2004-02-18 Le « complexe médico-industriel » (G.Gentric).

Introduction :

Un médicament est une « substance thérapeutique spécialement préparée pour devenir un remède » (Le Petit Robert). C’est autour de ce produit que va tourner notre intervention ou plutôt autour des firmes qui fabriquent ces médicaments.

Quelles sont leurs logiques ? Comment agissent-elles concrètement ? Comment peut-on leur résister ?

A travers cet exposé, l’enjeu est de découvrir ce « complexe médico-industriel » aux contours mal définis. L’expression est-elle mal choisie : l’adaptation française de la fameuse formule d’Eisenhower (« complexe militaro-industriel ») par une petite inversion de lettres laisse deviner un « complot » médical et industriel, concept malsain s’il en est.

Le terme « complexe » est pourtant bien utile dans la mesure où il renvoie à :

- un ensemble difficile à décrire comprenant les Etats, les institutions, les personnes, les capitaux…

- un système aux interactions complexes dans lequel il n’est pas forcément facile de discerner ce qui fait partie des causes et ce qui fait partie des conséquences.

Cette appellation permet de sortir d’accusations creuses contre tel ou tel groupe de personnes : les médecins, les patients, l’Etat appartiennent à ce « complexe » tout en étant victimes de celui-ci. Il est possible de s’affranchir de ce « complexe » mais pas forcément facile. S’en affranchir est le résultat d’une action individuelle en même temps qu’une possibilité collective.

Ce thème est certes un thème technique (loin de moi l’idée de juger personnellement de l’efficacité de tel ou tel médicament) mais aussi un thème citoyen dans la mesure où la marchandisation du domaine de la santé par les firmes pharmaceutiques n’est pas contrariée par une politique de santé publique conséquente, ni une prise de conscience citoyenne des dérives de ce « complexe ».


1. Les enjeux (idéologiques, économiques, judiciaires, …)1.

Quels sont les contours et les limites de ce « complexe médico-industriel » ?


1.1. Enjeux éthiques.

Ce sont les aspects les plus médiatiques, qui révèlent les imbrications ténues de ce « complexe ». Il comprend la dénonciation de la mise sur le marché trop précoce de médicaments dangereux, des conflits d’intérêt dans l’étude de l’efficacité des médicaments (lorsque des chercheurs « indépendants » donnent des résultats d’études financées par les laboratoires qui les rémunèrent), de la nature des « informations » données par les visiteurs médicaux aux médecins.

Tout d’abord, la mise sur le marché de médicament dangereux2 ne doit pas être confondue avec les accidents liés à la consommation de médicaments non forcément dangereux mais maladroitement utilisés, même si le mauvais emploi des médicaments est une conséquence de l’action de ce « complexe » (une étude publiée sous Bernard Kouchner avait fait état de 18 000 morts par an dus aux médicaments). Trois exemples : le Distilbène, l’Adlone, les prescriptions hormonales à la ménopause. Je ne développerai pas le premier exemple qui est l’un des mieux connus3. Avant la prise de décision de mise sur le marché du deuxième4, il existait un effet secondaire hépatique dangereux documenté, alors que l’efficacité de ce médicament n’était pas prouvée. L’expert a donné deux avis défavorables, avant que le ministère ne se décide de faire appel à un autre expert plus complaisant. Le laboratoire recevra alors l’autorisation de mise sur le marché pour son médicament en 1985. En 1989 le médicament est finalement retiré du marché suite à 82 cas d’hépatites dont un mortel enregistrés durant les six mois précédant la décision… Deuxième exemple : actuellement, un débat sévère agite la communauté des médecins, du moins ceux qui s’informent dans la mesure où les prescriptions d’hormones à la ménopause se sont multipliées alors même que le bénéfice-risque de ces prescriptions semble nettement défavorable pour une femme en bonne santé (très peu de femmes auraient d’après ces médecins besoin de traitements hormonaux…Ce qui ne veut pas dire que la ménopause soit un moment agréable !)5.

Les conflits d’intérêt sont bien souvent vues comme l’explication de ces mises sur le marché dangereuses : l’Agence du médicament en France est par exemple souvent décrite comme une institution partiale. Certains des médecins participant aux commissions d’évaluation sont parfois salariés d’entreprises pharmaceutiques. De façon plus insidieuse, la rémunération de chercheurs ou de médecins en vue d’obtenir des appréciations complaisantes (d’où l’accusation de « corruption ») passe par différents moyens : de l’organisation de pseudo-séminaires dans un cadre agréable tout frais payés pour convaincre les médecins de l’efficacité d’un médicament au financement des études ou des laboratoires de ces médecins, privés de deniers publics. On pourrait objecter que ces médecins seraient libres de refuser les financements privés contraires à leur éthique médicale or ceux-ci sont de plus en plus évalués sur la recherche, de moins en moins sur l’enseignement et leur pratique. Il est donc « normal » qu’ils fassent tout ce qu’ils peuvent pour avancer dans ce domaine-là et obtenir des crédits. L’industrie pharmaceutique est, elle, contente de financer des travaux dont elle détient l’exclusivité des résultats et de leur publication, bridant pour des motifs « industriels » la liberté d’information des médecins et des patients.

« Des études faites sur les visiteurs médicaux montrent que les informations données aux médecins pendant la visite du délégué du laboratoire sont fausses dans un tiers des cas, et que dans les quatre cinquièmes des cas les effets néfastes des médicaments ne sont pas signalés. On notera que 60 à70 % des médecins considèrent que la visite médicale faite par les délégués médicaux des laboratoires est leur principale source d’information »6.


