Réfugiés : la leçon de la Grèce à L’Europe

PAVLOS KAPANTAIS VENDREDI, 12 FÉVRIER, 2016 HUMANITÉ DIMANCHE

Pour accueillir les réfugiés, les habitants de Lesbos sont aux manettes. Mais ils ont été rejoints par des milliers de jeunes volontaires, certains arrivés depuis plusieurs mois, et qui offrent logement, nourriture, assistance médicale. Pendant ce temps, Bernard Cazeneuve, de passage, vante devant la presse les 90 experts envoyés par la France. Les journalistes grecs en rient encore. Reportage.

A peine débarqué, il attend le bus, devant l’aéropor t de Lesbos. John, 33 ans, vient d’Angleterre : officiellement il est « en vacances en Grèce ». En fait, comme des milliers de bénévoles venus de toute de la planète, il est ici pour aider les réfugiés. Des amis, venus aider « pendant l’été », l’ont convaincu de le faire à son tour. Infirmier en psychiatrie, il a une longue expérience des besoins des personnes en crise. Il restera ici « juste une semaine » et ensuite il retournera travailler. « Mes amis m’ont dit qu’une fois arrivé à Skala (Skala Sykamias, voir suite du texte – NDLR) je trouverai une structure à travers laquelle je pourrais aider. Il paraît qu’il y a près de 100 ONG actives là-bas. » En effet, les ONG pullulent un peu partout à Lesbos.

Le dernier décompte officiel, mijanvier, parle de 79 organisations. Mais ce chiffre ne prend pas en compte toutes les initiatives informelles.
En arrivant à Mitilini, capitale de l’île, ce qui frappe tout de suite, c’est le nombre de volontaires présents. Sur la place Sappho, au centre de la capitale, l’afflux de monde, surtout des jeunes, venus de toute l’Europe, des États-Unis, d’Australie et du Canada, est tel qu’on se croirait, en été, sur une île grecque remplie de touristes. Parmi la population locale, très nombreux sont ceux qui ont accueilli les réfugiés à bras ouverts, à tel point que l’île – et ses habitants – est désormais candidate pour le prix Nobel de la paix. D’autres, bien sûr, sont plus circonspects. Yannis, 45 ans, est chauffeur de taxi. L’arrivée massive des réfugiés ne l’étonne même plus. « Tant qu’il y aura la guerre… »
On le sent quand même énervé. Mais ce qui le fascine, c’est l’afflux des volontaires. « Vous vous rendez compte ? Il y a plus de 150 organisations qui s’activent ici. Des milliers et des milliers de gens qui sont ici pour aider ceux qui arrivent. Et ils aident beaucoup. Sans eux il y aurait dix fois plus de morts… » Il veut pourtant rester cynique : « Ils sont tous rémunérés, je le sais. » Il n’en dira pas plus mais il est clair qu’il y croit dur comme fer ! « En tout cas, on n’a jamais bossé autant sur l’île pendant l’hiver. »

STRUCTURES DE SOLIDARITÉ


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RÉFUGIÉS EN GRÈCE " L’EUROPE DOIT CRÉER UN COULOIR HUMANITAIRE"

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR PAVLOS KAPANTAIS
VENDREDI, 12 FÉVRIER, 2016 HUMANITÉ DIMANCHE

Fondateur de l’antenne grecque de Médecins du monde, le ministre grec, gynécologue de formation, a soigné des déplacés pendant plus de vingt ans en Grèce comme dans des zones de guerre planétaires. Chargé de l’immigration, il refuse la situation faite aux réfugiés et demande à l’europe de réunir les conditions pour les mettre hors de danger. Mais la Commission européenne préfère menacer la Grèce d’une exclusion temporaire de l’espace Schengen si... elle continuait à "mal" gérer ses frontières.

Ioannis Mouzalas, vice-ministre grec de l’Intérieur en charge de l’immigration, entre dans son bureau visiblement fatigué. Pourtant, son sourire reste affable et derrière ses lunettes ses yeux pétillent avec une malice de jeune enfant. Il s’assied et commence l’entretien.

HD. Quelles sont les difficultés quotidiennes que vous rencontrez dans la gestion des réfugiés ?

IOANNIS MOUZALAS.
Le problème majeur est qu’il y a un flux immense d’immigrés et de réfugiés à gérer qui échappent à notre contrôle. Nous sommes confrontés à la plus grande marée humaine depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et nous ne pouvons ni réellement prévoir ni gérer convenablement les problèmes qui surviennent. Toute augmentation, ou même diminution, remet en cause toute solution proposée.
Cela crée un quotidien très difficile pour tous ceux qui essaient d’aider et de gérer humainement le phénomène. Notre position est claire : il est impossible de trouver une solution qui résistera à l’épreuve du temps tant qu’on ne contrôlera pas ce flux... Le seul endroit où cela peut être fait est sur les côtes de la Turquie. Attention : je ne dis pas cela pour désigner la Turquie comme coupable de la crise des réfugiés, et ce n’est en aucun cas un délire nationaliste, ni un désir de confrontation entre nos deux pays, bien au contraire. La Turquie a publiquement déclaré sa volonté politique de faire baisser le flux de réfugiés et de migrants. En tant que ministre, je considère cela comme une vérité. Malgré cela, même pendant l’hiver, quelle que soit la température, qu’il pleuve ou qu’il neige, nous voyons que les arrivées en Grèce ne diminuent pas.
Nous restons aux alentours de 3 000 personnes par jour. Ce qui démontre que notre voisin n’arrive malheureusement pas à matérialiser sa volonté politique tout seul. Par conséquent, le rôle de l’Europe, c’est de l’aider pour y parvenir. Et encore une fois j’insiste : dire que le flux doit être géré en Turquie est un point de vue objectif : tous les réfugiés, et tous les migrants, arrivent sur les îles grecques via la Turquie. Personne ne vient d’autre part.
Et, au-delà des stratégies pour gérer cette crise, la seule vraie solution permanente serait de faire en sorte que l’origine de cette crise disparaisse, et donc que cessent les guerres qui obligent ces gens à partir de chez eux. C’est aussi un effort que nous devons faire, tous ensemble. Mais focalisons-nous sur comment gérer la crise avec l’aide de la Turquie.

HD. Vous dites qu’il faut gérer le flux. Faut-il aussi l’endiguer ? Est-ce possible ? Cela ne prendrait-il pas des mois ?


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