Politique fiscale : des privilèges en faveur des rentiers, par Denis Chagnolleau (févr. 2006)

Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°35, février-mars 2006.

Politique fiscale :
des privilèges en faveur des rentiers

Le pouvoir politique français est aux mains d’une élite qui cumule les fonctions politiques, administratives (haute fonction publique) et le pouvoir de l’argent (rentes). M. Chirac, président de la Répu­blique est un ancien énarque et haut fonctionnaire, a exercé des responsabilité politiques (deux fois premier ministre, maire de Pa­ris, plusieurs fois député,…) ; il est marié à madame Chaudron de Courcelle, représentante d’une famille française fortunée et paie l’ISF. De même, M. Bretton, ministre, a été dirigeant d’entreprises privées et publiques (Crédit Lyonnais, France Télécom) est soumis à l’ISF, comme messieurs Devedjian, Fabius,… On pourrait multi­plier les exemples.

Cette confusion entre le pouvoir de l’État, de la représentation po­litique et de la défense des intérêts financiers des grandes en­treprises privées, permet à cette élite de mener une politique en faveur de ses intérêts financiers, de ceux de leurs familles, clients et pairs,… Cette politique en faveur du rentier, capitaliste ou ac­tionnaire, comporte quatre volets : les privilèges fiscaux, les priva­tisations, la désinflation, la dette de l’État.

 La politique fiscale du gouvernement actuel en est le meilleur exemple de la faveur accordée au rentier. Le prélèvement de l’impôt sur le revenu est soumis à de multiples privilèges et exemptions qui vident de son sens le principe même de l’égalité des citoyens devant l’impôt voulue par les Pères de la Révolution française et rappelle les privilèges de l’Ancien Régime. Le mé­canisme du quotient familial, une exception française, consiste à alléger l’impôt des familles en proportion croissante de leurs revenus, les “niches fiscales” font de certains contribuables (dont les journalistes) de vrais privilégiés. Pour la réforme de 2007, 70 % des 3,5 milliards de réduction d’impôts prévues profiteront à 20 % des contribuables. Un smicard aura 80 € de baisse d’im­pôt, celui qui a un revenu de 20 000 € mensuels aura une baisse d’impôt de 10 000 € (Alternatives économiques, février 2006). Rappelons qu’en France, le revenu médian est d’environ 1 254 € mensuel et qu’un ménage est considéré comme riche à partir de revenus équivalents ou supérieurs à 4 325 € mensuels, soit 1 % de la population (chiffres de l’Insee, 2002). Précisons que la TVA représente 3 fois plus que l’impôt sur le revenu : soit 142,132 milliards d’€ en 2003. Or, celle-ci est payée par tous les con­sommateurs, même les SDF, et qu’elle pèse proportionnellement plus sur les revenus modestes que sur les revenus élevés. Cette politique fiscale favorise les rentiers et non ceux qui travaillent : la fiscalité du patrimoine est seulement de 3,2 % du PIB en France ! Contre 4,2 % au Royaume-Uni.

 Les privatisations permettent au rentier-actionnaire de faire main-basse sur les entreprises d’État rentables et d’augmenter l’accu­mulation capitaliste.

 Les politiques de désinflation permettent à ce même rentier de lui garantir la rentabilité de ses actions aux dépens des revenus du travail : le blocage des salaires évite la relance de l’inflation.

 Enfin, le déficit de l’État se creuse à cause des privilèges fiscaux accordés aux rentiers, les rentiers peuvent donc se garantir des revenus supplémentaires en prêtant de l’argent à l’État qui doit rembourser à ces derniers des intérêts dont les montants sont garantis par l’absence d’inflation. Le rentier est gagnant sur les trois tableaux.

Les changements de politiques économiques et sociales devront passer par une refonte totale de la fiscalité qui devra favoriser la redistribution de capitaux vers les revenus modestes, favoriser les revenus du travail, augmenter la fiscalité sur les revenus du capital et du patrimoine. Car, à l’exemple des pays scandinaves qui ont des prélèvements obligatoires supérieurs à 50% de leurs PIB, c’est dans les pays où les prélèvements obligatoires sont élevés que les écarts de fortunes et les taux de pauvreté sont les plus bas.
En France cette politique fiscale ne pourra être mise en place que si les salariés s’emparent de la question et pèsent sur le débat par une action citoyenne et collective…

Denis Chagnolleau

Attac 45