1.2. Enjeux juridiques.

La juridicisation de la société a aussi envahi le domaine médical. On sait par exemple que les médecins ont vu leurs assurances professionnelles considérablement augmenter du fait de l’augmentation des procès qui leur sont intentés. Dans le domaine du médicament, la logique de privatisation des découvertes scientifiques par l’intermédiaire des brevets entrave les progrès. Les brevets ont été officiellement crées pour protéger les découvertes des chercheurs : lorsque ceux-ci découvrent une molécule ou un procédé efficace (ou pas d’ailleurs….), la firme qui les emploie dépose un brevet qui lui permet d’avoir l’exclusivité de l’exploitation de cette molécule ou procédé en condamnant à de lourdes amendes les personnes utilisant sans autorisation ces techniques. Un chercheur indépendant sera évidemment inquiet lorsque utilisant telle ou telle molécule, tel ou tel procédé protégé par des brevets, il risque un procès que son université de rattachement par exemple ne pourra financer…

Du fait de l’existence de ces brevets, certaines découvertes ne peuvent être exploitées actuellement alors même que leur utilisation pourrait sauver des vies. Ainsi, certaines découvertes sont abandonnées parce que les risques qu’ils présentent sont évalués en fonction de critères de pays du Nord même s’ils peuvent sauver des vies dans les pays du Sud. Un vaccin contre les infections à rétrovirus dont les gastro-entérites infantiles (2000 décès par jour dans les pays de l’Afrique sub-saharienne) a été retiré du marché mondial car les risques qu’il présentait étaient trop fort aux USA : il pouvait provoquer la mort de certaines personnes par invaginations intestinales. Le bénéfice serait pourtant évident pour les pays du Sud mais ne peut être exploité du fait de l’exclusivité de l’exploitation de ce vaccin par la firme ayant déposé le brevet.

Par ailleurs, la maîtrise des règlements juridiques est un moyen efficace pour les firmes pharmaceutiques de contrôler l’apparition de concurrents : on peut vite couler une petite entreprise qui se lancerait maladroitement sur le marché. Il dépossède aussi les inventeurs individuels des bénéfices de leurs découvertes.

L’ absence de coopération entre chercheurs est lourde de pertes de temps, occupés qu’ils peuvent être à la découverte du brevet qui leur permettra de fonctionner mieux que le voisin. Les firmes agissent dans un domaine concurrentiel et tel procédé qui pourrait faire progresser un remède ne peut pas être utilisé car il appartient à une autre.

La possession de brevets est fondamentale dans la mesure où les firmes pharmaceutiques se sont spécialisées dans la gestion de ces brevets et non plus dans la production directe confiée à des sous-traitants ou délocalisées dans des pays à faible coût de main d’œuvre. La spéculation est à l’œuvre dans ce domaine dans la mesure où la possession de brevets comprend aussi des brevets potentiellement rentables (c’est l’espoir du blockbuster -comme pour les films- le médicament qui se vendra le mieux).

Les autorisations de mise sur le marché d’un médicament (AMM) sont attribuées après étude du dossier fourni par l’ industriel, seul possesseur de la totalité des informations sur le nouveau médicament par le privilège que lui accorde le brevet. On prétend faire des économies en ne rémunérant pas d’experts indépendants mais on dépense ensuite des sommes folles à rembourser des médicaments qui ne fonctionnent pas forcément mieux que leurs prédécesseurs.


1.3. Enjeux idéologiques.

Le « complexe médico-industriel » est confronté à un problème de fond : il peut y avoir intrinsèquement une contradiction entre la logique industrielle et la logique de santé. Elle doit donc fournir un appareil idéologique à la société pour être acceptée.

Elle passe d’abord par la foi absolue dans le progrès. Toute maladie trouvera son vaccin et son remède. Il ne faut donc pas résister aux groupes qui les produisent. Cette idéologie est dangereuse dans la mesure où elle peut amener à relativiser tous les problèmes de la société pour les voir réglés sous un angle uniquement médical et comme apolitique alors que beaucoup de maladies7 sont créées par notre mode de vie et nos sociétés et qu’un changement politique permettrait sans doute souvent de mener une réelle politique de prévention.

Cette idéologie est totalitaire et vise au passage d’un rapport intermittent à la médecine (au moment du soin) à un rapport constant (de la prédiction génétique à l’entretien…). Le décryptage du génome humain a amené le « complexe médico-industriel » à parler de « formidable espoir » dans le domaine du soin des maladies génétiques. C’est tout l’objectif du Téléthon. Or aucune avancée dans ce domaine n’a pu être prouvée, certains scientifiques comme Jacques Testard le père du bébé éprouvette, parlant même d’une imposture incroyable par l’énormité du mensonge sur lequel elle repose. De plus, alors que l’on pensait voir les risques se réduire par l’augmentation de la connaissance, les risques industriels liés à ces recherches se sont avérés accrus (voir l’exemple des OGM qu’aucune société d’assurance n’est prêt à prendre en charge).

Deuxième image de ce pouvoir totalitaire : « l’association des psychiatres des USA financée par l’industrie pharmaceutique a réécrit la classification des maladies touchant le psychisme, en y intégrant de plus en plus de symptômes de la vie quotidienne. Par exemple l’agressivité du conducteur devient une maladie. A chaque maladie convient un médicament. On a véritablement une réécriture de la médecine pour favoriser la vente de médicaments. L’hyper agitation du jeune enfant est un autre exemple qui, aux USA et au Canada donne lieu à des prescriptions démesurées. On peut trouver 5 à 10 % des enfants dans certaines écoles qui sont traités par Ritaline . Au lieu de s’interroger sur le pourquoi de l’agitation et de trouver des causes affectives, sociales, environnementales, l’industrie pharmaceutique s’est engouffrée dans ce marché pour généraliser l’usage de la Ritaline. En France, pays de culture plus analytique, l’influence de Françoise Dolto a été déterminante : la prescription reste bien cadrée pour l’instant. La définition utilisée par les psychiatres américains conduit à se dire que 3 à 5% des enfants devraient être sous Ritaline alors que la définition de l’OMS conduit à une reconnaissance de ce trouble chez seulement 0,5% des enfants. On voit là l’enjeu de la définition de normes. Elles ouvrent un marché gigantesque. L’industrie est prête à mettre toute son influence dans la bataille »8.

