La longue résistance du service public à la marchandisation et axes de rupture.

mercredi 1er novembre 2006, par Webmestre

LA LONGUE RESISTANCE DU SERVICE PUBLIC A LA MARCHANDISATION ET AXES DE RUPTURE

par Christian DELARUE
CA ATTAC France / BE CA MRAP

Une triple logique est à l’oeuvre dans la mondialisation économique : la financiarisation, la marchandisation et l’appropriation privée (1) . Ces trois logiques sont différentes mais elles s’articulent et se renforcent pour générer un accroissement des dégâts sociaux et environnementaux. Ces dégâts sont bien visibles au sein des structures productives privées mais aussi au sein des structures publiques. Ce texte se propose de souligner les effets pervers de la longue intégration de la logique marchande au sein des services publics. Si la défense des services publics est essentielle, cela ne saurait suffire : on peut se contenter de défendre tel quel les services publics existant réellement .

Pour défendre à la fois une perspective de rupture avec cette évolution historique contre le service public et une perspective altermondialiste pour une autre France et un autre monde il paraît utile dans une première partie de définir le service public. Une seconde partie portera sur les distinctions entre fonctionnement selon le marché et fonctionnement de service public. Ces distinctions forment des « repères de cohérence » permettant d’opérer une « rupture franche » avec la logique d’appropriation privée et la logique marchande.

I.- QU’EST CE QU’UN SERVICE PUBLIC ?

Evoquons les conceptions réductrices (A) avant de fournir une définition positive d’un véritable service public (B).

A) Le service public " à la française" ne se réduit pas au service d’intérêt général - SIG - .

Le service public né au début du XX ème siècle et qui a connu son plein développement après la seconde guerre mondiale ne ressemble pas au SIG ou SIEG conçu par les libéraux au niveau européen ces dernières années,
depuis le Traité d’Amsterdam et la doctrine des Livres blanc et vert.
Quand au "service universel" il est conçu comme le "ramasse-miettes" des dégats contemporains du capitalisme cette version minimaliste du service public tend à s’imposer en droit français à la faveur de la "crise du service public" et sous couvert du renouveau et du maintien du service public . Il importe donc de combattre cette première perversion du service public. Mais cela ne saurait suffire, car le service public "à la française" est attaqué depuis longtemps par la marchandisation et le modèle de l’entreprise privée.

Au niveau européen la neutralité du statut est avancé comme argument positif, ce qui donc renvoie à d’autres textes pour connaître le profil réel donné aux services publics. D’emblée disons que nous ne sommes pas neutre en matière de service public. Pendant la campagne pour le NON nous avons défendu un véritable service public, un service démarchandisé avec une réelle mission de service public d’intérêt général. Un tel service ne-va-t-il pas comme un gant à la propriété publique et même avec des agents de la fonction publique ? Oui . Et, ce n’est pas à tort
ou par confusion intellectuelle mais par choix politique en faveur de l’appropriation publique et de la démarchandisation et du refus de la mise en concurrence que l’on définit strictement le service public et que l’on critique la notion européenne de service d’intérêt général (SIG). En effet, si la neutralité du statut est constamment avancé avec le rappel de l’article 295 du Traité c’est surtout l’article 82 relatif aux abus de position dominante qui vient rappeler que le principe est la soumission à la concurrence. Dura lex sed lex !

Quand au Traite d’Amsterdam, il constitue certes une avancée en terme de reconnaissance formelle par rapport au néant antérieur en matière de service public mais c’est sur fond de l’entourloupe de pseudo neutralité ci-dessus décrite et surtout de libéralisation profonde des sociétés depuis 1981/82 - les "années Reagan- Thatcher " - soit 15 ans avant 97 date de ce Traité. La terminologie SIG se réfère à des services soumis au marché, à un marché certes "encadré par le droit" mais au marché quand même. Un droit des marché qui pose en principe premier l’affirmation générale du principe de concurrence.

B) Le service public véritable fonctionne selon des principes différents de ceux d’une entreprise privée.

Les principes de fonctionnement - égalité, continuité, neutralité... - sont posés par le droit administratif français. Et ce même droit administratif fournit aussi les bases d’une définition distinctive du service public.

Juridiquement un SP se définit par trois éléments : il s’agit de s’en tenir à la racine, de partir de ce germe potentiellement libérateur de la logique marchande, en ignorant les évolutions débouchant sur la crise
de la notion.

