dimanche 17 novembre 2002, par
En un demi siècle, l’agriculture bretonne a réussi une véritable mutation,
devenant la première région agricole française. Mais à quel prix ! Celui
d’un désastre environnemental, de conséquences sanitaires très
préoccupantes à moyen et long terme sans compter les répercussions directes
ou indirectes sur l’économie bretonne, les emplois et l’image de marque
d’une région.
La Bretagne est malade de son eau. A partir de ce triste, douloureux et
récurrent constat amorcé depuis une trentaine d’années, ce travail se
propose d’analyser et d’expliciter les processus et les forts enjeux
économiques qui sous tendent la dégradation de la qualité de ce bien commun
patrimonial de l’humanité qu’est l’eau.
Si elle a un coût, l’eau n’est pas une marchandise !
Document de Yann Olivaux et Anne-Marie Daniel.
1. Définitions et mécanismes des pollutions de l’eau : l’exemple des nitrates
1.1 De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de pollution ?
La pollution est « la dégradation d’un milieu  naturel  par  des  substances
chimiques, des déchets industriels » (définition du Larousse).
Il faut noter qu’un contaminant (substance présente dans un  milieu  sans  y
engendrer de dommages) n’est pas forcément un polluant  (substance  présente
dans un milieu et toxique pour ce milieu).
Pour  la  pollution  de  l’eau,  il  convient  de  distinguer  2  types   de
phénomènes :
 pollution produite par un excès d’éléments qui sont normalement  présents  à
 pollution produite par un excès d’éléments qui sont normalement  présents  à
l’état naturel dans le milieu. ex. : nitrates, phosphates
 pollution par des éléments  de  synthèse  introduits  par  l’homme  dans  le
 pollution par des éléments  de  synthèse  introduits  par  l’homme  dans  le
milieu naturel. ex. : pesticides
Les pollutions conduisent à perturber le fonctionnement  du  milieu  naturel
et ensuite, par voie de conséquence, peuvent  induire  des  risques  sur  la
santé humaine. Les modifications induites dans  le  milieu  naturel  et  les
risques pour la santé humaine sont  en  général  bien  plus  importants,  et
souvent plus difficiles à évaluer sur le long terme, pour le  2ème  type  de
pollution (pollution par des éléments de synthèse).
1.2 D’où viennent les pollutions ?
Les pollutions proviennent des activités humaines industrielles, urbaines
et agricoles. Il convient de distinguer :
 les  pollutions  ponctuelles :  la  source  de  pollution  est  facilement
 les  pollutions  ponctuelles :  la  source  de  pollution  est  facilement
localisable, c’est un point précis.
ex : Les pollutions industrielles sont qualifiées de ponctuelles.
Il s’avère que de nombreux  progrès  ont  été  faits  quant  aux  pollutions
industrielles : les amendes aux pollueurs sont dissuasives,  les  industries
ont une image à assumer face au  consommateur,  la  plupart  possèdent  leur
propre station de traitement. La pollution industrielle n’est donc  plus  un
enjeu d’actualité dans les pays développés (le  problème  est  tout  à  fait
différent dans les pays dits « en voie de développement »).
 les  pollutions  diffuses :  la  source  de  la   pollution   n’est   pas
 les  pollutions  diffuses :  la  source  de  la   pollution   n’est   pas
identifiable précisément.
ex : Les pollutions agricoles sont qualifiées de diffuses.
Ce sont ces pollutions qui posent vraiment  des  problèmes  aujourd’hui,  en
particulier en Bretagne.  C’est  à  ce  niveau  que  se  situe  l’enjeu.  La
pollution de l’eau par les nitrates relève de cette catégorie.
1.3 Agriculture et pollution : comment pousse une plante et quels  sont  les
mécanismes conduisant à polluer ?
La plante pousse sur un sol qui la « nourrit » en azote (qui se transforme en nitrate pour être absorbé par la plante), phosphore, potasse (.). Les sols doivent donc être régulièrement entretenus par des apports qui viennent compenser les prélèvements réalisés par la plante.
Ces apports peuvent être de 2 types :
 apports de matières  organiques  (déjections  animales  =  fumiers  et
 apports de matières  organiques  (déjections  animales  =  fumiers  et
   lisiers ; résidus de culture.)
 apports de matières minérales naturelles  ou  de  synthèse  =  engrais minéraux (ammonitrate, super phosphate.).
 apports de matières minérales naturelles  ou  de  synthèse  =  engrais minéraux (ammonitrate, super phosphate.).
Ce sont les excès d’apports  sur  les  sols  par  rapport  aux  besoins  des
plantes en engrais organiques ou minéraux qui conduisent aux pollutions  par
les nitrates, car cet élément n’est pas bien retenu dans  les  sols  et  est
emporté dans l’eau (phénomène de lessivage). On estime en Bretagne à  60.000
tonnes/an, la quantité de nitrates qui se retrouve dans les rivières et  les
mers.
