aux normes de qualité fixées par la réglementation. ».
Depuis la première et lente prise de conscience de la dégradation des eaux
bretonnes dans les années 90, ce ne sont pas moins de 310 ME de fonds
publics (entre 1993 et 2000) qui ont été engagés pour la sempiternelle
reconquête de la qualité de l’eau .

Le triste bilan est connu, le constat est amer : « Les différents
programmes ne se sont guère efforcés de réduire les pollutions agricoles à
la source : ils ont le plus souvent pris la forme d’incitations à mieux
faire, dans l’espoir qu’une modification progressive des pratiques
éviterait de devoir faire respecter une réglementation qui demeure lettre
morte. D’une façon plus générale, les actions engagées en Bretagne se sont
attachées à convaincre les seuls éleveurs, alors que ceux-ci ne constituent
que les derniers maillons de filières fortement intégrées : les
déséquilibres du modèle agricole breton sont d’abord le produit d’un
système agro-alimentaire, et non pas seulement d’exploitants individuels.
Enfin, la charge financière de ces actions n’a pas reposé sur le principe
selon lequel celui qui pollue doit payer : elle a été, soit supportée par
l’ensemble des collectivités concernées, au premier rang desquelles figure
l’Etat, soit reportée sur les consommateurs d’eau par le prix qui leur
était facturé ». (extrait du rapport de la cour des comptes 2002).

Notes

[1Elément(s) qui entre(nt) dans la production d’un bien

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