Le Français Pascal Lamy, soutenu par Washington, dirigera l’OMC

LE MONDE | 14.05.05 | 13h19 - Le Français Pascal Lamy est désormais assuré de devenir le prochain directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A l’issue d’un troisième tour de consultations et de quatre jours de débats, vendredi 13 mai, la Kényane Amina Mohammed, chargée de la procédure de sélection, a recommandé aux 148 Etats membres de l’organisation de désigner l’ancien commissaire européen au commerce à ce poste. Pour elle, les auditions menées auprès de ses collègues ne font plus de doute : M. Lamy dispose de plus de soutiens que son challenger, l’Uruguayen Carlos Perez del Castillo.

Ce dernier en a tiré les conséquences et a jeté l’éponge. Comme l’avaient fait avant lui le Brésilien Luiz Felipe Seixas Correa, éliminé le 18 avril, et le Mauricien Jayen Cuttarree, évincé le 3 mai. Pascal Lamy devient donc virtuellement le successeur du Thaïlandais Supachai Panitchpadki, dont le mandat s’achève le 31 août. Ce n’est toutefois que le 26 mai, lors de l’assemblée générale, que sa nomination sera formellement confirmée.

D’ici là, le futur chef d’une organisation qui est la cible favorite (avec le Fonds monétaire international, FMI) des altermondialistes, joue la discrétion. Actuellement dans les Caraïbes, il a fait savoir par son secrétariat parisien qu’il se garde de toute réaction publique avant cette date. Tout au plus s’est-il engagé, vendredi de Georgetown (Guyana), à respecter pendant son mandat "la diversité des membres" de l’organisation.

Une attitude prudente, souligne-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat français. Les décisions à l’OMC étant consensuelles, tout faux pas peut amener un pays ou un groupe de pays à rejeter une solution. Il faut donc éviter de nombreuses chausse-trappes. Certains pays ont des contentieux commerciaux (la banane, le sucre) avec l’Europe et ont eu maille à partir avec l’ancien commissaire européen au commerce.

"SCRUTIN TROP FACILE"

D’autres peuvent déplorer que ce ne soit pas un représentant d’un pays en développement qui prenne les rênes de l’OMC. D’autres enfin, comme la Chine (montrée du doigt pour ses exportations textiles), l’Australie et la Nouvelle Zélande (opposants farouches des subventions agricoles de l’Union européenne), qui soutenaient M. Perez del Castillo, peuvent faire payer au prix fort leur ralliement au candidat européen. Les récalcitrants trouvent que l’issue du scrutin a été trop rapide, presque trop facile.

Dire que le vendredi 13 a porté chance à M. Lamy serait pourtant aller vite en besogne. Depuis son départ de la Commission européenne, l’ancien bras droit de Jacques Delors (lorsque celui-ci était président de l’exécutif européen) a dû faire un lobbying intense. Ses relations avec la droite française et le président Jacques Chirac n’ont jamais été très bonnes. Elles s’étaient envenimées lors d’une passe d’armes avec le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, sur le non-respect par la France du pacte de stabilité. Or la France est seule habilitée à présenter un candidat français à un poste international. Faute de ce soutien, deux postes lui ont échappé : la succession de Romano Prodi à la tête de la Commission européenne, échue au Portugais José Manuel Barroso, et la direction générale du FMI. Le poste, laissé vacant par l’Allemand Horst Köhler, fut repris par l’Espagnol Rodrigo Rato. Les diplomates expliquent que la France ayant mis son veto à la candidature du commissaire européen aux affaires internationales, Chris Patten, elle n’avait aucune chance d’obtenir le poste. Le consensus était que M. Lamy n’avait pas le profil.

"DÉFIS" DU DÉVELOPPEMENT

Difficile d’en dire autant pour l’OMC. Le 3 décembre 2004, un entretien à l’Elysée entre MM. Chirac et Lamy a permis de faire sauter le "verrou" politique. Le 7 décembre, l’Union européenne annonçait que Pascal Lamy devenait son candidat officiel.

Restait à fédérer sur son nom les poids lourds du commerce mondial, à commencer par les Etats-Unis. L’amitié qui lie M. Lamy à l’ancien représentant américain au commerce, Robert Zoellick, devenu numéro deux du département d’Etat, a été un atout.

Mais il faut plus sûrement interpréter le soutien que Washington a apporté au candidat européen à la lumière de deux événements concomitants : la volonté de l’administration Bush de réchauffer les liens transatlantiques mis à mal par l’offensive américaine en Irak, au moment où celui qui en avait été l’un des artisans, Paul Wolfowitz, était pressenti pour prendre la présidence de la Banque mondiale. Pour la France, ce choix, vécu comme une provocation, est devenu un élément de négociation. M. Wolfowitz, qui prendra ses fonctions le 1er juin, a été élu à l’unanimité par le conseil d’administration de la Banque mondiale. M. Lamy a donc pu compter sur l’appui des Etats-Unis.

Ces derniers jours, l’Inde et le Pakistan annonçaient leur préférence pour le candidat européen. Les 56 pays du groupe ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), dont le choix s’était porté sur M. Cuttarree au tour précédent, s’y sont également ralliés, ainsi que plusieurs pays africains.

Vendredi, les messages de félicitations ont afflué. Le président sud-africain, Thabo Mbeki, s’est dit "prêt" à travailler avec M. Lamy pour "traiter des défis qui attendent les pays en développement" . Le ministre brésilien des affaires étrangères, Celso Amorim, a exprimé sa "pleine confiance" à un nouveau directeur général prêt à "à renforcer le système multilatéral" . Dès sa prise de fonctions, le 1er septembre, ce sera à Pascal Lamy d’appliquer une formule qui lui est chère : le "gagnant-gagnant" . Autrement dit, faire que tous les pays impliqués dans les négociations sur la libéralisation du commerce tirent profit du système mondial.

Babette Stern