L’autre élément important pour les cultures  est  la  maîtrise  des  plantes
concurrentes et des parasites. Pour cela, 2 méthodes sont envisageables :
 recherche d’un équilibre à partir  d’une  bonne  connaissance  des  cycles
 recherche d’un équilibre à partir  d’une  bonne  connaissance  des  cycles
naturels (principe de l’agriculture biologique)
 destruction  par  des   produits   phytosanitaires   (=   pesticides   et
 destruction  par  des   produits   phytosanitaires   (=   pesticides   et
herbicides).
Lorsque  les  produits  phytosanitaires  sont  apportés  en   trop   grandes
quantités ou dans de mauvaises conditions, ils  sont  mal  retenus  par  les
sols et se retrouvent alors dans l’eau.
1.4 Pourquoi a t-on beaucoup de pollution par les nitrates en Bretagne ?
Pour fixer les idées sur l’origine des nitrates  excédentaires  produits  en
Bretagne, quelques chiffres :
1. la Bretagne représente 6 % de la  surface  agricole  utile  française  et
   concentre 20 % de la production bovine française (cheptel de 2,2 millions
   de bovins), 40% de la production avicole française (plus de 400  millions
   de volailles abbattues par an) et 60% de la production porcine  française
   (14 millions de porcs abbattus par an) (chiffres du RGA 2000).  En  terme
   de rejets, il peut être également intéressant de connaître  les  chiffres
   suivants : au niveau de la production d’azote, 1 vache produit autant que
   14 humains, 1 porc adulte autant que 3 humains et 1 volaille  autant  que
   0,2 humains. Au total, si on transforme l’ensemble du cheptel  animal  en
   humains, on aboutit à  une  population  bretonne  d’environ  60  millions
   d’habitants.
2. l’origine de l’azote apporté aux sols, et que l’on retrouve ensuite  dans
   les eaux lorsqu’il  est  apporté  en  trop  grandes  quantités,  provient
   pratiquement autant des déjections animales (environ 55%) que des engrais
   de  synthèse  (environ  45%).  Et  pour  les  déjections   animales,   la
   répartition entre les différentes catégories d’animaux est la suivante :

   globalement, il y a trop d’azote apporté sur les  sols  en  Bretagne  par
rapport aux besoins. Le bilan effectué pour 1996  est  le  suivant  (source,
atlas de l’environnement en Bretagne, 1998).

La  pollution  par  les  nitrates  en  Bretagne  résulte,   comme   expliqué
précédemment, d’un excès d’apport en  azote  par  rapport  aux  besoins  des
plantes. Deux types de raisons conduisent des agriculteurs  à  réaliser  des
apports en excès :
un raisonnement agronomique erroné et insuffisant. Cela est lié à un  manque
de formation et de conseil, d’outils  que  l’agriculteur  puisse  facilement
s’approprier mais aussi  et  surtout,  à  un  manque  de  sensibilisation  à
l’importance de bien raisonner sa fertilisation, ceci d’autant plus que  des
plantes comme le maïs ne craignent pas du tout l’excès d’azote ;
une production de déjections animales trop  importantes  par  rapport  à  la
surface  dont  dispose  l’agriculteur.  En  Bretagne,  cette  situation   se
rencontre  très  fréquemment  et  aboutit  dans  certaines   zones   à   des
concentration très importante des élevages bovins + porcs  +  volailles  qui
produisent des quantités de déjections  bien  supérieures  aux  besoins  des
sols et des plantes. C’est ce qu’on appelle,  les  ZES  (Zones  en  Excédent
Structurel). Dans ces  ZES,  on  dépasse  une  moyenne  de  170  kg  d’azote
originaire des déjections animales par ha.
Dans ce cas, la résolution du problème  est  alors  plus  compliquée  car
l’éleveur cherche avant tout à « se débarrasser » de  ses  déjections.  A
part réduire son cheptel pour  diminuer  sa  production,  deux  types  de solutions s’offrent à lui :
1. chercher à répartir ses déjections sur une surface plus grande,  c’est
      à dire chez des voisins qui recherchent des  déjections  animales.  Ce
      sont les plans d’épandage.
2. lorsque les  voisins  sont  aussi  en  « excédent »,  transformer  ses
      déjections pour pouvoir les exporter hors de la ZES  ou  bien  traiter
      l’azote pour le retransformer en azote de l’air ou en engrais. Or cela
      a un coût qui ne peut être supporté que par de  grosses  exploitations
      individuelles. Pour les exploitations plus petites, il est  nécessaire
      que les éleveurs se regroupent et s’organisent entre eux pour  trouver
      des solutions collectives ce qui est  compliqué,  prend  du  temps  et
      souffre  souvent  du  manque  d’appui  de  techniciens  neutres   pour
      accompagner ces groupes d’éleveurs dans leur réflexion.