Les firmes pharmaceutiques souhaiteraient évidemment diffuser cette idéologie par la publicité au nom du droit à l’information. On comprend l’enjeu lorsque l’on sait que depuis que cette publicité est autorisée aux USA et en Nouvelle-Zélande, le chiffre d’affaires des produits concernés s’est envolé. L’idéologie de la « nouveauté » et du « formidable espoir de médicaments du futur » visent aussi à détruire les anciens médicaments qui sortent de la période de protection par brevets alors qu’ils sont encore efficaces et même parfois plus efficaces que les « médicaments du futur »… Ces médicaments pourraient être produits pour un coût faible et feraient fondre les profits des firmes pharmaceutiques.

Cette idéologie du progrès doit pourtant être nuancée : la baisse de la mortalité infantile et périnatale doit au moins autant à l’action des médecins, à la meilleure organisation du système hospitalier qu’à l’action des médicaments. La réflexion sur le troisième âge occulte aussi les progrès réalisés dans ce domaine (la pilule de jouvence ?…).

Dernier élément très dangereux de l’idéologie des firmes pharmaceutiques : l’utilisation du terme ou de l’expression « le médicament » (comprenant l’utile et l’inutile, le remboursé et le non remboursé, le prescrit et l’automédication…). Le concept est extrêmement manipulateur : il utilise la bonne cote des médicaments efficaces dont nous aurions du mal à nous passer pour nous faire avaler en bloc l’ensemble des médicaments inutiles qu’ils nous concoctent pour cacher la pauvreté de leurs recherches récentes.


1.4. Enjeux économiques.

Le poids économique de plus en plus important des médicaments dans les dépenses de santé tient pour partie à l’augmentation du prix moyen d’un médicament (doublement entre 1987 et 1999). Ce n’est pas vraiment le prix à payer pour l’innovation dans la mesure où la revue Prescrire a estimé que sur les près de 2000 médicaments nouveaux sortis entre 1981 et 1999, seuls 7 apparaissaient comme réellement innovants9. La plupart des médicaments qui sauvent des vies ou allègent des souffrances ont été inventés entre 1935 et 1975.

Le marché mondial du médicament est passé de 200 milliards de dollars (1990) à 400 milliards de dollars aujourd’hui. La France est le 1er producteur européen, 3ème exportateur mondial. 80 % du marché se passent dans les trois pôles de la Triade (Europe, EUA, Japon).

L’évaluation du prix de mise sur le marché d’un médicament est difficile à cerner : des chiffres circulent (entre 500 millions de dollars et 1 milliard), aucun établi par un organisme indépendant.. Dans ce coût, il y a la recherche et développement mais aussi le marketing et l’administration. Or, les firmes pharmaceutiques (Merck, Pfizer…) étudiées par deux chercheurs de la chaire d’études socio-économiques de l’Université de Québec10 ont dépensé 2.8 fois plus en marketing qu’en recherche.

La production n’est plus vraiment un enjeu économique : la production de médicaments est délocalisée dans les pays à faible coût de main d’œuvre (« stratégie » industrielle bien connue), la recherche-développement est délocalisée selon d’autres logiques. Les firmes européennes (comme Aventis à Romainville) ferment leurs centres et s’expatrient aux EUA, sans aucune garantie de découverte de blockbusters. C’est la méthode coué appliquée à l’industrie pharmaceutique.

La logique de concentration : les laboratoires pharmaceutiques essaient de cacher la pauvreté de leurs découvertes en fusionnant entre elles. Une boîte ne découvre plus rien, elle achète une autre qui a « découvert » un petit quelque chose l’an passé (c’est tout l’enjeu que l’on pourrait soupçonner derrière la fusion Sanofi-Aventis).

Les médicaments génériques et les firmes qui les produisent sont toutes en développement mais aussi menacées par les firmes qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de ces concurrents. On sait ainsi qu’une multinationale a été condamnée pour entente illicite avec un génériqueur qui avait accepté de ne pas commercialiser son produit… Les génériqueurs ne sont clairement pas les gentils dans le monde de brutes : la loi américaine encourage certes la mise sur le marché de génériques en accordant un brevet de 6 mois d’exclusivité à la première firme qui le produit mais la dérive est rapide.

La logique économique prime évidemment sur la logique santé : on privilégie la confusion dans les nouveaux médicaments plus que l’information claire et nette des médecins. Ainsi de vieux médicaments ne sont plus mis sur le marché car ils ne sont plus rentables pour l’industrie.



1.5. Problèmes politiques et sociaux.

La démocratie sanitaire n’est pas apparue. Les enjeux de santé publique n’investissent le champ de la politique que pour parler du financement. La Sécurité sociale en France n’a pas réussi à résoudre les inégalités de santé, d’accès aux soins… sauf théorique. Il est temps que la réflexion politique aille plus loin. Paradoxalement, la mise en place de systèmes de financements solidaires a peut-être favorisé l’introduction plus importante des laboratoires pharmaceutiques dans le système de santé. La dépolitisation des instances a évacué le problème alors que c’est un problème central. Nous avons protégé ces firmes et les avons entretenues. Les firmes pharmaceutiques vont peser de tous leurs poids comme elles l’ont fait aux USA pour la réforme du Médicare qui protège aux USA les handicapés et les personnes âgées : Bush a fait annoncé que maintenant les remboursements de médicaments seraient pris en charge par le Medicare ; en échange il a entériné le fait que le Medicare ne pouvait limiter les prix des médicaments qui ne seront pris en charge qu’à partir d’un seuil de dépenses11.

La politisation des enjeux s’est sans doute trompé de cible lorsqu’elle attaquait les patients ou les médecins non conscients tout simplement par manque d’information et de formation que les attaques du système de santé et sa privatisation allait entraver la liberté de pratique de ces médecins. Les HMO américains conventionnent strictement leurs médecins et leur imposent une pratique, des médicaments… Le libéralisme devient plus contraignant que ce fameux État trop lourd.


2. Actualités du complexe médico-industriel…

2.1. Internationale.

Il s’agit ici essentiellement d’un copié-collé de l’article d’Arnaud Zacharie, publié dans le numéro 439 d’attac-info (www.attac.org).

