Hong Kong N° 1 par Susan George

BULLETIN ATTAC N° 1
PAR SUSAN GEORGE, VICE PRÉSIDENTE D’ATTAC FRANCE,
11/12/05

Susan George représente Attac France à la réunion ministérielle de l’OMC à Hong Kong, et y - participe également en tant que membre du réseau européen S2B [soit Seattle to Brussels en anglais] qui est lui-même membre du réseau mondial Notre monde n’est pas a vendre [Our World is not for Sale, soit OWINFS]. Nous coopérons tous avec le Hong Kong Peoples Alliance qui s’est construite l’an dernier, milite pour la démocratie et s’est chargée de l’organisation localement. Ce sont des réseaux qui se sont développés depuis plusieurs années et qui ont pris l’habitude de travailler ensemble depuis la ministérielle de Seattle en 1999.

Notre principal mot d’ordre sera « Pas d’accord du tout vaut mieux qu’un mauvais accord ». Comme Dupond, je dirais même plus : L’OMC est opposée dans son principe au développement du Sud et ne fait que mettre en oeuvre et en musique partout dans le monde la doctrine néolibérale que nous combattons sur tous les fronts. Le monde a certes besoin de règles pour encadrer le commerce, mais pas celles-ci.

Quand les délègués prendront place dans le Centre des congrès et d’expositions de Hong Kong, la situation sera à peu près la suivante : le texte qui sert de base à la négociation a été rédigé par les services de Pascal Lamy, DG de l’OMC et par les ambassadeurs qui président les négociations sur les principaux sujets qui seront cette fois-ci l’agriculture, l’accès aux marches non-agricoles dit NAMA en anglais et les services ; avec des sujets de moindre importance qui sont la propriété intellectuelle et le développement. Un premier texte est sorti le 26 novembre ; il a été amendé au cours de mini-négociations dites de « green room » [ou salle verte à cause de la couleur du papier mural du bureau du DG] et publie dans sa version Hong Kong le 2 décembre. La méthode green room est très contestée car les participants sont choisis on ne sait comment et les pays pauvres et faibles sont toujours sous-représentés, mais elle sera utilisée encore à Hong Kong et démarrera là dès le 12 décembre.

Prenons d’abord les sujets considérés comme moins importants même s’ils ne le sont pas du tout pour les pays pauvres.

— Le développement. A la ministérielle de Doha en 2001, on a obtenu la participation des pays en développement [PED] en leur promettant une série de dispositions censées promouvoir leur développement. Ces dispositions de toute manière ne sauraient compenser les pertes que ces mêmes pays risquent de subir dans les négociations agriculture-NAMA-services. On leur promet par exemple de « l’Aid for Trade »—aide pour le commerce—mais les mesures, et/ou les sommes promises n’ont pas été concrétisées-on propose juste « une réunion avant juillet 2006 pour les considérer » et de toute façon ne seraient accordées que quand les PED auraient mis en oeuvre les accords OMC. C’est un marche de dupes.

— ADPIC et Santé ;[« TRIPS and Health »], autrement dit l’accès aux médicaments brevetés qui sont régis par l’accord sur la propriété intellectuelle. Le 5 décembre on a rendu permanent et intégré dans le texte principal une décision d’août 2003 mais cette solution usine-à-gaz a été dénoncée par MSF et d’autres ONG parce qu’on sait déjà qu’elle ne fonctionnera pas et qu’a ce jour pas un seul malade en a bénéficie. On se demande comment et pourquoi les pays africains en particulier l’ont acceptée.

— Le « traitement spécial et différencié » [S&D] qui comporte différentes mesures pour que les PED et en particulier les Pays les moins avances [PMA] aient un accès aux marches du Nord sans droits de douane et sans quotas et bénéficient de délais pour mettre en oeuvre les accords de l ’OMC. Le texte reste à négocier a HK. Lamy, Mandelson et Portman [le négociateur US] vont sûrement en faire grand cas.