Enfin, même quand un agriculteur a résolu son  problème  d’excédent  et  est
capable de réaliser un bon raisonnement agronomique, les apports d’azote  ne
sont pas toujours réalisés de  façon  idéale  pour  des  raisons  de  temps,
d’accessibilité des parcelles. :  il  en  résulte  que  certaines  parcelles
reçoivent plus d’azote d’origine  organique  que  nécessaire  (parcelles  de
maïs en particulier) et que, comme il n’y a  plus  assez  d’azote  organique
pour les autres parcelles, de l’azote minéral est apporté à  la  place  pour
les fertiliser. et c’est alors l’azote minéral qui est excédentaire et  créé
de la pollution !
 1.5. Comment résoudre le problème de pollution par l’azote en Bretagne ?  Des
 1.5. Comment résoudre le problème de pollution par l’azote en Bretagne ?  Des
textes réglementaires et des  programmes  « d’actions »  existent  mais  les
moyens choisis ne sont pas suffisants et/ou sont inadaptés
Le schéma ci-dessous résume les différents dispositifs mis en ?uvre pour
maîtriser les pollutions d’origine agricole  et en particulier la pollution
par les nitrates (source : atlas de l’environnement en Bretagne, 1998) :
| - Règlement sanitaire départemental - Installations classées (déclaration ou autorisation ) | Mise au norme des bâtiments d’élevage et des pratiques = PMPOA (Programme de Maitrise des Pollutions d’Origine Agricole) mise en œuvre progressive en fonction de la taille des exploitations | Programme Bretagne Eau Pure = actions concentrées sur des territoires sensibles alimentant directement des ressources en eau 
 | 
| 
 | 
 | 
 | 
| Programme d’actionde la directive nitrate Base = code de bonnes pratiques agricoles | Programmes de résorption des excédents définition de cantons en ZES et d’actions spécifiques à réaliser dans ces cantons | 
 | 
| 
 | 
 | 
 | 
| Mesures agri-environnementales, CTE (Contrat Territorial d’Exploitation)… | ||
Mais tous ces dispositifs n’ont pas encore produit leurs effets car de
nombreux points de blocages existent. Parmi eux, on peut souligner :
1. le manque de moyens  de  l’administration  entraînant  des  retards  dans
   l’instruction  des  dossiers  et  une  insuffisance  de  réels  contrôles
   (dépassements d’effectifs d’animaux, vérification des plans  d’épandage.)
   qui, même lorsqu’ils ont lieu, ne sont  pas  souvent  suivis  de  réelles
   sanctions
2.  l’absence  de  limites  à  l’utilisation  des   engrais   minéraux,   en
   particulier dans les zones excédentaires (ZES)
3. la difficulté pour  les  agriculteurs  à  s’organiser  pour  trouver  des
   solutions de traitement adaptées
4.  des  conseils  techniques  apportés  aux  agriculteurs   inadaptés   car
   essentiellement réalisés par des techniciens de coopératives, groupements
   etc. qui ont tendance à pousser à la consommation
5. une incitation économique insuffisante  aux  bonnes  pratiques  agricoles
   (aides PAC liées plus à la productivité qu’à l’environnement)
Avant tout, il est essentiel de  comprendre  que  tout  cela  découle  d’une
logique liée à un modèle économique et à une absence  de  volonté  politique
de modifier cet état de fait.
2. L’agriculture bretonne : liens entre modele de production, economie et pollutions}
Deux types de productions apparaissent comme emblématiques du choix du
modèle de production agricole intensif en Bretagne et de ses conséquences
sur la dégradation des ressources aquatiques : les productions hors-sol et
la culture du maïs.
2.1. Le rôle des productions hors-sol
Système d’élevage (porcs, volailles, veaux, taurillons) où les animaux sont nourris par des aliments achetés à l’extérieur de l’exploitation 
(Industries Agro-Alimentaires)
L’agriculture bretonne a connu une modernisation tardive  comparé  au  reste
de l’agriculture française.