« Revenons rapidement sur les accords ADPIC de l’OMC. L’OMC, je le rappelle, est l’organe mis en place par les États pour organiser une libre concurrence internationale totale. Nous la critiquons dans la mesure où cette pseudo-libre concurrence est en fait la loi du plus fort organisée et camouflée derrière une montagne de règlements, détruisant les économies du Sud et précarisant les économies du Nord.

La partie qui nous concerne au niveau des médicaments est la partie de l’OMC appelée ADPIC.

Qu’est-ce que l’Adpic ?

L’Accord sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (Adpic) est un accord de l’OMC qui a été rédigé au milieu des années 1990 sous la pression du lobby pharmaceutique et qui offre un cadre légal pour protéger par des brevets la propriété des biens dans tous les domaines de la technologie.

Quelle est l’ incidence de l’Adpic sur l’accès aux médicaments ?

La politique des brevets instituée au sein de l’OMC par l’Adpic permet aux firmes de breveter les médicaments pour une période de minimum vingt ans et de les vendre à un prix inabordable pour la majorité des citoyens du Sud. Cette réalité a été dénoncée dès 1999 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS)[1]. Cette situation est d’autant plus inique que nombre de médicaments proviennent de plantes médicinales sélectionnées et entretenues par les communautés traditionnelles du Sud avant d’être « découvertes » puis brevetées par les firmes pharmaceutiques.

Pourquoi les médicaments sont-ils brevetés ?

L’argument avancé par le secteur pharmaceutique et les gouvernements des pays industrialisés est que la généralisation du système des brevets est indispensable au financement de la recherche. En effet, grâce aux brevets, les firmes possèdent un monopole sur la vente des médicaments brevetés et peuvent de la sorte maintenir des prix élevés pendant minimum vingt ans. Les profits engendrés grâce à ce privilège permettaient ensuite aux firmes de relever le défi financier de la recherche médicale. En définitive, selon cette logique, c’est l’humanité tout entière qui profite des progrès de la recherche médicale ainsi financée.

Le système des brevets est-il un bienfait pour la santé publique ?

Non. Au contraire, des millions de personnes meurent de maladies pour lesquelles il existe des médicaments, mais vendus à des prix trop élevés pour qu’elles y aient accès. Pour ne prendre que l’exemple du SIDA, alors que les traitements anti-rétroviraux existent depuis une décennie, 99% des personnes qui y ont accès vivent dans les pays industrialisés, alors que l’Afrique compte à elle seule 30 millions de séropositifs. En outre, alors que les brevets sont censés financer la recherche au profit de tous, il n’existe aucune recherche sur les nombreuses maladies qui affectent les populations du Sud - comme la maladie du sommeil, la maladie de Chagas ou la schistosomiase.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que ces populations ne sont pas suffisamment solvables pour acheter d’éventuels nouveaux médicaments et que ces « marchés de la santé » ne sont donc pas jugés suffisamment rentables par le secteur pharmaceutique. Résultat : un être humain sur trois n’a aujourd’hui pas régulièrement accès aux médicaments et seulement 8% des ventes mondiales de médicaments sont consommés dans les pays en développement, où vivent pourtant plus des trois quarts de la population mondiale. Selon l’OMS, des dix millions d’enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque année, 80% pourraient échapper à la mort s’ils avaient accès aux médicaments. En résumé, le système de l’Adpic équivaut à institutionnaliser au niveau mondial la non-assistance de millions de personnes en danger de mort.


Le système des brevets n’est-il un problème que pour les populations du Sud ?

Cela est de moins en moins le cas et le problème de l’accès aux médicaments risque de fortement s’aggraver au Nord dans les prochaines années. En effet, le prix des nouveaux médicaments brevetés susceptibles à terme de voir le jour, comme les médicaments contre le cancer ou ceux issus de la recherche sur le génome humain, va immanquablement peser sur les systèmes d’assurance santé des pays industrialisés, déjà menacés. On estime par exemple que les dépenses en produits pharmaceutiques devraient tripler en dix ans aux Etats-Unis.

Comment ont évolué les débats sur la question au sein de l’OMC ?

Les pays en développement demandent depuis plusieurs années de pouvoir contourner le système des brevets pour répondre aux pandémies dévastatrices qui les rongent. L’article 30 de l’Adpic permet de telles dérogations exceptionnelles, mais dans des cas et des conditions tellement restreints que sa portée est quasi nulle[2]. Le comble a été atteint en 2000 avec le procès intenté par 39 firmes pharmaceutiques contre le gouvernement de la République d’Afrique du Sud qui, conformément aux recommandations de l’OMS, envisageait de produire des médicaments « génériques » contre le SIDA, c’est-à-dire des copies de médicaments brevetés beaucoup plus accessibles car vendues bien moins cher. Le tollé qui en a résulté dans l’opinion publique a contraint les firmes à retirer leur plainte et a incité un groupe de pays africains à pousser les gouvernements des pays industrialisés à négocier avec eux sur ce thème. Ainsi initiées le 20 juin 2001 à l’OMC, les négociations ont continué jusqu’à la conférence ministérielle de Doha en novembre 2001. Elles ont débouché sur un article de la déclaration finale, stipulant que l’Adpic « peut et devrait être interprété et mis en œuvre d’une manière qui appuie le droit des membres de l’OMC de protéger la santé et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments ». La porte a ainsi enfin été ouverte pour qu’en cas de crise sanitaire majeure, les pays du Sud puissent produire des médicaments génériques accessibles aux populations. Problème : rares sont les pays du Sud capables de produire des médicaments génériques. Il est donc nécessaire de permettre aux pays n’ayant pas cette capacité d’utiliser des « licences obligatoires » leur permettant d’importer des médicaments génériques produits par des pays voisins. La discussion, renvoyée à l’OMC, devait aboutir en 2002. Mais aucune solution n’a à ce jour été trouvée.

Quelles sont les positions défendues dans le cadre des négociations du programme de Doha ?

