Défendre les services publics ? Oui ! Mais pourquoi donc et lesquels ?

mercredi 1er novembre 2006, par Webmestre

La question peut paraître provocatrice, à l’heure où le gouvernement
de VILLEPIN taille à la hache (d’abordage, pour la SNCM !) dans le vif des
services publics. Et d’ailleurs, que de gorges chaudes, dans les " grands
" médias nationaux, sur la ringardise absolue des opposants à la
privatisation d’EDF ou des sociétés autoroutières, pardon, à " l’ouverture
de leur capital " selon l’expression euphémisée qu’affectionnent nos
doctes libéraux. Mènerions-nous donc un " combat d’arrière-garde ", comme
on a pu le lire dans " Libération ", alors que les défis d’une mondialisation inéluctable dans ses contours
actuels, appelleraient à l’inverse une libéralisation d’envergure ?
Regardons donc l’affaire de plus près. ?

VOUS AVEZ DIT SERVICES PUBLICS ? MAIS DE QUOI S’AGIT-IL ?

Les Services Publics sont le fruit de l’Histoire, et d’une histoire
dont le rythme épouse rigoureusement celui des grandes vagues de
mobilisations populaires du siècle dernier.

· 1935-37 pour la première (SNCF, Banque de France, Comptoir national d’escompte,
Air ?France, ?) ;

· dans l’immédiat après 39-45 ensuite, à la Libération et dans le cadre du programme du Conseil national de la Résistance, avec la création de la Sécurité sociale et les nationalisations (mines,
électricité et gaz, transports maritimes, terrestres (Renault) et aériens,
constructions mécaniques, banque et assurance) ;

· 1982, enfin, avec la nationalisation de grandes sociétés industrielles, CGE,
Saint-Gobain, Pechiney, Rhône-Poulenc, Thomson, Usinor et Sacilor, et
celle de 41 banques et institutions financières.

· En 1983, à l’issue de cet essor, étalé sur près de 50 ans, le seul secteur public marchand regroupait 3500 entreprises, employant 2,35 millions de personnes, soit
environ 10% de la population active.

Et surtout le développement de ce secteur public renvoyait à des raisons
convergentes pour toutes les périodes mentionnées :

· Exprimer " l’intérêt général ", au travers de politiques industrielles et sociales volontaristes,
inscrivant la vie économique dans une logique de satisfaction des besoins
sociaux.

· Se substituer dans ce cadre à des initiatives privées défaillantes (volume des
investissements et/ou durée de l’engagement exigés) ou simplement
indifférentes par nature à la cohésion sociale et territoriale.

· Reconnaître aux agents de ses services publics le rôle de vecteur principal de cet intérêt général : les statuts de ces
personnels, définis pour l’essentiel à la Libération, les placent, de jure et de facto, dans une position où leur subordination à l’égard de l’employeur n’est
pas complète.

Pas étonnant, dans ces conditions, que les enquêtes d’opinions
enregistrent systématiquement, au grand dam de nos libéraux de tout poil,
un véritable plébiscite en faveur de la notion même de Service Public.
Acquiescement qui atteste d’une conscience pertinente et souvent
instinctive des enjeux sociaux qui y sont attachés, et ce en dépit de la
vague de privatisation des années 1986-2005.

SERVICES PUBLICS : ETAT DES LIEUX en 2005

Car tout le monde, de la Commission Européenne à l’UMP, en passant même
par le Médef ( !), affirme son attachement aux Services Publics ? Pourtant
ce sont bien deux conceptions totalement opposées qui s’affrontent sur
cette question : en effet, les définitions classiques des services Publics regroupent trois
dimensions :

· Au plan juridique, ils reposent sur les trois principes de " continuité ", d’ " égalité d’accès et de traitement " (avec une péréquation tarifaire géographique), et de " mutabilité-adaptabilité " (nécessité d’évolution pour garantir le niveau de services rendu).

· Une définition économique, puisqu’ils permettent de prendre en compte des phénomènes que le marché
ignore (gestion du long terme, de l’espace, prise en compte des
externalités ?)

· Une définition politique, très présente dans la conception " française " du Service Public, qui associe étroitement " efficacité économique" et " efficacité sociale " ; elle comporte donc une dimension essentielle de " contrat social " et de " modèle de société ".

L’articulation de ces trois dimensions permet de clarifier les
enjeux. Car, de ce triptyque, les gouvernements libéraux, à l’échelle
européenne, ne veulent retenir qu’un volet strictement économique
privilégiant la rentabilité à court terme, en dénonçant ceux relevant de
la " cohésion sociale ".

