Calais, les migrants et le Premier Ministre : un camp de concentration ouvert à l’expulsion

1 MARS 2016 PAR CLAUDE CALAME

Directeur d’études, Écoles des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Membre du Conseil scientifique d’ATTAC, de la LDH, d’Ensemble (Paris 11e), de SolidaritéS (Suisse) et du bureau de SOS-Asile (Lausanne)
75011 Paris - France

Au mépris d’une ordonnance du TA de Lille, la Préfète du Pas-de-Calais a ordonné la destruction du campement précaire regroupant migrantes et migrants autour de l’établissement concentrationnaire voulu par le Premier Ministre. De Calais à l’île de Lesbos, aux frontières extérieures et intérieures de l’UE, exilées et exilés sont les victimes de discriminations niant leur humanité même.

C’est donc fait. À l’écart de la ville de Calais, sur un terrain insalubre adossé à la rocade d’autoroute qui conduit d’un côté au port des ferries et de l’autre à la zone d’embarquement du tunnel sous la Manche, dans le voisinage immédiat des terrains pollués de l’entreprise de produits chimiques Tioxide, le Premier ministre, Manuel Valls, a fait entasser un centaine de conteneurs de métal blanc. Avec des point d’eau et des toilettes extérieures, sans cuisine, cet ensemble cellulaire de 125 boîtes en alu est destiné à « accueillir », dans des chambres à douze couchettes superposées, 1500 parmi les 6000 à 7000 exilées et exilés qui tentent désespérément de gagner l’Angleterre. Entouré d’une barrière métallique et placé sous la haute surveillance de la police, ce « centre d’accueil provisoire » (CAP) est inaccessible aux associatifs ; il n’est autre qu’un camp de concentration moderne, aseptisé, dont on peut sortir, certes, ne serait-ce que pour se nourrir ou être expulsé.

Pour les autres migrants, une partie d’entre eux a été dirigée dans d’aléatoires « centres d’accueil et d’orientation » (CAO) dispersés et improvisés sur tout le territoire de l’hexagone. Ces « centres de répit » ont pour but affiché de permettre à réfugiées et réfugiés de formuler une éventuelle demande d’asile et pour objectif inavoué de les inviter à quitter la France avant de recevoir un OQTF. Quant à l’autre partie, soit environ 3000 migrantes et migrants, leurs abris de fortune sont progressivement la proie des bulldozers. En effet, par décision préfectorale du 12 février 2016, toute la partie sud de la nouvelle « jungle » de Calais doit être évacuée avant le 1er mars. Mettant en doute la légalité de l’arrêté, le Tribunal administratif de Lille en a (très provisoirement) suspendu l’exécution [1]. En cause : la mosquée, une église, une école, une bibliothèque, une tente d’accueil pour les femmes et les enfants, menacées d’être rasées ; ces « lieux de vie » (« soigneusement aménagés et répondant à un besoin réel ») devraient être épargnés. Mais, au mépris de l’ordonnance des juges, en ce 29 février 2016, un jour avant le délai prévu par l’arrêté préfectoral, les bulldozers sont là et les CRS agissent, détruisant, incendiant et molestant migrantes et migrants. La préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, allègue que l’État désormais offre à chaque migrant « une solution humanitaire »… Pour interdire l’accès des exilés à l’autoroute, les destructions avaient d’ailleurs déjà commencé au début février : une église et une mosquée ont été rasées à cette occasion [2]. Le no man’s land ainsi créé permet à la police de surveiller les mouvements des migrants et de les asperger de gaz lacrymogènes ; il faut entraver leurs tentatives de rejoindre le port ou l’entrée du tunnel, voire l’Angleterre au risque de leur vie, en général avec l’aide de passeurs qui ont profité de ces obstacles répressifs pour tripler leurs tarifs.


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