Les négociations ont grosso modo mis en scène trois types de position. D’une part, les pays en développement, emmenés par le Brésil et l’Inde, ont demandé une interprétation de l’article 30 de l’Adpic afin qu’ils puissent exporter rapidement des produits génériques vers les pays pauvres qui en ont besoin. D’autre part, l’Union européenne a concédé l’octroi de licences obligatoires pour l’exportation de médicaments génériques, mais selon des conditions draconiennes : maladies et médicaments concernés limités, nombre de pays bénéficiaires restreint, procédure d’accès longue et incertaine, etc. Malgré ces restrictions acceptées fin 2002 par tous les autres Etats membres, les Etats-Unis ont refusé toute modification de l’Adpic, se limitant à concéder un moratoire sur les plaintes déposées sur la question à l’OMC et condamnant le projet d’accord du 16 décembre 2002. En cause : la crainte de l’industrie pharmaceutique américaine, dont les profits en 2002 se sont élevés à 37 milliards de dollars, de se voir prendre des marchés par des firmes brésiliennes ou indiennes et de voir les médicaments génériques revenir en contrebande sur les marchés du Nord. En février 2003, une réunion rassemblant 22 des 145 Etats membres de l’époque a eu lieu à Tokyo dans le but de trouver une position consensuelle. Le Brésil a notamment proposé, mais en vain, que les capacités de production de médicaments d’un pays soient attestées par l’OMS. En mai 2003, l’Union européenne a déposé une nouvelle proposition permettant aux exportateurs de vendre à une liste de 76 pays pauvres des médicaments à des prix « différenciés » pour combattre le SIDA, la tuberculose et la malaria. Sans interférer avec le système des brevets et sans passer par des licences obligatoires, ce système facultatif permet aux fabricants qui le souhaitent de vendre les médicaments à un prix légèrement supérieur au coût de production (Soit 15% de plus que le coût de production, soit 75% de moins que le prix moyen dans les pays de l’OCDE) et donc de s’ouvrir à de nouveaux marchés. Pour garantir que ces médicaments ne reviennent pas par des voies détournées sur le marché européen, ils devraient porter un logo permettant de les identifier facilement. Les Etats-Unis restant inflexibles, les négociations se sont tendues au fil des semaines, les pays en développement conditionnant la suite des négociations à un accord sur ce dossier. Le 28 août 2003, mis sous pression, les Etats-Unis ont abouti à un compromis avec quatre pays en développement (Brésil, Inde, Kenya et Afrique du Sud) entériné le lendemain par les autres Etats membres. Reprenant le projet d’accord de décembre 2002 et sa procédure complexe d’accès aux dérogations, le compromis y ajoute une déclaration des pays s’engageant à utiliser le mécanisme « de bonne foi », dans des cas de « problèmes de santé grave » et sans que les médicaments génériques n’aient accès aux marchés du Nord. Cet accord, s’il permet de débloquer les négociations et ouvre enfin la porte à l’importation de médicaments génériques par les pays pauvres, ne remet pas suffisamment en cause la logique des brevets et ne représente donc pas une fin en soi. L’accord a été très critiqué par MSF et Oxfam. Pourquoi ? Parce qu’il ne remet pas en cause la logique des brevets qui augmentent considérablement les prix des médicaments, parce qu’il met en place des conditions tellement draconiennes que l’accord semble inapplicable (manque de personnel pour changer les emballages des médicaments importés…), parce qu’il fait dominer une logique commerciale et non une logique d’accès aux médicaments les plus importants…Mais ce n’est pas le problème de l’OMC.

Eloan Pinheiro dos Santos, ancienne présidente du syndicat des travailleurs de la chimie, aujourd’hui responsable de Far-Marguinhos entreprise pharmaceutique publique brésilienne : « Je crois indispensable l’existence d’un secteur public de production pharmaceutique. C’est le meilleur moyen de contrôler les prix du médicament, et pas uniquement pour le Sida. ».

- Krissana Kraisintu, responsable du laboratoire public pharmaceutique thaïlandais : « Si vous vous contentez d’exporter des génériques, ce n’est pas du développement durable. La production locale est la seule solution à long terme ». »

2.2. Européenne.12

Aujourd’hui, il faut tout d’abord savoir que le médicament est au niveau de la Commission européenne rattaché à la Direction « Entreprises » et non « Santé et protection des consommateurs ». L’agence européenne de surveillance de ces produits (EMEA) tend visiblement davantage à favoriser les firmes pharmaceutiques européennes que de développer l’information des praticiens et des patients comme le spécifiaient théoriquement ses objectifs. Cet organe manque de transparence, est financé en majorité par les firmes européennes…

Quelques arguments en bloc :

- les AMM au niveau européen correspondent rarement à des avancées thérapeutiques.

- les règles européennes entravent toute tentative de limitation des prix à l’échelon national.

- l’EMEA est dépendante des industries pharmaceutiques pour équilibrer son budget.

- l’EMEA a basé toute sa politique sur la communication de dossiers sur les médicaments étudiés. Une analyse menée par les bulletins d’étude de médicaments indépendants a révélé que ces dossiers étaient mal documentés, pas à jour et uniquement basés sur des dossiers documentaires fournis par les firmes pharmaceutiques. Les dossiers fournis par l’EMEA sont la minorité des AMM : l’essentiel se fait par des dispositifs encore plus opaque (AMM par reconnaissance mutuelle). La tendance va à une reconnaissance de plus en plus grande et rapide des médicaments sans lien avec une politique de santé publique.

Ce ne sont que les grandes lignes des principales critiques de la politique européennes du médicament. L’EMEA souffre d’une grande absence de transparence contrairement à la Food and Drug Administration américaine.

