Néolibéralisme et néonationalisme : deux faces d’une même médaille

Lundi 27 février 2017 René Longet

La montée en puissance des nationalismes dans les pays industrialisés s’inscrit dans la continuité du néolibéralisme économique, selon René Longet. Face à cela, le mouvement humaniste – en crise d’incarnation, de visibilité et d’action – doit nécessairement faire preuve de créativité pour « investir les enjeux économiques, écologiques et sociaux » actuels.

A en croire certains, avec la chute du mur, les choses semblaient claires : tout allait être résolu par le commerce et le marché. Plus besoin d’un dessein collectif, l’intérêt général résultant de l’addition des intérêts individuels (idéologie de la « main invisible ») et le bonheur d’une accumulation matérielle sans fin. Or, outre qu’au-delà de la satisfaction des besoins de base, le « toujours plus » ne fait aucun sens, ce modèle est incapable d’assurer la promesse qui le fonde : le plein-emploi, l’égalité de chances et le progrès social individuel et collectif.

L’intermède des Trente Glorieuses de l’après-guerre s’est rapidement refermé. Depuis, le ressort s’est cassé et la prospérité ne « percole » plus à travers les strates sociales et les territoires. Abandon de régions entières, banlieues sans espoir, fermetures massives d’entreprises, chômage endémique, augmentation des sans-abris en sont la signature à travers l’ensemble du monde industrialisé. Avec pour prix environnemental une prédation quasi-suicidaire des ressources et cycles naturels qui nous font vivre.

Prétendre guérir le mal par le mal

Le néolibéralisme veut guérir le mal par le mal en dérégulant – soit en réduisant les charges environnementales et sociales des entreprises – et en privatisant – soit en réduisant la part des prestations fournies par la main publique et cofinancées par l’impôt afin d’être accessibles à tous. Enfin, en supprimant le plus possible les barrières douanières, on souhaite relancer les activités économiques, quelles qu’elles soient.

S’y ajoute la primauté accordée aux acteurs financiers ; ces derniers, en exigeant des rendements excessifs, mettent sous pression l’économie réelle et alimentent une classe mondialisée de super-riches. Tout cela conduit à accroître les fractures sociales, à mettre en concurrence inégale des territoires et des activités ne connaissant pas les mêmes conditions de production.

Face à cette économie à court-terme, ne payant pas ses coûts externes (soit les dommages infligés à des tiers : êtres humains, environnement, générations futures), déconnectée de la notion d’utilité, les peuples ont de plus en plus tendance à chercher refuge sous l’aile protectrice de l’Etat-Nation.

Ainsi se développe un nationalisme exacerbé, qui oublie que la nation n’est qu’un produit de l’histoire, très souvent édifié sur la négation et l’oppression des minorités vivant sur son territoire. L’Etat français, par exemple, est fondé historiquement non seulement sur la négation de l’auto-organisation de ses composantes régionales, mais aussi de leurs cultures. Voici peu encore, les langues régionales étaient frappées d’interdit. Si elles sont tolérées aujourd’hui, voire visibilisées à des fins touristiques, c’est parce qu’elles ne sont plus que des survivances.

A l’alignement forcé sur un modèle unique correspond une attitude de défiance, voire agressive, vis-à-vis de l’extérieur. C’est bien à cela que se réfèrent la Turquie et bien des pays de l’Est, une bonne partie des dirigeants actuels des Etats-Unis, le Front national et toute l’extrême-droite européenne. Le Brexit a été vendu comme une libération par ses partisans. Il permet désormais d’expulser les « étrangers » en n’ayant plus de comptes de rendre à personne.

Ce repli sur l’Etat-nation s’accompagne de positions réactionnaires face au féminisme ou à l’homosexualité, prônant une image dite traditionnelle de la famille qui n’a jamais existé que dans les fantasmes de ceux qui la propagent. Et bien sûr l’antisémitisme rôde, l’extrême-droite réussissant le tour de force d’être, par certaines de ses composantes, ultra-propalestinienne par haine des Juifs et, par d’autres, par haine des Arabes, pour la colonisation juive de toute la Palestine…

Le complotisme pollue les esprits, et l’on se réclame d’une théorie qui nous ramène au procès de Galilée : finie la séparation entre positions idéologiques et faits. Vive les « faits alternatifs », chers au généticien stalinien Lyssenko, inventeur de la génétique « prolétarienne ». Il y avait eu davantage de public à l’investiture d’Obama qu’à celle de Trump ? Peu importe, le « fait » alternatif est qu’en réalité, il y en avait moins, puisque je vous le dis. Les glaces des Pôles fondent, les eaux montent, les villes en bord de mer sont menacées ? Les tenants des « faits alternatifs » disent que c’est faux, et Trump ordonne à l’administration de supprimer toute information sur le changement climatique : le changement climatique n’existe pas, puisque je vous le dis.

Des créationnistes entrent dans le cénacle des décideurs, et après le premier président noir, voici – cinquante ans après la victoire du mouvement mené par Martin Luther King ! – le Ku Klux Klan au cœur du pouvoir. En Suisse, des élus réclament la dépénalisation de la négation des génocides, tout en admirant des régimes ne connaissant aucune liberté d’expression.

Ainsi, l’extrême-droite a ouvertes grandes les vannes de la haine, de l’incohérence et de l’inhumanité, exploitant les faiblesses des perdants de la globalisation. Sachant que le pendant de tout cela dans le monde musulman est l’islamisme, et en Inde, en Birmanie, l’extrémisme hindouiste, bouddhiste (eh oui !). A chaque fois, l’unité dans la diversité du genre humain est niée, et la haine de l’« autre », réduit à une caricature, débouche tôt ou tard sur la violence organisée et le pogrom.

Une régression alimentée par la frustration