Faire dérailler l’OMC

lundi 21 novembre 2005, par Webmestre

Depuis de longs mois c’etait là le mot d’ordre des ONG "alter-mondialistes" présentes a Cancun. Des l’annonce officielle de l’échec, faite par le ministre mexicain des affaires étrangers Derbez, nous avons laissé exploser notre joie en chantant a tue-tête une version détournée de la célèbre chanson des Beatles, "Money can’t buy the world".

10/12/2003 -

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Hélas, malgré cette victoire, l’argent risque encore de pouvoir acheter le monde et en tant que forces de l’alter-mondialisation, nous devons prendre du recul et définir nos objectifs pour les temps à venir.

Affirmons d’abord haut et fort que nous avons eu raison de nous réjouir du fiasco de Cancun. Le projet de déclaration finale ne reflétait en aucune manière les positions d’au moins 90 pays en développement qui avaient pourtant tout fait pour se faire entendre. Pour des millions de petits producteurs africains, le paragraphe sur le coton etait franchement insultant. Visiblement dicte en fonction des intérêts des 25.000 producteurs américains subventionnés a hauteur de $3 milliards [$120.000 par exploitation et par an en moyenne], il les encourageait à "diversifier" leur production [pour cultiver des carottes ? des tulipes ?] et à patienter jusqu’à ce que qu’un accord global sur les fibres, les textiles et les vêtements vient les tirer d’affaire. Nous l’avons dit sur le moment et nous devons le répéter aujourd’hui : Pas d’accord du tout plutôt qu’un mauvais accord.

Autre sujet de satisfaction : l’émergence du Groupe des 21, mené par la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et surtout le Brésil, qui a tenu tête face aux grandes puissances. Ce G-21 incite à rêver. S’il accordait ses violons au-delà des seules questions agricoles au sein de la seule OMC ? Si c’etait le début d’une réincarnation du Nouvel Ordre Economique International des années 1970 ? S’il proposait par exemple une position commune sur la dette publique des pays en développement ? Face a cette puissance nouvelle, le Fonds monétaire international ne tiendrait pas 20 minutes.

Quoi qu’il arrive, le G-21 constitue un fait politique majeur, mais l’on ne peut pourtant pas le suivre sur toute la ligne. Ses grands exportateurs agricoles sont les mêmes transnationales que l’on connaît déjà et si l’Europe devait renoncer, comme le veulent les 21, a " tous " les soutiens publics a son agriculture et pas seulement aux subventions a l’exportation, ce serait la mort de la quasi-totalité des exploitations européennes, japonaises, coréennes et bien d’autres paysanneries encore. Pour affirmer à la face du monde leur volonté de perdurer, l’ancien paysan coréen Lee Kyung Hae s’est donné la mort à Cancun. Honorons sa mémoire en affirmant le droit à la souveraineté alimentaire. Chaque pays qui en a la possibilité et la vocation a aussi le droit de se nourrir lui-même grâce au travail de sa propre paysannerie, correctement rémunérée pour ce travail. La contribution des paysans va d’ailleurs bien au-delà de la seule production alimentaire car ils protègent aussi la vie rurale, l’environnement, la qualité et la diversité des nourritures

Cancun, malgré les mises en garde des ONG européennes et la volonté clairement exprimée des PVD, le Commissaire-négociateur Pascal Lamy a voulu faire passer à tout prix les "nouveaux sujets" [investissement, marches publics, politiques de concurrence, facilitation du commerce]. Le refus ferme des pays du Sud l’a décontenancé et s’il a fini par retirer deux des nouveaux sujets, c’etait trop peu, trop tard. Le Commissaire tient le ministre mexicain Derbez responsable de l’échec pour avoir trop vite mis fin aux négociations, mais oublie son propre erreur de timing et d’appréciation de ce qu’aucun mexicain n’ignore, à savoir l’amitié que porte ce ministre à son puissant voisin du Nord.

A qui profite en effet le crime, ou la clôture, sinon aux Américains ?
Toutes leurs subventions agricoles restent intactes [l’Europe avait des avant Cancun annule certaines des siennes] et comme l’Ambassadeur Zoellick l’a aussitôt annonce, les USA obtiendront peu ou prou l’accès aux marchés tiers grâce aux voies bilatérale et régionale.