Pour la France voici quelques repères :
 production agricole multipliée par 2,7 sur 100 ans de 1896 à 1998,
 production agricole multipliée par 2,7 sur 100 ans de 1896 à 1998,
 main d’oeuvre agricole : passage de 8,2 millions de personnes à  1,1  million
 main d’oeuvre agricole : passage de 8,2 millions de personnes à  1,1  million
sur les 100 mêmes années,
 productivité, sur la même période : multipliée par 28 (heures  travaillées :
 productivité, sur la même période : multipliée par 28 (heures  travaillées :
de 3047 h/année à 2200 h/année)
En Bretagne, la modernisation a commencé après les années 50 :
 diminution du nombre d’exploitations de 1950 à 1990 : de 120 000 à 60 000
 diminution du nombre d’exploitations de 1950 à 1990 : de 120 000 à 60 000
 diminution du nombre d’actifs : 51 % de la population active en 1954 à 10 %
 diminution du nombre d’actifs : 51 % de la population active en 1954 à 10 %
en 1998  si  on  tient  compte  des  actifs  des  I.A.A.  (Industries  Agro-
Alimentaires).
Cependant, dans  les  années  soixante  la  modernisation  de  l’agriculture
bretonne se révèle très insuffisante. En effet, au début de cette  décennie,
les surfaces des exploitations étaient petites et les actifs très  nombreux.
Pour satisfaire les besoins de  cette  population  nombreuse,  l’agriculture
bretonne est à la recherche de revenus plus  élevés.  Le  développement  des
exploitations  est  porté  par  un  tissu  social  très  actif  ainsi  qu’un
encadrement syndical et coopératif puissant.
Apparaissent alors les premières productions hors-sol (poulets et ?ufs)  qui
ont d’abord été développées dans la région de Baud dans  le  Morbihan,  zone
pauvre  et  archaïque  au  regard  du  dynamisme  et  de  la  richesse   des
exploitations du Finistère.
Mais c’est en 1970 que le modèle économique breton prend vraiment place :
intensification de la production laitière avec augmentation des  tailles  de
cheptel,  introduction  de  nouvelles   races   de   vaches   laitières   et
modification de leur alimentation pour gagner en productivité laitière,
production de viande  "rouge"  avec  le  même  souci  de  modification  de
l’alimentation animale à des fins de productivité,
et surtout développement  des  productions  hors-sol :  filière  avicole  et
filière porcine pour la production  de  viandes  « blanches ».  La  Bretagne
prend la première place pour la filière porcine en France et fait  face  aux
concurrents danois et hollandais.
Les productions hors-sol nécessitent à la fois :
 des équipements (bâtiments spécifiques et matériel)
 des équipements (bâtiments spécifiques et matériel)
 de nombreux intrants [1] (aliments, produits vétérinaires.)
 de nombreux intrants [1] (aliments, produits vétérinaires.)
La physionomie des exploitations a donc  été  rapidement  modifiée  par  les
productions hors sol : spécialisation des productions  et  augmentation  des
consommations intermédiaires et des facteurs de productions.
Les exploitations se sont spécialisées par  productions.  Par  exemple  pour
les  poulets,  la  spécialisation  va  se  faire  à  partir  des  étapes  de
développement  de  l’animal :  schématiquement,  poussins,  jeunes  poulets,
poulets. Les cultures se sont spécialisées aussi pour nourrir les animaux  à
la place de cultures à finalité alimentaire  directe  (remplacement  du  blé
sarasin par du maïs par exemple).
Les intrants2, ou consommations  intermédiaires,  qui  sont  liés  au  cycle
d’exploitation (temps nécessaire  à  la  production  d’un  produit  pour  la
vente), sont aujourd’hui  très  nombreux :  graines  et  semences,  engrais,
aliments,  produits  phytosanitaires,  outillage,  services  de   personnels
spécialisés (dont le vétérinaire), eau,  électricité.  Par  le  passé  seuls
comptaient les graines et semences et les engrais.
Le poste des  facteurs  de  production  a  suivi  la  même  évolution :  aux
machines et à la main  d’ ?uvre  se  sont  ajoutés  le  poids  des  bâtiments
spécialisés et les transformations technologiques rapides des machines.  Les
machines agricoles sont très spécialisées en fonction des  cultures  et  des
productions  animales.  Cela  entraîne  incontestablement   des   gains   de
productivité mais le coût des  machines,  leur  nombre  et  leur  rythme  de
renouvellement ont considérablement augmenté.
Dernier  point à  souligner,   l’autoconsommation   sur   l’exploitation   a
largement diminué. L’agriculteur ne produit plus sa propre nourriture.  Cela
apparaît   contre-productif    (temps,   espace   et    préoccupation)    et
culturellement la famille  de  l’exploitant  intègre  aussi  la  société  de
consommation. C’est un point qui empêche les agriculteurs  de  se  poser  la
question de la qualité de leurs productions :  l’objectif  est  de  produire
des protéines animales bon marché et en  grande  quantité,  transformées  et
commercialisées par les I.A.A.