Un projet de directive européenne était à l’étude jusqu’à décembre 2003. Les firmes pharmaceutiques ont joué à plein de leur capacité de lobbying. Elle visait essentiellement à donner plus de liberté aux firmes pharmaceutiques européennes : autorisations de mise sur le marché valables sans limite (actuellement renouvelées tous les cinq ans), publicité autorisée auprès des patients pour des médicaments de prescription (actuellement interdite), mesures anti-médicaments génériques, etc. Par une politique active, un collectif Europe et médicament a réussi à faire adopter un certain nombre d’amendements au niveau du Parlement européen, amendements contestés par la Commission et par le Conseil de ministres de la Santé européen. Cependant, la plupart des amendements décrits plus hauts ont été maintenus (en particulier l’interdiction de publicité pour les médicaments à prescription qui a réuni la quasi-unanimité des députés). En revanche, la communication par le biais de fondations reste possible.

2.3. Française.

L’actualité française ne sera décrite qu’à travers deux exemples : le processus de déremboursement de certains médicaments et l’OPA de Sanofi sur Aventis.

Le déremboursement est une politique initiée par le gouvernement précédent : Martine Aubry avait en effet demandé l’évaluation du Service Médical Rendu des médicaments remboursés par la Sécurité sociale. Le gouvernement par l’intermédiaire de M. Mattéi a commencé à dérembourser certains médicaments depuis Pâques dernier. Etudier l’efficacité des médicaments et conditionner leur remboursement à cette efficacité ne doit pas être contesté. Des dérives en effet peuvent être dénoncés dans la logique du remboursement : par exemple, les prescriptions en fluor sous forme de médicaments continuent d’être données aux enfants alors qu’il est inutile de donner du fluor aux enfants (risque de fluorose, présence de fluor naturel dans l’eau, certains sels, certains thés…) ; les prescriptions en médicaments qui empêchent la déshydratation sont un autre exemple : il est inutile de prendre des médicaments remboursés par la Sécu alors que d’autres produits tels que les sels de réhydratation n’ont pas été remboursés pendant longtemps parce qu’ils n’avaient pas le statut de médicaments et alors même qu’ils sont conseillés par l’OMS. Parallèlement il faut savoir que l’industrie pharmaceutique qui prétend avoir un rôle d’information biaise bien évidemment l’information dans ce domaine –lors d’un récent congrès de pédiatres la déshydratation a été évoquée, l’importance des sels (en deux minutes) puis vaste propagande par les laboratoires pharmaceutiques sur les médicaments ; dernier exemple le Prépulsid prescrit par les médecins en cas de régurgitation du nourrisson (tous les nourrissons régurgitent on le sait) : son utilisation est plus dangereuse que réellement utile et l’on continue de le laisser sur le marché en lançant des avertissements13.

Si certaines aberrations sont plus ou moins en train d’être rectifiées par le gouvernements (déremboursement des vasodilatateurs, des veinotoniques dont l’efficacité n’est pas prouvée), on peut se poser des questions sur l’évaluation de ces médicaments lorsque l’on sait que le SMR de certains médicaments a pu être contesté par des associations de patients ou des syndicats comme Sud Santé Sociaux : ainsi le déremboursement du Zyrtec, du Voltarène ou d’un vaccin obligatoire comme le DTCoq peut sembler pour le moins étrange. La mesure est plus idéologique qu’intéressante pour les comptes de la Sécu (300 millions d’euros économisés pour la première vague alors que le déficit atteint plus de 10 milliards d’euros). Depuis notamment septembre, d’autres dispositifs de déremboursement ont été mis en place : remboursement des médicaments de marque sur la base du prix de leurs génériques s'ils existent (tarif forfaitaire de responsabilité, TFR) ; déremboursement total de plus de 80 médicaments d'efficacité insuffisante ou même d’ « utilisation non souhaitable ». La logique est insidieuse : d’un côté, on fait semblant de s’attaquer aux lobbies pharmaceutiques, de l’autre, on lui fait des cadeaux. Le déremboursement tout d’abord est stupide s’il n’est pas total : un médicament ne doit pas être remboursé s’il ne sert à rien ou si d’autres médicaments servent davantage que lui. Le déremboursement partiel fait illusion quant à l’utilité de ce médicament puisqu’il est encore remboursé par la Sécu, le coût non pris en charge par la Sécu étant à la charge des individus que l’on veut « responsabiliser » sans qu’ils aient accès à une évaluation fiable. D’autre part, cette mesure cache la forêt des cadeaux faits aux firmes : ainsi, les firmes sont autorisés à fixer le prix de leur nouveauté à peu près comme ils veulent, ce qui d’après la Cour des comptes explique la part croissante des médicaments dans la consommation médicale ; la mise en place de nouveaux médicaments n’est absolument pas faite pour diminuer les prix moyens des médicaments et faire baisser ceux de médicaments plus anciens. Le ministère vient par ailleurs de déclarer que plus de 400 médicaments allaient à leur tour être déremboursés. Un plan d’aide est cependant à l’étude. Ainsi, la loi de Santé publique prévoierait d’après L’Expansion la possibilité pour les laboratoires de faire de la publicité pendant quelques mois précédents le déremboursement14. L’enjeu comme on le voit n’est absolument pas la Santé publique mais la maîtrise comptable de coûts et la privatisation d’un financement jusqu’ici solidaire. Que dire du fait que ces déremboursements ne sont absolument pas pris en concertation avec les syndicats ou les associations de consommateurs.

Deuxième événement dont il faut étudier un peu la logique : l’OPA de Sanofi sur Aventis. Le seul aspect médiatique a été le fait que c’était le petit qui se faisait manger par le gros. Comme c’est amusant en effet… Tout ce qui s’est dit à cette occasion est la mise en pratique de l’idéologie des laboratoires. Il faut tout d’abord voir dans quel contexte se développe une telle opération boursière. Dans un article du Monde paru en novembre 200315, un journaliste rappelait que les analystes financiers étaient très pessimistes sur l’avenir des gros labos. Or la Bourse n’aime pas le pessimisme des analystes financiers. Ainsi on sait que d’ici 2007, plusieurs brevets équivalents à un marché de 82 milliards de dollars vont tomber dans le domaine public. Le journaliste indique que sans blockbuster, les capacités financières ne sont plus rien et « leurs efforts de recherche » non plus (c’est dit dans cette ordre là dans Le Monde). Les firmes pharmaceutiques continuent pourtant d’avoir des bénéfices records : Novartis par exemple a annoncé un profit net de 1.3 milliard de dollars sur 6.2 milliards de ventes, sa filiale « générique » expliquant en partie ces bons scores (d’où ne jamais s’ôter de la tête que les génériques ne sont pas les médicaments des rebelles petites entreprises…) ; Merck dont les profits étaient moins importants a annoncé la suppression de quantité d’emplois pour « diminuer les coûts », c’est-à-dire augmenter le taux de profit. La course au gigantisme peut s’expliquer de plusieurs façons : l’objectif est de bouffer l’autre avant qu’il ne vous bouffe ; grandir pour s’assurer un monopole de fait ; augmenter artificiellement un chiffre d’affaires ; cacher une crise future.