— Le coton, très important pour plusieurs pays africains. Il aurait du faire l’objet d’une « récolte précoce » ou early harvest, terme consacre pour un sujet sur lequel la négociation peut être conclue en lui-même, séparément de l’ensemble des négociations, en l’occurrence celles sur l’agriculture. Les USA bloquent et ont annoncé que l’élimination des soutiens qu’ils accordent à leurs producteurs de coton [$3 milliards par an] ne sera décidée que dans le cadre des négociations agricoles.

Bref, pas grand chose à attendre pour les PED.

Sur les grands dossiers Agriculture, NAMA et Services :

Agriculture. Sujet de rupture à Cancun en 2003. Les trois grands chapitres, ou « piliers », du dossier sont les Soutiens internes aux producteurs, les Soutiens à l’exportation et l’Accès aux marches agricoles, soit les droits de douane appliques a la frontière. Chaque pilier comporte de nombreux sous-chapitres qui contiennent eux-mêmes des sous-sous chapitres et il n’est pas question d’entrer dans le détail ici [lire l’article de Jacques Berthelot dans le Monde Diplomatique de décembre]. Comme chacun sait, les pays riches subventionnent leurs agriculteurs mais empêchent aussi l’entrée des produits compétitifs du Sud [cas extrême : les tarifs douaniers de 400% appliques au Japon sur le riz importe]. Les pays du Groupe des 20-G-20, dont des exportateurs comme le Brésil, l’Argentine ou la Thaïlande veulent l’ouverture des marches, ; le Groupe des 33 [qui inclut aussi une dizaine des pays du G-20] veulent essentiellement protéger leur propres agriculteurs et leurs propres marches d’être inondes de produits du Nord vendu en dessous des coûts de production [le « dumping »] tandis que le G-90 [les plus pauvres, les Africains, les ACP, les PMA] veut a la fois garder comme le G-33 des protections élevées aux frontières mais conserver les avantages de tarifs préférentiels dont bénéficient certains de leurs produits sur les marches des pays riches. On le voit : les pays du Sud ont des intérêts divergents. D’autre part, depuis Cancun, les USA et l’UE ont consacre bien des efforts à diviser ces groupes encore plus. Mandelson peut tirer un lapin de son chapeau, par exemple en annonçant une date et des baisses annuelles chiffrées pour la fin des subventions a l’exportation. Ce serait relativement facile pour l’Europe vu que ces subventions sont d’environ 3.5 milliards d’euros seulement [sur une PAC qui coûte au total 40]. Ce serait un prix modeste pour un impact symbolique spectaculaire. Si c’est le cas, des pays comme le Brésil seraient prêts a lâcher sur les deux autres grands dossiers, le NAMA et l !
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Faut-il en tant qu’altermondialistes soutenir les objectifs du Sud ? Pas tous. Nous n’avons aucune raison de soutenir « le » Brésil sur ce dossier, car il s’agit d’agriculteurs disposant de millier d’hectares et de transnationales comme Cargill ou Bunge, exactement les mêmes qui exportent a partir des USA, du Canada, de l’Australie. Mais nous devons faire cause commune avec les petits producteurs qui savent déjà qu’ils vont perdre. Les « préférences » douanières des pays du Nord seront érodées [preference erosion]. Déjà les ACP, qui recevaient le même prix pour leur sucre que les producteurs betteraviers de l’UE vont souffrir une baisse d’un tiers du prix accorde, annonce par Mandelson le mois dernier ; alors qu’ils n’ont plus un marche préférentiel pour leurs bananes a cause de la décision de l’ORD de l’OMC qui condamnait cette préférence jugée discriminatoire pour les bananes de l’Amérique centrale et du Sud. Ce sont des milliers de petits producteurs ACP quasiment condamnes a la mort lente.