2.1.1. Une dépendance croissante des exploitations à l’égard des marchés
« amont et aval »
Par le passé, l’exploitation  mettait  ses  productions  variées  (récoltes,
animaux, lait et dérivés) sur un marché local dont la caractéristique  était
l’inorganisation.  En  amont,   les   intrants   étaient   faibles   puisque
l’exploitation achetait seulement les engrais et les machines  et  seulement
une partie des  graines  et  semences.  L’agriculteur  savait  produire  ses
semences à partir des récoltes de l’année passée. En aval,  les  productions
agricoles assuraient une alimentation directe. Il  faut  être  dans  le  sud
Finistère pour voir des productions faites pour  l’industrie :  petits  pois
et haricots essentiellement. Certes les fermes  n’étaient  pas  riches  mais
c’était plutôt le rapport taille de l’exploitation/nombre de  personnes  sur
l’exploitation qui était la cause de la pauvreté.
Actuellement,  l’augmentation  de  la  taille  des   exploitations   et   la
spécialisation des productions ont entraîné une dépendance  très  forte  des
agriculteurs à l’égard des marchés. Ces marchés sont  organisés  aussi  bien
en amont qu’en aval. Ils ont été dominés, très  tôt,  par  les  I.A.A.  soit
sous forme coopérative, soit sous forme privée. La forme juridique joue  peu
sur l’intensité de la domination. La grève du lait en 1972,  dirigée  contre
les coopératives qui étaient les premiers collecteurs de lait  à  ce  moment
là, montre bien cette domination.  Les  contrats  d’intégration  (fourniture
des aliments, production et écoulement de la production) ont  été  dès  1970
dénoncés comme étant un salariat masqué pour l’agriculteur, son  travail  se
limitant à l’application du cahier des charges établi par les I.A.A..
Ces  cahiers  des  charges  ont  évolué  mais  la  perte  d’indépendance  de
l’agriculteur se voit aussi dans la non maîtrise des coûts des  intrants  et
des prix des productions vendues.
D’un coté, les I.A.A. fournissent  aux  agriculteurs  des  intrants  devenus
indispensables à des coûts sans cesse croissants.
De l’autre coté, les prix des productions vendues ne sont plus  garantis  et
sont à la baisse très régulièrement. En effet,  les productions  vendues  ne
sont plus que des consommations intermédiaires  pour  les  I.A.A.  donc  des
fournitures acquises au prix le plus bas possible par ces mêmes I.A.A.
La valeur ajoutée aux produits agricoles reste  donc  entre  les  mains  des
I.A.A. L’écart  entre  le  coût  croissant  des  intrants  et  le  prix  des
productions  vendues  augmente  considérablement  le  niveau  du  seuil   de
rentabilité  des  exploitations.  Les  exploitations   sont   condamnées   à
augmenter la taille de leurs productions et ne  peuvent  pas  trouver  leurs
propres débouchés pour leurs productions. La dépendance est absolue.
En conclusion, les productions hors-sol fragilisent à terme l’équilibre de
l’exploitation.
En effet, le coût des intrants est élevé et accentue la poursuite des gains
de productivité. Cela se traduit par la recherche continue d’aliments
sophistiqués pour assurer une croissance rapide des animaux d’élevage dans
le but de réduire le cycle de production et de répondre en terme de
quantitatif et non qualitatif, au marché.
2.1.2. La justification à  l’augmentation  des  tailles  de  production :  une
usine de traitement du lisier
Au nord de Brest, 340 éleveurs se sont associés pour créer, à Milizac, une
gigantesque usine de transformation collective de lisier capable de traiter
300 000 tonnes par an. Elle traiterait aussi 7 000t /an de boues
d’épuration et 15 000 t/an de déchets verts. Le résultat : 160 000 t.
d’engrais en granulés commercialisables. L’eau rejetée par cette usine
serait propre. Mais cette transformation nécessiterait la fourniture et
l’utilisation de 92 000t/an d’acide sulfurique et 32 000 t/an
d’ammoniaque ; ceci classe l’usine comme site industriel à risque de type
Seveso 2. Le coût total est estimé à 22,87 millions d’Euros (150 MF). Bien
sûr l’Etat financerait 1/6 du projet. Mais quel devra être son financement
si l’écoulement des engrais chimiques se fait mal ? Qui  remettra en cause
un tel équipement, s’il voit le jour, au titre de sa non rentabilité
commerciale ?
Ce projet illustre bien la fuite en avant de l’agriculture hors-sol en
Bretagne. Les effets négatifs des épandages, sur la qualité de l’eau, ne
sont plus contestés et plutôt que de revoir le modèle porcin breton, les
autorités laissent celui-ci continuer sur sa lancée productiviste et
acceptent de financer le remède : une usine de production d’engrais
chimique sous couvert de traitement du lisier. Le gigantisme de l’unité de
traitement, le risque industriel qui y est attaché imposent déjà de penser
le remède à ses inconvénients. Ce projet est uniquement un palliatif aux
inconvénients du système de production hors-sol et ne comporte aucune
prospective environnementale et économique. L’enquête d’utilité publique a
commencé le 15 novembre dernier.. Un collectif est créé, il a déjà mobilisé
du monde. ATTAC se doit de savoir condamner les incohérences d’un tel
projet qui sert à masquer les inconvénients d’un système de production.
