Brevet sur les logiciels : main basse sur la créativité intellectuelle (décembre 2004) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°28, décembre 2004 / janvier 2005

Un débat haletant occupe depuis plusieurs mois les acteurs principaux du monde de l’informatique ainsi que les membres du Parlement et du Conseil Européen, concernant la possibilité d’appliquer à l’industrie du logiciel les règles de propriété traditionnelles qui jusqu’alors ne concernaient que les inventions "concrètes".

QU’EST-CE QU’UN BREVET ?

Un brevet est une sorte de marché entre la société et un inventeur, qui permet à ce dernier de protéger son invention par un monopole limité dans le temps. En Europe, ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas est d’ores et déjà défini par la Convention sur le brevet européen de 1973. Dans son article 52, la Convention stipule que les méthodes mathématiques, les méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles ou dans le domaine des activités économiques, les programmes d’ordinateurs, les présentations d’informations, etc. ne sont pas des inventions au sens du droit des brevets. En effet, étant considérées comme des oeuvres de l’esprit (en opposition avec la matière), ces domaines relèvent de la propriété intellectuelle et donc des droits d’auteur, à l’instar des artistes.

Et pourtant, nombreux sont ceux en Europe qui souhaitent étendre la notion de brevet à ces nouveaux champs, comme c’est déjà le cas aux États-Unis et au Japon. D’ailleurs, sous la pression de grands groupes industriels ainsi que la BSA [1], quelques 30 000 brevets logiciels ont déjà été illégalement enregistrés par l’Office Européen des Brevets (OEB) depuis 1973, contre rémunération financière, cela va de soi. Certains brevets abusifs ont commencé à apparaître, notamment aux États-Unis, tel celui accordé à Microsoft qui lui reconnaît l’invention et la propriété du... double clic !

LES ENJEUX

En dehors des aspects financiers en jeu, la problématique du brevet logiciel repose sur une spécificité du travail des concepteurs de programmes. En effet, chaque créateur d’un logiciel utilise en permanence des codes écrits par d’autres avant lui, qu’il adapte et réorganise pour écrire son programme, en plus d’y ajouter sa propre contribution. La propriété de brevet sur des lignes de codes, loin de développer cette création en rémunérant ses auteurs (comme l’a souligné le Medef qui n’a pas manqué de prendre position sur ce sujet), obligerait chacun d’eux à payer pour pouvoir travailler ! C’est particulièrement flagrant dans le monde du logiciel libre, ou des centaines d’informaticiens dans le monde mettent en commun leur travail pour justement partager leurs efforts gratuitement : c’est d’ailleurs en partie dans l’optique de contrer cet excellent mouvement alternatif que les libéraux de Bruxelles ont lancé cette offensive. Mais ce ne seront pas les seuls à en pâtir : Microsoft lui-même a été condamné à payer 521 millions de dollars pour avoir utilisé des plugins [2] dans son navigateur internet, et un célèbre jeu vidéo, Doom III, a du trouver un arrangement à l’amiable avec un éditeur ayant déposé un brevet sur la gestion des ombres des personnages.

QU’EST-CE QU’UN LOGICIEL ?

Le logiciel est la partie non tangible de l’ordinateur. Ce terme est utilisé comme synonyme de programmes disponibles pour une machine donnée. Le logiciel est aussi indispensable au fonctionnement d’un ordinateur que le matériel lui-même.
On distingue trois types de logiciels :

-*Les programmes d’application (Traitement de texte, dessin, comptabilité...)
-*Les logiciels de base comme le système d’exploitation ou les utilitaires
-*Les langages de programmation

L’EUROPE POLITIQUE EN DÉSACCORD

En 2002, la Direction du Marché Intérieur de la Commission Européenne (Dirigée à l’époque par Frits Bolkestein) a soumis une proposition de directive afin de rendre légale la brevetabilité pratiquée par l’OEB. L’année suivante, le 24 septembre 2003, le Parlement Européen (seule instance politique élue par des citoyens, donc représentative démocratiquement) a voté un ensemble d’amendements à cette directive réaffirmant la non brevetabilité des programmes d’ordinateur.

Selon la procédure de codécision en vigueur dans l’Union Européenne, la proposition amendée fut alors examinée par le Conseil des Ministres, qui la délégua au Groupe de Travail sur la Propriété Intellectuelle composé par... les membres du Conseil d’Administration de l’OEB ! Après plusieurs mois de négociation obscures et secrètes « En raison de la nature sensible des négociations et de l’absence d’intérêt public supérieur » (sic), ce groupe a produit un Document de Compromis qui éliminait les amendements du Parlement et rétablissait la proposition initiale de la Commission : cette proposition était si extrémiste qu’elle niait toute possibilité de compromis, malgré son titre. Et pourtant, le 18 mai 2004, le Conseil approuvait ce texte à une courte majorité.

Mais le pire restait à venir. Le 21 décembre dernier, le Conseil mettait ce thème à l’ordre du jour d’une réunion... des ministres de l’agriculture ! Et qui plus est en « Point A », c’est-à-dire sans que le vote ne soit précédé d’un débat, ce qui somme toute est bien dommage car il eût permis d’illustrer la compétence des dits ministres sur le sujet. C’était sans compter sur la présence surprise du sous-secrétaire d’état polonais au ministère de la science et de l’informatisation, qui a obtenu que ce point soit retiré de l’ordre du jour. Un sursis de dernière minute, qui ne doit pas masquer les réels dangers pour l’année à venir.

ET DEMAIN ?

Les Allemands et les Néerlandais l’ont fait et obtenu : nous devons exiger de notre gouvernement et de nos députés qu’ils respectent le vote du Parlement Européen et insister pour que notre gouvernement demande publiquement à nos partenaires dans l’Union européenne de soutenir également cette position. Il s’agit là encore d’un combat contre la marchandisation du monde : nous nous devons d’y prendre toute notre place.

Enfin comment ne pas voir dans cette opération politique une volonté de torpillage de l’essor considérable du logiciel libre, une des propositions alternatives les plus avancées à opposer au monde marchand. Là encore, nous nous devons d’y apporter notre soutien et notre énergie.

Stéphane Bois, Attac 45.

[1] Business Software Alliance, groupe d’éditeurs de logiciels payant (dont bien sûr Microsoft) créé à l’origine pour lutter contre le piratage des programmes informatiques.
[2] Petits programmes additionnels permettant par exemple d’écouter de la musique ou de visionner un film à l’intérieur du navigateur.

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