NAMA : Ce secteur [marches non-agricoles] concerne aussi les produits forestiers et de la pêche et promet d’être sur ce plan un désastre écologique. D’une manière générale, les pays riches veulent obliger les pays du Sud a baisser leur protections douanières selon une « formule suisse » qui stipule que les tarifs les plus élevés seront baisses le plus, avec des pourcentages a définir pour chaque « bande » de tarifs [ex. de 0 a 25% ; de 26 a 60% . de 61 a 90%, au-dessus de 90%...] Ceci a de nombreux inconvénients pour les pays avec des industries « jeunes » et pas encore très efficaces. Tous les pays qui ont réussi y compris les réussites les plus récentes comme la Corée du Sud l’ont fait en appliquant des tarifs protecteurs et en ciblant les dépenses étatiques vers les industries qu’ils souhaitaient développer. L’opn veut maintenant retirer l’échelle et ouvrir ces marches aux transnationales du Nord. D’autre part, les pays pauvres retirent jusqu’à 40 % de leurs revenus des taxes perçues aux frontières.. Enfin ils perdraient toute flexibilité dans leurs politiques économiques car une fois un tarif baisse, impossible de le relever : la formule suisse, c’est pour toujours. Le NAMA est une recette pour verrouiller les PED a la place industrielle qu’ils occupent déjà.

Les Services enfin et cet AGCS que les militants d’Attac connaissent bien. Ici Mandelson a été très fort et a proposé que les pays du Nord soient obligés d’ouvrir 139 et les PED 93 sous-secteurs sur un total de 163. Une coalition de PED, avec le Brésil en tête, s’est révoltée et a exigé que soit mise « entre parenthèses » ou « brackets » [..... ] le texte de négociations du Secrétariat de l’OMC et c’est maintenant tout l’Annexe C sur les services qui se trouve « bracketee ». La stratégie de Lamy sera d’abord à « acheter » les PMA/PED avec un package de « développement » qui ne vaudra pas bien cher [voir supra] ; de faire mettre sur la table une offre en agriculture qui séduit le Brésil en échange de quoi le Brésil lâcherait ses petits camarades du Sud sur les Services. Le Brésil est également soucieux de préserver son alliance avec l’Inde et l’Inde, se prenant apparemment déjà pour un pays développé, est déjà favorable à l’Annexe C telle qu’elle a été définie par l’UE. L’Inde, l’un des pays les plus en avant pour défendre les intérêts du Sud à Doha et à Cancun ne leur sera d’aucun secours cette fois-ci.

Pas de repos pour ATTAC ! Les majeurs [UE, USA et maintenant l’Inde] ont déjà décidé de commencer les négociations sectorielles après HK, selon le modèle des négociations qui ont déjà eu lieu pour les secteurs financier et des télécoms. Si les pays du Sud l’acceptent, selon certains observateurs comme nos amis du Third World Network, il y aurait des négociations sectorielles dans une quinzaine de domaines dont l’énergie, la construction, les transports, la poste, la distribution, l’audio-visuel, l’environnement et le Mode 4 sur le ’mouvement des personnes physiques’ qui intéresse beaucoup les pays du Sud comme l’Inde, le Bangladesh, le Pakistan, les Philippines.....

Dans l’Annexe C, l’on retrouve aussi notre vieil ami « les marchés publics », chasses par la porte à Cancun et qui revient a présent par la fenêtre.

Les bagarres les plus apres à HK vont, je pense, avoir lieu non plus autour de l’agriculture comme a Cancun, car les Européens pensent comme le MEDEF-c’est une petite part du PNB, de l’ordre de 2%, alors que les services représentent 70-75%. Dans le domaine des services, le Sud ne pourra pas compter sur l’aide de l’Inde et du Brésil. Beaucoup va dépendre du G-90 mais saura-il résister a la fois au Nord et aux plus grands du Sud ? Autre grand inconnu : la Chine ne dit mot, mais risque fort de se placer du côté de l’Inde et du Brésil, ses partenaires dans le G-20.

Beaucoup d’activités aussi du côté des ONG-nous aurons notamment un séminaire avec nos camarades d’Attac Japon qui vient a HK a 30, et aussi avec les parlementaires européens du groupe Gauche unie. On vous tient au courant.

A bientôt,

Susan George