Le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada franchit une nouvelle étape

24 JANVIER 2017 PAR LUDOVIC LAMANT

Le CETA vient de franchir une nouvelle étape mardi au parlement européen, dans l’attente du vote définitif en plénière, désormais attendu pour mi-février. Pour nombre d’élus, ce traité est devenu la meilleure des réponses au « désengagement » de Donald Trump.

Bruxelles (Belgique), envoyé spécial.

 À front renversé. Alors que Donald Trump a signé lundi à Washington l’acte de retrait des États-Unis du Traité transpacifique (TPP), négocié pendant des années par l’administration Obama, des eurodéputés ont envoyé mardi matin à Bruxelles un message politique diamétralement opposé. Les élus spécialistes des questions commerciales ont donné leur feu vert au traité de libre-échange entre l’UE et le Canada (CETA), dernière étape avant son éventuelle – et désormais probable – ratification en séance plénière à Strasbourg (prévue pour mi-février).

Les députés membres de la commission « commerce » ont approuvé ce sulfureux projet de traité avec une majorité très nette : 25 pour, 15 contre et une abstention. La droite du PPE (dont LR) a voté pour, avec l’appui notamment des libéraux (dont l’UDI-Modem – à l’exception de Marielle de Sarnez, qui s’est abstenue). Les écologistes et les élus de la GUE (gauche unitaire européenne, dont le Front de gauche), tout comme les élus FN, s’y sont opposés. Quant aux sociaux-démocrates européens, le groupe s’est divisé, certains étant favorables au texte (dont une majorité d’Allemands), d’autres opposés (dont les socialistes français et belges).

« La validation de cet avis n’est hélas pas une surprise au regard de la composition de cette commission : la majorité de ses membres comptent parmi les plus fervents défenseurs de la libéralisation maximale des échanges et des investissements, dans laquelle les normes sociales, sanitaires et environnementales sont exclusivement perçues comme des obstacles au commerce », dénonce dans un communiqué le collectif Stop TAFTA/CETA, qui vient par ailleurs d’organiser le 21 janvier une journée de mobilisations anti-CETA, en France et en Belgique notamment.

Le CETA s’est trouvé au cœur d’un bras de fer très médiatisé en octobre 2016 entre Paul Magnette, le président de la région belge de Wallonie, et la commission de Bruxelles. Les 28 capitales avaient fini par ratifier le texte, au soulagement du premier ministre canadien Justin Trudeau, chaud partisan du texte. Désormais, c’est au parlement européen de se prononcer. L’institution détient un droit de veto sur les traités commerciaux depuis l’entrée en vigueur en 2009 du traité de Lisbonne. En 2012, elle avait jeté à la poubelle un autre projet de traité commercial, l’ACTA. Cette fois, les équilibres semblent différents.

« On n’a pas besoin d’un agenda transatlantique à la Trump, mais à la Trudeau », a déclaré Marietje Schaake, une élue libérale néerlandaise, à l’unisson de nombre de ses collègues. Pour ses partisans, le CETA est la meilleure des réponses au « désengagement » de Trump, parce que ce n’est pas un simple accord de libre-échange classique, mais un texte, à leurs yeux, plus ambitieux et protecteur. À l’autre bout du spectre politique, le frontiste Édouard Ferrand, lui, a dénoncé un texte « à contre-courant d’un nouveau souffle qui vient du Nouveau Continent », avant de faire l’éloge de la « vision très claire de Trump, qui a l’avantage de bien comprendre ce qu’il se passe, et les intérêts des États-Unis ». Opposant lui aussi au texte, l’écologiste Yannick Jadot s’en est pris aux partisans du CETA, « fossoyeurs d’un projet européen durable [qui] n’ont tiré aucune leçon du Brexit et de la victoire de Trump, pour continuer à dérouler le tapis rouge aux extrêmes droites et nationalismes moisis ».