La controverse autour de la notion de " Services d’Intérêt Economique Généraux " (SIEG), présente dans le " défunt " projet de Constitution Européenne,
l’illustre parfaitement. Cette substitution de terme recouvrait une
transformation d’ampleur de l’objet lui-même : ces SIEG, soumis au droit de la concurrence, donc par la même, aux
contraintes de retour rapide sur investissement, devenaient des éléments
d’une extension de la loi du marché à des domaines dont elle était

jusqu’alors souvent exclue. C’était la généralisation à l’échelle européenne des attaques que nous
connaissons depuis une dizaine d’années en France sur l’ensemble du
secteur public : que l’on se réfère à la Sécu, où les sommes faramineuses
gérées par l’assurance maladie ou la branche retraites ont été ouvertes à
la convoitise des assureurs privés ou fonds de pension ; ou à France
Télécom, où la privatisation et la filialisation ont généré des
comportements prédateurs de l’entreprise à l’échelle mondiale, et engendré
la conclusion d’ententes tarifaires illicites sur les dos des usagers ; ou
à la Poste, où les fermetures de bureaux et la différenciation entre "
clients " bafouent sans vergogne les normes d’égalité de traitement.

Ainsi considérée, la défense des services publics devient bien UN ENJEU DE SOCIETE qui oppose :

· Une logique des besoins (Santé, Education, Culture, Logement, Transports collectifs,
Environnement, Energie, Eau, Télécommunications, ?), à une logique de profit.

· Une logique de Solidarité collective, à une logique de " responsabilité individuelle ",.

· Une logique d’accès à des Biens Communs pour tous, à une " marchandisation " généralisée.

DES PRIVATISATIONS INELUCTABLES ?

L’offensive sur les Services Publics se nourrit d’un florilège de
contre-vérités :

· Le caractère public ou privé de l’opérateur chargé de missions de service public serait indifférent, puisqu’une Autorité publique de régulation se chargerait de veiller au respect du cahier des charges ? L’expérience
dément cette assertion : que pèse en effet cette Autorité de régulation
devant la puissance des entreprises qu’elle est censée contrôler ? Celle
des Télécommunications (l’ART) n’a pu s’opposer à l’opacité tarifaire des
groupes de téléphonie mobile ? Ce sont les associations de consommateurs
qui ont révélé les surfacturations dues aux ententes préalables ! Et dans
le secteur du traitement et de la distribution de l’Eau, le coût des
prestations fournies s’avérait supérieur de 28% à celui des régies
publiques, selon un rapport de 1996 ?

· Ensuite, la qualité des prestations fournies par les opérateurs privés
s’avérerait supérieure à celle des entreprises publiques ? Que l’on
interroge sur ce point les usagers des trains britanniques ou
nord-américains, les Californiens victimes de la
grande panne d’électricité de l’été, ou les usagers de la Poste en France
qui voient les délais de réception de courrier s’allonger, etc.?. Dans
chaque cas, la recherche du profit maximum a débouché sur des
sous-investissements de capacité et de sécurité à long terme, et sur une
baisse des prestations fournies.

· Enfin, l’ouverture de capital et/ou la privatisation des entreprises
concernées seraient indispensables à leur croissance externe dans un
environnement concurrentiel implacable ? Rappelons tout d’abord que ces
sociétés publiques ne se portent pas si mal, puisque les investisseurs
boursiers se pressent pour en acquérir une part de capital ! Public ne
rime donc pas nécessairement avec gabegie ? Et surtout, c’est bien cette
concurrence entre opérateurs privés et publics pour la fourniture des "
biens publics ", que nous contestons radicalement. La réponse à une
mondialisation sans régulation, c’est bien plutôt la définition de Services Publics Européens.

POUR DES SERVICES PUBLICS SOCIALEMENT EFFICACES !

Est-ce à dire que la défense des Services Publics passe par le statu
quo ?
Certes non ! Les Services Publics ne sortent pas indemnes de vingt ans de
privatisation/libéralisation successives. Comme l’énonce l’appel à la
manifestation du 19 novembre, à Paris : " il n’y aura pas de développement des Services Publics sans développement
de la démocratisation sociale et des droits des citoyens ". Sans une politique économique et sociale adossée à la satisfaction des
besoins sociaux fondamentaux, sans un contrôle des usagers, des élus, des
salariés et de leurs organisations syndicales, les Services Publics
deviennent des prestataires de services comme les autres (cf. la période 1983-2005), indifférents à tout projet collectif.

Alors, le 19 novembre, " convergeons " pour affirmer à la fois :

· notre refus des dispositions de libéralisation/privatisation qui touchent tous les
services publics.

· notre volonté de reconquête de Services Publics de qualité " partout et pour tous ".

J-Y B

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