Décryptage de l’interview du patron de Sanofi (publiée dans Le Monde)16 ? :

Tentative modeste de décryptage du réel… : les questions du Monde sont en italique gras, les réponses de l’ « industriel » en italique et entre guillemets, mes questionnements en gras.


« Pourquoi Sanofi-Synthélabo lance-t-il une offre publique hostile sur Aventis ?

Hostile ? Non, car elle n'est dirigée contre personne. Elle est, au contraire, au service d'un très grand projet industriel » (mythe de la grande industrie traditionnelle à la française… ?) : « créer un leader qui sera numéro un en Europe et numéro trois dans le monde, derrière Pfizer et GlaxoSmithKline. Mais la taille n'est pas tout. Nous allons constituer un groupe qui sera doté d'un très beau portefeuille de médicaments existants, à très forte croissance, » (On prend les qualités de l’un –porte-feuille de médicaments d’Aventis – et les qualités de l’autre – forte croissance de Sanofi- tout en oubliant les difficultés des uns et des autres –faible croissance d’Aventis, pauvreté du porte-feuille de Sanofi- ? ) « auquel nous allons appliquer notre stratégie de développement. Depuis quelques années, Sanofi-Synthélabo a un rythme de croissance significativement supérieur à la moyenne de l'industrie. Cela sans doute grâce à notre démarche spécifique, qui est d'avoir, certes, de grands produits à très forte rentabilité (Voilà les fameux blockbusters qui sont l’unique préoccupation des firmes pharmaceutiques contrairement à ce qu’elles affirment), mais aussi des produits matures que nous ne délaissons pas (Sanofi ne peut pas les délaisser parce qu’elle ne trouve plus rien ?), contrairement à ce que font certains concurrents. Notre credo est qu'il n'y a ni petits pays ni petits produits (ni petits profits… ? Pourquoi la recherche pharmaceutique est-elle si peu tournée vers les pays du Sud alors ? ).

« Deuxième enjeu de ce rapprochement : optimiser les grands lancements de médicaments à venir grâce à la combinaison des moyens marketing et commerciaux des deux groupes, notamment aux Etats-Unis et au Japon » (comme c’est ce qui coûte le plus cher, ça fait du bien quand ça soulage… et on préservera de l’emploi… ?).

« En troisième lieu, notre approche de la recherche nous permet d'avoir une productivité exceptionnelle, parmi les plus performantes de l'industrie » ( la productivité est la capacité à créer beaucoup, pas forcément à créer bien… Sanofi est donc très capable d’inventer plein de médicaments qui ne servent à rien ?). « Ce qui n'est plus le cas d'Aventis. La réunion des équipes de recherche des deux groupes donnera un coup d'accélérateur majeur à la recherche et développement (R & D), en la recentrant sur les projets les plus prometteurs »( les plus rentables donc pas évidemment les médicaments des pays du Sud non solvables… ?).

« Enfin : la rentabilité. Actuellement, celle de Sanofi-Synthélabo est d'environ 24 %, contre 15 % pour Aventis. Avec la dynamique de croissance générée par ce rapprochement et l'optimisation de l'organisation, la rentabilité de l'ensemble sera fortement accrue. » (Dynamique de croissance = discours de Jean-Marie Messier ; comme Vivendi, le groupe aura un plus gros chiffre d’affaires sans que l’on puisse augurer des bénéfices de l’entreprise !) »17.


NB : l’ordre dans lequel est faite l’énumération. La recherche (donc la pseudo-question de santé publique ?) est donnée en avant-dernière position.

Dernier commentaire sur cette affaire : il est évident que la fusion a un rôle d’accélérateur de spéculation. On sait que les échanges de titres se sont multipliés entre l’annonce par Sanofi qu’ «elle envisageait un rapprochement à moyen terme » et le moment où elle a annoncé son plan … soit trois jours plus tard18.


3. Les réactions (internationales, européennes, nationales…).

3.1. Internationales.

« Quelles sont les alternatives ?(voir attac-info 439)

Considérer l’accès à la santé comme un droit fondamental implique de ne plus considérer le médicament comme une simple marchandise. Comme l’affirme German Velasquez, coordinateur du Programme d’action sur l’accès aux médicaments des pays en développement de l’OMS, « L’accès au système de soins, perçu comme un droit fondamental, doit être protégé de façon active par les pouvoirs publics. Ne pas le faire, c’est accepter une société malade. Il est désormais clair depuis Doha que si les médicaments sont considérés comme de simples marchandises, la santé ne sera jamais autre chose qu’une extension du marché - où les cures et les traitements ne seront abordables que par ceux qui disposent d’un pouvoir d’achat suffisant. Il faut, dès à présent, considérer le médicament essentiel comme un bien public à l’échelle mondiale ». Cette optique permettrait de garantir à chaque pays le droit de produire ou d’importer sur son territoire les médicaments « génériques » en cas de crise sanitaire, sans que cet accès soit limité à quelques rares maladies. Il faudrait également distinguer clairement les notions d'« invention » et de « découverte » afin de limiter l’octroi de brevets aux « inventions » et d’éviter tout brevetage du vivant. En ce qui concerne le financement de la recherche médicale, le Prix Nobel de la Paix 1999, le docteur James Orbinski (MSF), propose de mettre en œuvre un impôt mondial sur les ventes de produits pharmaceutiques et de charger l’OMS de gérer ces fonds pour mettre en œuvre un programme public de recherche. D’autres propositions similaires existent, comme l’institution d’un impôt supplémentaire sur les ventes de cigarettes. »


