Poursuivre la réduction du temps de travail, communiqué d’Attac-France (décembre 2003) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°22, décembre 2003

Cette idée est refusée par le patronat et par le gouvernement parce qu’elle signifie une amélioration de la situation des salariés relativement aux propriétaires du capital.

Dans la longue suite ininterrompue de remises en cause des conquêtes salariales (droit du travail contourné, retraites par répartition mises à mal, Sécurité sociale amoindrie, indemnités des chômeurs rognées, etc.), l’offensive actuelle du gouvernement et du Medef contre la réduction du temps de travail occupe une place de choix.

C’est d’ailleurs une vieille histoire, toujours répétée. Déjà, au XIXe siècle, réduire le temps de travail des femmes et des enfants devait mettre l’économie en péril. Même chose pour les congés payés en 1936. Le Medef n’invente rien, il répète un discours rodé depuis deux cents ans qui vise à déconsidérer cette idée juste selon laquelle les travailleurs doivent pouvoir travailler moins longtemps au fur et à mesure des progrès techniques.

Cette idée est refusée par le patronat et par le gouvernement parce qu’elle signifie une amélioration de la situation des salariés relativement aux propriétaires du capital. En effet, réduire le temps de travail proportionnellement à la progression de la productivité, sans que parallèlement ne baissent les salaires, oblige les entreprises, qui veulent voir leur part de profits maintenue, à intensifier le travail ou bien à embaucher. On sait combien la loi des 35 heures leur a donné la possibilité de tirer parti de la première solution par une plus grande flexibilité exigée du travail. Mais elle a aussi permis de créer entre 350 000 et 400 000 emplois entre 1999 et 2002.

Le patronat a donc très bien compris que s’il concédait une baisse du temps de travail sans pouvoir baisser les salaires ni intensifier le travail, les salariés gagneraient sur tous les tableaux : plus de temps libre, moins de chômage et meilleur partage des revenus. Il exerce donc depuis deux ans une pression énorme pour que les derniers vestiges de la loi des 35 heures soient anéantis. Le gouvernement lui a déjà donné satisfaction sur plusieurs points : le recours possible aux heures supplémentaires est passé de 130 heures à 180 par an. Les petites et moyennes entreprises auxquelles la loi avait accordé un délai pour passer aux 35 heures n’y passeront pas, laissant ainsi environ 7 millions de salariés à l’écart de la mesure. Et pendant ce temps, le chômage a repris sa marche en avant inexorable.

Comment justifier alors aux yeux de l’opinion une telle absurdité ? En ressortant une vieille lune idéologique : « Les Français ne travaillent pas assez. » On s’étonne presque de cette redécouverte par les libéraux du fait que seul le travail produit la richesse monétaire qui est ensuite distribuée. Et l’on entend un concert de déclarations appelant à « réhabiliter le travail » ou à « réhabiliter la valeur travail ». S’agirait-il de redonner aux travailleurs une dignité mise à mal par 25 ans de précarité, de chômage et de politiques d’austérité ? Non, il s’agit de forcer les chômeurs à accepter n’importe quel travail précaire et les salariés ayant un emploi à baisser la tête devant la précarisation de celui-ci.

Le projet de loi transformant le RMI en RMA donnera aux entreprises une magnifique aubaine : une partie du coût salarial ne sera plus à leur charge mais surtout à celui de la collectivité. À côté de ce cadeau royal qui leur est promis, les allègements de cotisations sociales patronales liés aux 35 heures font presque pâle figure. Ceux-ci représentent 8 milliards d’euros par an, c’est-à-dire à peu près autant que les autres allègements liés aux bas salaires décidés par les gouvernements Balladur, Juppé et Raffarin. Encore faudrait-il défalquer de ces 8 milliards, les rentrées nouvelles de cotisations dues aux emplois créés ainsi que la baisse du coût de l’indemnisation du chômage grâce encore à l’amélioration de l’emploi. Au total, le « coût » réel des 35 heures pour les budgets publics ne dépasse pas 3 à 4 milliards, tandis que, pour les entreprises, l’intensification du travail a financé l’essentiel du « surcoût » salarial. Sans compter que, pour la collectivité, l’amélioration de la qualité de la vie grâce au temps libéré est inestimable.

Le gouvernement et le Medef savent tout cela. Aussi se répandent-ils en jérémiades contre la « brutalité » de la loi des 35 heures qui aurait imposé une RTT globale sans tenir compte des disparités sectorielles. Il est vrai que tous les secteurs ne réalisent pas des gains de productivité aussi élevés les uns que les autres : notamment, ceux de beaucoup de services sont souvent inférieurs à ceux de l’industrie. Mais le seul véritable mérite de la loi des 35 heures est d’avoir su imaginer une restitution à l’ensemble des salariés des gains de productivité dont l’origine tient à la qualité de l’éducation et de toutes les infrastructures collectives beaucoup plus qu’aux caractéristiques particulières de salariés travaillant dans les secteurs dits à hauts gains de productivité. Une RTT s’appliquant à tous constitue une socialisation des progrès dont la société tout entière est responsable.

Or toutes les formes de socialisation sont intolérables pour un patronat revanchard et un gouvernement acquis entièrement à l’idéologie libérale. On l’a vu à l’occasion du débat sur les retraites. On le voit à travers la polémique actuelle sur les 35 heures et sur l’éventuelle suppression de jours fériés. On le verra demain avec la remise en cause de la Sécurité sociale. D’ailleurs, si la RTT n’était pas nécessaire, pourquoi les politiques libérales favoriseraient-elles à ce point le travail à temps partiel qui est une autre forme de RTT mais s’accompagnant toujours d’une baisse drastique des salaires ?

Attac réaffirme la nécessité de s’engager résolument en faveur d’une politique de plein emploi de qualité. Dans cette perspective, ce n’est l’augmentation du temps de travail qui est nécessaire, mais au contraire la poursuite de sa diminution. Le bien-être humain passe par la maîtrise du temps de vie plus que par l’accès à la marchandise. C’est la RTT qui permet de créer un écart entre l’évolution de la productivité par tête et celle de la productivité horaire, ouvrant la possibilité de créer des emplois sans s’abandonner aux délires d’une croissance économique extravagante.

Attac entend apporter sa contribution à cette dynamique au côté de l’ensemble des forces syndicales et associatives. L’enjeu est essentiel pour contrecarrer la logique d’un capitalisme mondial toujours plus financiarisé qui souhaite des travailleurs silencieux et soumis par la permanence du chômage de masse et de la précarité, mais qui a horreur de travailleurs et de citoyens émancipés et exerçant leur souveraineté. Nous avons une autre idée de la
« réhabilitation » du travail dont parle le gouvernement.

Communiqué d’Attac-France.