2.2. Le rôle du maïs hybride
Cette plante n’appartient pas aux cultures locales et  a  été  implantée  en
Bretagne à partir des années 70  pour  assurer  l’alimentation  des  animaux
élevés hors prairies  et  accroître  leur  productivité  (bovins  et  vaches
laitières). De plus, la semence est le plus souvent un " intrant ", c’est  à
dire que l’agriculteur l’achète à l’extérieur  de  l’exploitation  (le  maïs
hybride ne se reproduit pas).
La culture du maïs a les caractéristiques suivantes :
période de travail impérative : ensemencement au printemps  sur  une  période
courte,
unique récolte annuelle à une période donnée (octobre/novembre),
besoins en eau importants,
machines spécialisées et importantes pour l’ensemencement et la récolte,
sensible aux manque d’ensoleillement  ce qui implique des  compensations  en
apports d’engrais,
engrais nécessaires compte tenu des sols bretons et grande tolérance  envers
les excès de nitrates,
et dernière exigence : des  produits  phytosanitaires  sont  nécessaires  et
massivement utilisés.
La graine fournit :
des calories,
2. des protéines déficitaires  en  acides  aminés  indispensables  pour  les
  vaches (en comparaison sur la même surface,  l’herbe  produit  autant  de
  calories, le double de protéines avec un meilleur équilibre entre  acides
  aminés et pour un coût 5 fois moindre).
  Elle implique automatiquement des  compléments  alimentaires  protéinés :
  soja, (ce protéagineux, automatiquement importé d’autres  parties  de  la
  planète,   est   sensible   aux   cours   mondiaux   et    aux    sources
  d’approvisionnements), et pour parer  aux  approvisionnements  en  soja ,
  sont apparues les farines animales.
En conclusion, le maïs hybride est  la  culture  symbole  d’une  agriculture
productiviste : nécessité d’une alimentation assurant une croissance  rapide
des animaux. L’introduction de cette culture est  perturbante  sur  le  plan
environnemental : utilisation de grandes  quantités  d’eau,  pollutions  des
eaux par les engrais et produits phytosanitaires.
 3.1. A qui profite les pollutions de l’eau en Bretagne ? : les enjeux
 3.1. A qui profite les pollutions de l’eau en Bretagne ? : les enjeux
économiques
Aux yeux de l’opinion publique, la responsabilité majeure des pollutions  par
l’azote, le phosphore et les pesticides incombe  à  l’agriculture  intensive
rebaptisée « raisonnée ». Cependant, de nombreux secteurs  économiques  plus
ou moins interdépendants tirent profit de manière directe ou  indirecte  des
pollutions de l’eau. En voici un canevas :
* Industries d’amont : conglomérat agro-industriel
* Intérêts directs :
 Groupements  porcins et légumiers via les coopératives agricoles
 Groupements  porcins et légumiers via les coopératives agricoles
 Industriels  des  phytosanitaires  et  des  fertilisants  (80%   du   marché
 Industriels  des  phytosanitaires  et  des  fertilisants  (80%   du   marché
agrochimique est détenu par 5 grands groupes : Aventis  (Hoeschst  +  Rhone-
Poulenc), Novartis, Zeneca,  BASF,  UIPP  (a  titre  d’exemple,  le  chiffre
d’affaire 1999 de ce dernier groupe était de 18018 Millions de  Francs  pour
la France + 3843 Millions de Francs pour l’étranger)
* Intérêts induits :
 Industriels des aliments pour bétail, fabricant de matériel agricole,
 Industriels des aliments pour bétail, fabricant de matériel agricole,
 Industries AgroAlimentaires (4000 entreprises), abattoirs, banques.
 Industries AgroAlimentaires (4000 entreprises), abattoirs, banques.