Les pays membres de l’OMC se sont engagés à se réunir a Genève "au plus tard le 15 décembre" pour sauver ce qui peut encore l’être. Même s’il est difficile de savoir exactement ce qui reste sur la table du moment où l’on a escamoté la table, il nous faut être attentifs aux nombreux dangers qui demeurent. Le 1er octobre, au cours d’une réunion avec la "société civile", un porte-parole de l’Union européenne a affirmé que "les nouveaux sujets pourraient montrer encore des signes de vie". ["there may be signs of life in the New Issues yet"]. Les ONG devront se battre jusqu’à ce que leur encéphalogramme soit bien plat. Les "nouveaux sujets" ont toujoursété une priorité du MEDEF et de l’UNICE, organisation patronale européenne, qui y voient un moyen de refaire vivre le défunt Accord multilatéral sur l’investissement [l’AMI, battu en 1998] et d’ouvrir les marchés publics du monde entier aux entreprises transnationales.

Autre priorité des mêmes organisations patronales : les services, régis a l’OMC par l’Accord général sur le commerce des services [AGCS]. A Cancun, le paragraphe du projet de déclaration finale les concernant semble avoir fait l’unanimité ; il n’en recèle pas moins de multiples pièges. Aucun "service ni mode de fourniture n’est exclu a priori", éducation, santé et culture comprises. Avant Cancun, le Commissaire Lamy avait fait grand cas de n’avoir demandé auprès des autres pays aucune ouverture de leurs marches dans ces domaines. Ce geste n’a pourtant aucune valeur réelle tant que ces services continuent à figurer dans l’AGCS. Exemple : la Norvège, la Nouvelle Zélande, les USA et le Kenya demande à l’Afrique du Sud l’ouverture des "services de l’éducation". Si ce pays accepte d’ouvrir son "marché" de l’éducation aux entreprises d’un seul de ces pays, le secteur s’en trouvera de facto ouvert à toutes, entreprises de l’Europe comprise, en vertu du principe de la nation la plus favorisée. Il est urgent de sortir intégralement de l’AGCS la santé, l’éducation et la culture ainsi que tous les services publics, tels que chaque nation les définit souverainement sur son territoire.

Autre danger post-Cancun de l’AGCS : les pays membres de l’OMC se sont engages à "élaborer des règles" dans les domaines des marches publics, les subventions et la capacité des états a réguler les services et les qualifications de leurs fournisseurs. Dès que ces règles seront en place, les gouvernements pourront commencer à introduire des litiges les uns contre les autres chaque fois qu’une "distorsion" ou une "entrave" au commerce international des services sera constatée. Comme une subvention, qui a pour objectif de "fausser" les prix, constitue nécessairement une "distorsion", les services publics seront attaques à coup sur.

Sur un point au moins, les ONG sont d’accord avec le Commissaire Lamy : l’OMC est une institution "médiévale". Ses règles favorisent les plus Puissants ; ses processus de décision sont opaques, son ambition est de transformer toutes les activités humaines en marchandise. Elle n’a de plus aucun lien avec les Nations unies.
En répondant à la campagne nationale d’Attac "100 collectivités contre l’AGCS", plus de 140 conseils municipaux, généraux ou régionaux français se sont déjà déclarées symboliquement "Zones hors AGCS" et ont exigés un moratoire sur les négociations sur les services. Bien entendu il faut réguler le commerce international mais pas avec les règles actuelles qui ont été largement élaborées par les entreprises transnationales lors de l’Uruguay Round [1986-1994] qui a donné naissance a l’OMC. Celle-ci doit être soumise au droit international, notamment aux droits de l’homme, aux conventions de base de l’Organisation internationale du travail, aux accords multilatéraux sur l’environnement.

Tres majoritairement, ces mêmes collectivités estiment que les domaines tels que santé, éducation, culture, services publics ne doivent pas y figurer. Avec ces partenaires chaque jour plus nombreux, Attac veut qu’ait enfin lieu un vrai débat car les citoyens et leurs élus n’ont jamais été invites à donner leur avis.

Sortons en effet du Moyen Age pour déboucher sur la démocratie.

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