3.2. Européennes (Revue Prescrire19).

De nombreux principes défendus par le Collectif Europe et médicament, dont la plupart avaient fait l'objet d'amendements votés par les députés, n'ont pas été repris par les ministres : financement public des activités essentielles des agences du médicament (actuellement financées principalement, voire totalement par les firmes pharmaceutiques) ; constitution par l'Agence européenne du médicament d'une base unique d'information sur les médicaments, accessible au public, et comprenant notamment une section consacrée aux données comparatives disponibles ; possibilité pour les patients de signaler aux autorités sanitaires les effets indésirables des médicaments qu'ils constatent ; représentation de la société civile au conseil d'administration de l'Agence européenne du médicament ; passage obligatoire par l'Agence européenne du médicament (plus transparente que les nationales) pour toutes les nouvelles substances, et pour celles des classes de médicaments qui ont fait l'objet de mesures de pharmacovigilance ; pas d'entrave supplémentaire à la commercialisation des médicaments génériques…20


3.3. Françaises (propositions d’Attac)21.

Abonner son médecin à la Revue Prescrire.

Il est possible de faire un certain nombre de choses très concrètes. Comprendre, informer, changer le camp de l’asymétrie de l’information (on sait que des patients ont réussi à faire retirer du marché un tranquillisant (l’Halcion) dont les effets avaient été cachés par le laboratoire. Comment faire pour cacher ces résultats ? Etudier le patient après les premières minutes et lui demander comment il va…Et surtout ne pas refaire la même opération quelques heures plus tard…).

S’unir avec les autres associations qui se battent sur le même terrain que nous (Act-Up, MSF, UFC-Que choisir, …) pour lutter contre les firmes qui elles aussi n’hésitent pas à s’unir (voir le procès de Pretoria contre le gouvernement d’Afrique du Sud).

Deuxième proposition : faire sortir les médicaments efficaces du domaine de l’économie marchande. La loi favorise le passage dans l’économie sociale et solidaire de pans entiers de la pharmacopée efficace. Un génériqueur même d’un pays du Sud est une entreprise dont la vocation est le profit.

En vrac : rappeler aux chercheurs publics que les laboratoires publics ne trouvent pratiquement plus rien depuis qu’ils ont passé des accords avec les grandes firmes. J. C. Salomon indique aussi que la gratification pour un médecin n’est pas importante lorsque l’on sait qu’une découverte comme celle de Pasteur ne serait plus celle de Pasteur mais celle d’Aventis ou de Sanofi.

Diffuser des modes de coopération entre chercheurs et les inciter à diffuser publiquement leurs découvertes pour accélérer la recherche médicale.

Soutenir les chercheurs évidemment.

Soutenir une démocratisation du système de santé français et s’engager à défendre l’assurance maladie pour réguler ce complexe médico-industriel.


Conclusion : Le complexe médico-industriel est puissant, peut faire peur mais est aussi en situation de faiblesse. C’est le moment de se battre, des avancées sont possibles. Le médicament contrairement à ce que nous fait croire l’industrie pharmaceutique n’est pas le seul élément du soin.

1 L’essentiel de l’argumentaire de cette première partie est un résumé du livre Attac, Le complexe médico-industriel, « Les mille et une nuits », Fayard, 2003.

2 C’est le sujet du roman : Winckler (M.), Mort in vitro, Editions Fleuve Noir, 2003.

3 Voir un résumé dans la chronique de M. Winckler « Qu’est-ce qu’un médicament tératogène ? »parue dans Winckler (M.), Odyssée, Le Cherche Midi, 2003.

4 Exemple développé par Bernard Topuz, (auteur avec Roger Lenglet du livre Des lobbies contre la santé, Paris, Syros, Coll. Société et santé, 1998) lors de son intervention auprès d’Attac Marne. Document consultable à l’adresse : www.france.attac.org/a346

5 Voir les détails donnés par un généraliste (B. Ripault) à l’adresse suivante : http://www.generalistes2002.net/article.php3?id_article=11

6 Topuz (B.), Op.cit.

7 Belpomme (D.), Ces maladies créées par l'homme, Albin Michel, 2003.

8 Topuz (B.), Op.cit.

9 Voir un résumé dans la chronique de M. Winckler, « Où peut-on trouver des informations fiables sur les médicaments» parue dans Winckler (M.), Odyssée, Le Cherche Midi, 2003.

10 Etude disponible sur le site d’Attac France (www.france.attac.org).

11 Marmor (Th.), « Quand Bush se déguise en social-démocrate », Le Monde, 8 janvier 2004.

12 Voir le site de la Revue Prescrire, www.prescrire.org pour les infos autour du Collectif Europe du Médicament.

13 Exemple développé par Bernard Topuz, (auteur avec Roger Lenglet du livre Des lobbies contre la santé, Paris, Syros, Coll. Société et santé, 1998) lors de son intervention auprès d’Attac Marne. Document consultable à l’adresse : www.france.attac.org/a346

14 L’Expansion.com, 5 février 2004.

15 « Les investisseurs redoutent l'arrivée des médicaments génériques », Le Monde, 24 octobre 2003.

16 Le Monde, 26 janvier 2004.

17 Dans « L'inévitable concentration de l'industrie pharmaceutique »(Le Monde, 13 février 2004), une liste est faite des critiques sur cette opération et les arrières pensées de Sanofi.

18 « La gestion de la rumeur », Le Monde, 27 janvier 2004.

19 Voir le site de la revue : www.prescrire.org.

20 « Europe du médicament : quelques progrès », L’Humanité, 24 janvier 2004.

21 Attac, Le complexe médico-industriel, « Les mille et une nuits », Fayard, 2003.