* Industries d’aval
* Intérêts directs :
      Opérateurs  de  la  potabilisation,   de   l ’assainissement   et   de
      l’ingéniérie de l’eau (construction des stations de potabilisation  et
      d’assainissement) :
      ( Vivendi Water  (ex  Générale  des  Eaux)  (50 %  du  marché  de  la
      distribution d’eau  potable  et  de  l’assainissement  en  France,  25
      millions de Francs de CA en 2000)
      ( Lyonnaise des Eaux-Suez (23 % du marché  français,  15  millions  de
      Francs de CA en 2000)
( SAUR (17 % du marché, 8 millions de Frs de CA en 2000)
      Ainsi 80 % du marché de la distribution d’eau potable  est  privé.  En
      1992,  la  loi  sur  l’eau  qui  fixait  des  objectifs  ambitieux  de
      dépollution a donné aux opérateurs privés l’occasion de s’enrichir  et
      de se développer. C’est  pour  cela  qu’aujourd’hui  on  retrouve  ces
      grandes compagnies des eaux  dans  de  multiples  secteurs  d’activité
      économique.  L’exemple  de  la  diversification   des   activités   et
      investissements de la Génrale des Eaux  est  frappant :  naissance  de
      Vivendi Universal, participation dans Canal +, SFR, Générale d’images,
      SGE (BTP).
* Intérêts induits :
 Minéraliers (Danone, Nestlé.)
 Minéraliers (Danone, Nestlé.)
 Sociétés de traitements individuel et industriel de l’eau (osmose inverse.)
 Sociétés de traitements individuel et industriel de l’eau (osmose inverse.)
 Bureaux d’études (ex : étude d’impact pour l’implantations de porcheries)
 Bureaux d’études (ex : étude d’impact pour l’implantations de porcheries)
 3.2. Coûts et effets pervers de la politique de gestion de l’eau
 3.2. Coûts et effets pervers de la politique de gestion de l’eau
* Prix et facture de l’eau
Le prix de l’eau varie beaucoup dans l’espace (milieux  urbains  et  ruraux,
bassins, régions, départements,  villes)  et  sa  structure  (postes  de  la
facture) évolue également dans le temps.
3 critères prépondérants expliquent les disparités constatées :
 l’assainissement
 l’assainissement
 le mode d’organisation (communale  ou  intercommunale)  et  de  gestion  (en
 le mode d’organisation (communale  ou  intercommunale)  et  de  gestion  (en
régie publique ou déléguée à un privé)
 le degré de qualité, d’accessibilité et d’abondance de la ressource.
 le degré de qualité, d’accessibilité et d’abondance de la ressource.
La moyenne française du prix TTC au m3 était de 16,55 Frs en 1998  pour  une
base de consommation de 120 m3/an/habitant (étude IFEN). L’augmentation  est
en moyenne de plus de 60 % par rapport à 1990.
Il existe 5 postes sur une facture d’eau :
 Distribution de l’eau : 42 %
 Distribution de l’eau : 42 %
 Assainissement : 31 %
 Assainissement : 31 %
 Redevance pollution  et préservation de la ressource : 17 %
 Redevance pollution  et préservation de la ressource : 17 %
 Taxes (FNDAE, VNF, TVA) : 10 %
 Taxes (FNDAE, VNF, TVA) : 10 %
(source DGCCRF, étude 1998)
Or :
1)  La  consommation  domestique  est  en  moyenne  inférieure  à   90
m3/an/habitant (G. Borvon « S-EAU-S »).
 2) De nombreuses collectivités appliquent à leurs factures d’eau une  "
    part fixe" égale à zéro, d’autres la font grimper à 1200 F (183  Euros)
    par an, ce qui entraîne une grande disparité dans le montant  final  de
    toute facture d’eau et  une  grande  iniquité  car  ce  sont  ceux  qui
    consomment le moins qui paient le plus cher. De plus, cette disposition
    incite au gaspillage.
         Ainsi, le prix de l’eau ne correspond à aucune donnée objective. De
surcroît, sur le plan de la qualité, nous payons notamment en Bretagne,  une
eau de plus en plus cher pour une qualité de moins en moins bonne.
( Consommation et redevances aux agences de l’eau
| Pourcentage de redevance versée aux agences de l’eau | Consommation (%du volume total) | 
| 84 % usagers domestiques et collectivités | 10 % | 
| 15% industriels | 20 % (50 % IAA) | 
| 1 % agriculteurs | reste | 
      Ce sont ceux qui consomment le moins qui payent le plus : on est  loin
du principe « pollueur - payeur » ! ! et l’argent  collecté  est  reversé  à
ceux qui consomment le plus (les agriculteurs) pour les aider  théoriquement
à avoir des pratiques moins polluantes.