Le député allemand de Die Linke Helmut Scholz, anti-CETA lui aussi, a affirmé lors des débats préalables au vote, lundi après-midi, que « Bombardier, grande entreprise canadienne, s’apprêtait à détruire des milliers d’emplois en Allemagne et en Europe centrale » après la ratification du traité. Ce à quoi l’eurodéputé français Franck Proust (LR) a répondu : « Oui, vous avez raison d’être inquiet pour Bombardier, mais Alstom, une grande entreprise européenne, va pouvoir désormais répondre à des appels d’offres pour gagner des marchés publics au Canada. » Stoïque, la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, est intervenue pour défendre « son » texte : « Cela a toujours été le cas dans l’histoire de la mondialisation. Des emplois disparaissent, d’autres apparaissent. »

De son côté, la conservatrice française Tokia Saïfi, favorable au texte, a exhorté la commission de Bruxelles à faire, une fois de plus, « davantage de pédagogie » auprès des citoyens. « Il y avait des manifestations samedi [contre le CETA, en France notamment – ndlr], et certains montraient nos photos et nos noms, pour dénoncer les eurodéputés qui s’apprêtent à voter pour le CETA. On a franchi un cap, là », s’est inquiétée l’ancienne secrétaire d’État. La remarque lui a attiré les foudres de Lola Sanchez, une eurodéputée du parti espagnol Podemos, qui a plaidé pour « ne pas criminaliser les mobilisations » et, au contraire, « ouvrir l’institution » aux mouvements sociaux.

Certains sociaux-démocrates ont choisi de s’abstenir ou de voter contre le texte, estimant qu’il existait encore des marges pour l’améliorer nettement. « C’est un traité qui n’est pas abouti, qui n’a rien d’un texte du XXIe siècle », juge la socialiste belge Marie Arena (du même parti que Paul Magnette). La plupart d’entre eux reconnaissent des améliorations au fil des débats – par exemple la réforme du mécanisme d’arbitrage qui permet à des multinationales d’attaquer un État en justice devant des cours ad hoc. Mais des zones d’ombre persistent.

Le chapitre portant sur la « coopération réglementaire » a focalisé une partie de l’attention, lors du débat lundi (Mediapart en a déjà parlé en 2015, dans un article portant sur le Tafta, le traité de libre-échange avec les États-Unis). En résumé, il s’agit de mettre en place un « forum » d’experts, afin de renforcer la coopération des autorités de régulation, en Europe comme au Canada, au fil des années, sans avoir besoin de rouvrir les négociations du CETA en tant que telles. Mais les ONG sont persuadées que cette structure renforcera l’influence des lobbies de l’industrie, au cœur des processus de décision. Quant aux eurodéputés, certains continuent de redouter que ce mécanisme empiète sur leur travail de législateur.

Apparemment fatigué par ces débats qui n’en finissent pas sur le CETA, le conservateur suédois Christofer Fjellner a fait preuve, lundi, d’un humour tout particulier : le Scandinave, très favorable au libre-échange comme la plupart de ses compatriotes, a proposé d’« offrir une bouteille de champagne » à celui ou celle de ses collègues qui oserait rouvrir un nouveau débat sur le CETA… Ces sarcasmes faisaient référence à une tentative des Verts, soutenue par la GUE et quelques sociaux-démocrates, de repousser de cinq mois le vote en séance plénière. Mardi, leur amendement a été rejeté.

Le vote devrait donc avoir lieu à Strasbourg aux alentours du 15 février. Justin Trudeau, déjà présent à Bruxelles à l’automne, pourrait faire le déplacement en Alsace pour assister au vote. Les débats et le vote en plénière pourraient toutefois s’avérer un peu plus difficiles qu’au sein de la commission commerce, où les députés sont globalement plus favorables au libre-échange que l’ensemble de leurs collègues. D’autres commissions internes au parlement européen ont adopté des « opinions » sur le CETA ces dernières semaines, dont celle consacrée à l’emploi, qui a rejeté, elle, le traité.

En cas de feu vert à Strasbourg, le CETA pourrait entrer en vigueur, de manière provisoire, dès avril 2017. Considéré comme un traité « mixte », il devra ensuite être voté par l’ensemble des parlements nationaux – et parfois, régionaux – au sein des 28, pour rendre son approbation définitive. Cette phase de ratification devait durer plusieurs années.