Un élément fonctionnel : qui concerne l’exercice d’une activité dans un but d’intérêt général, ce qui se comprend d’une part comme activité exercée pour la satisfaction des besoins sociaux (de tous y compris les insolvables) et d’autre part hors objectif de réalisation d’un profit. Cet élément d’intérêt général est lié au suivant, la recherche du profit étant le but premier d’une personne privée, notamment les sociétés commerciales.

Un élément organique : la prise en charge par une personne publique.

Un élément matériel : la soumission à un régime juridique exorbitant du droit commun, du droit du marché.

La délégation de service public existe évidemment, mais c’est déjà du "sous-service public", du service public frelaté. Et, répétons-le, ce n’est pas à tort ou par confusion intellectuelle mais par choix politique en faveur de l’appropriation publique et de la démarchandisation et du refus de la mise en concurrence que l’on définit
strictement le service public et que l’on critique la notion européenne de service d’intérêt général (SIG).

Economiquement la logique du service publique se heurte frontalement à celle du marché.

A sa racine elle ignore même la typologie classique des juristes entre SP "administratif" et SP "industriel et commercial" ces derniers ayant été les premiers à intégrer l’idéologie et la logique de l’entreprise privée. Le mode de financement par subventions budgétaires complète un éventuel système de tarification contrôlé.

Afin d’apprécier les différences concernant les effets sociaux, territoriaux et environnementaux il importe de repérer les distinctions essentielles entre les deux logiques. En voici 9 :

II . MANIFESTE : Neufs distinctions repérables pour rompre avec la logique marchande.
 ?article206

a - Le marché fait circuler un type particulier de richesse : ce sont des marchandises . Avant de distinguer les "productions" utiles et les inutiles ou les nuisibles - distinction également utile - il importe de différencier au sein des "productions" (cf. Jacques Gouverneur) *celles qui sont marchandes et celles qui sont non marchandes .

b - Le marché assure plus la distribution de *valeurs d’échange que celle des valeurs d’usage *.

c - et ce par l’intermédiaire de *prix *(de marché) et non de *tarifs *(lesquels peuvent donner lieu à péréquation) . Le terme tarif est employé en un sens générique : il peut s’agir aussi de taxes, de redevances.

d - Le marché fonctionne à la *concurrence *et à la "loi de la jungle" alors que le service public obéit à une *décision politique *et administrative qui laisse donc place à une certaine maîtrise ou la composante démocratique n’est pas une conquête utopique ;

e - Via le marché le capital s’adresse à des *clients* et non à des *usagers * ; et ce n’est pas qu’une question de terminologie.

f - L’objectif du capital dans la sphère marchande est avant tout le *profit *et non la satisfaction des *besoins* sociaux.

g - A l’offre marchande doit correspondre une demande solvable (pour un économiste), une capacité financière (pour un commercial) ; voilà ce qu’est un client, un consommateur alors que le service public s’il n’est
pas nécessairement gratuit est dans sa logique profonde porteur d’une adaptation tarifaire aux capacités contributives.

h - Le marché génère des *inégalités* alors que la logique sociale et territoriale des services publics se veut *redistributrice et correctrice* des inégalités.

i - Le marché est *aveugle*, les entreprises et le capital ont souvent une courte vue alors que le service public peut voir large et loin. Il peut pleinement intégrer les considérations écologiques et environnementales.

Notes :
1) Les trois formes du capital mondialisé. Comme le rappel notamment ATTAC Fribourg (in "la mondialisation de l’économie capitaliste"), le capital se diffuse sous trois formes qui sont, dans l’ordre d’apparition historique :
l’internationalisation du commerce : on échange des marchandises dont la production reste nationale, c’est-à-dire continue à être réalisée dans le pays exportateur. Le simple échange de marchandise laisse à l’Etat national une large marge pour orienter l’économie
l’internationalisation de la production : le processus de production - et non plus son produit - franchit les frontières des pays jadis exportateurs de marchandises. Ce déplacement coïncide globalement avec
"l’investissement direct à l’étranger".
l’internationalisation du capital financier : la spéculation sur les actions et obligations a pris une dimension globale, planétaire. Le rôle des grandes banques est central mais les FMN ont participé à cette
globalisation de la finance. Le FMI et la BM ont encouragé ce processus notamment par la promotion de la capitalisation des retraites.

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