* Coût de la pollution
Exemple du bassin versant de l’Ic (ouest de la baie de St Brieuc 22)
(source : « Le coût de la pollution à travers l’exemple  du  bassin  versant
de l"Ic, mémoire de G. Le Roux , ENSP 1998)
1. coûts directs :
| surcoût lié aux traitement nitrates et pesticides | 965 kF/an | 
| traitement des marées vertes | 160 kF/an | 
| consommation d’eau embouteillée | 328 kF/an | 
| études d’impact | 250 kF/an | 
| investissements3 | 5 400 kF sur 5 ans | 
2. coûts indirects appelés coûts externes :
impact de la pollution par les nitrates sur le  tourisme  balnéaire,  estimé
par modélisation :
pertes financières / au cas  de  figure  optimal  (développement  durable  =
nitrates ( 25 mg/l)
si nitrates 25-50 mg/l : 15 MF/an
si nitrates ( 50 mg/l : 30 MF/an
On remarque que les coûts externes, bien que  difficilement  appréciable  en
valeur, sont très supérieurs aux coûts directs
En conséquence sur les  3  points  précédents  (prix,  consommation,  coût),
chaque citoyen (soit comme contribuable, soit comme  consommateur)  supporte
le  coût  des  pollutions   (assainissement   de   l’eau,   subvention   des
installations polluantes)
* Quelques effets pervers de la lutte anti-pollution.
 Le discours technologique rassurant sur les améliorations performantes  du
traitement de l’eau (aval) par les  grands  opérateurs  de  l’eau  encourage
fortement et plus ou moins consciemment à continuer de polluer (amont)
 Dans de nombreux cas, l’argent versé par les plus gros pollueurs  ne  fait
que leur revenir grâce aux aides à la dépollution (source : Science  et  Vie
Hors série, juin 2000, page 59)
 Concernant le PMPOA (Programme  de  Maîtrise  de  la  Pollution  d’Origine
Agricole) dont l’objectif est de participer à la reconquête  de  la  qualité
de l’eau : « les grosses exploitations vont payer 38 millions de francs  de
redevance et elles vont bénéficier de 620 millions d’aides  pour  dépolluer,
c’est-à-dire pour  compenser  les  conséquences  d’un  choix  de  production
mauvais pour l’emploi,  l’aménagement  du  territoire  et  l’environnement »
Jacques Lamaud, conseiller régional du Limousin  cité  dans  « S-EAU-S »  de
Gérard Borvon.
En proportion, 1 million de francs versé par exploitation  polluante  contre
1 milliard de francs d’aides des Agences de l’eau (rapport de 1/1000).
En Bretagne, l’agriculture productiviste et l’élevage  intensif  ont  généré
une situation catastrophique en matière de pollution de l’eau .  Nous  avons
pris les nitrates comme symbole étalon de cette atteinte à  l’élément  vital
pour le vivant qu’est l’eau afin de montrer les mécanismes qui sous  tendent
cette pollution. Mais il est vrai que les nitrates constituent davantage  un
bon indicateur de dégradation des milieux aquatiques qu’un polluant au  sens
strict du terme. Les pesticides ou les métaux lourds ont une dangerosité  en
matière sanitaire et écotoxicologique bien plus dramatique.
Le constat de la mauvaise qualité des eaux en Bretagne est récurrent  depuis
trois décennies et le dernier rapport de la  cour  des  comptes  de  février
2002 intitulé « La préservation de la ressource en eau face  aux  pollutions
d’origine agricole : Le cas de la Bretagne » enfonce une  nouvelle  fois  le
clou : « les  cours  d’eau  et  les  nappes  de  Bretagne  sont  aujourd’hui
fortement dégradés par l’activité agricole, au point qu’une prise d’eau  sur
trois contrevient aux normes de qualité  fixées  par  la  réglementation. ».
Depuis la première et lente prise de conscience de la dégradation  des  eaux
bretonnes dans les années 90, ce ne sont  pas  moins  de  310  ME  de  fonds
publics (entre 1993 et 2000) qui  ont  été  engagés  pour  la  sempiternelle
reconquête de la qualité de l’eau .
Le  triste  bilan  est  connu,  le  constat  est  amer :  « Les   différents
programmes ne se sont guère efforcés de réduire les pollutions  agricoles  à
la source : ils ont le plus souvent pris  la  forme  d’incitations  à  mieux
faire,  dans  l’espoir  qu’une  modification   progressive   des   pratiques
éviterait de devoir faire respecter une réglementation  qui  demeure  lettre
morte. D’une façon plus générale, les actions engagées en Bretagne  se  sont
attachées à convaincre les seuls éleveurs, alors que ceux-ci ne  constituent
que  les  derniers  maillons  de  filières   fortement   intégrées :   les
déséquilibres du  modèle  agricole  breton  sont  d’abord  le  produit  d’un
système agro-alimentaire, et non pas  seulement  d’exploitants  individuels.
Enfin, la charge financière de ces actions n’a pas reposé  sur  le  principe
selon lequel celui qui pollue doit payer : elle a été,  soit  supportée  par
l’ensemble des collectivités concernées, au premier rang  desquelles  figure
l’Etat, soit reportée sur les consommateurs  d’eau  par  le  prix  qui  leur
était facturé ». (extrait du rapport de la cour des comptes 2002).
[1] Elément(s) qui entre(nt) dans la production d’un bien