Des banques françaises complices de la colonisation en Palestine

Axa et des banques françaises participent à la colonisation israélienne

29 mars 2017 Par René Backmann, dans Mediapart

Huit organisations révèlent dans un rapport que quatre banques et une compagnie d’assurances françaises participent au capital d’entreprises israéliennes impliquées dans la colonisation de la Cisjordanie. Elles violent le droit international.

Cinq grands groupes financiers français – quatre banques et une compagnie d’assurances – entretiennent des liaisons dangereuses avec la colonisation israélienne des territoires palestiniens occupés. C’est ce que révèle un rapport que publient le 29 mars la Ligue des droits de l’homme (LDH), la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), la CGT, l’Union syndicale Solidaires, le Comité catholique contre la faim et le développement (CCFD), l’ONG palestinienne Al-Haq,l’Association France-Palestine solidarité (AFPS) et l’Association Fair Finance France.

Selon ce document de 28 pages, la Société générale, la BNP-Paribas, le Crédit agricole (via sa filiale LCL), la BPCE (via sa filiale Natixis) et la compagnie d’assurances Axa, détiennent des participations, directes ou indirectes, dans des banques ou des entreprises israéliennes impliquées dans la colonisation des territoires palestiniens occupés, illégale au regard du droit international. Pour dévoiler ces liens, les auteurs du rapport se sont appuyés sur l’analyse conduite de mars à juin 2016 par le cabinet néerlandais Profundo, spécialiste du secteur financier et de la responsabilité sociale des entreprises.

Cette analyse, fondée sur l’étude des publications financières des entreprises, l’exploitation des banques de données spécialisées, recoupées avec des observations de terrain, fait apparaître qu’au moins cinq banques israéliennes – Bank Hapoalim, Bank Leumi, First International Bank of Israël, Israël Discount Bank et Mizrahi Tefahot Bank – fournissent l’infrastructure financière nécessaire « aux activités des agences gouvernementales, des entreprises et des individus dans les colonies ».

Elles fournissent notamment des prêts hypothécaires aux particuliers et des prêts aux entreprises, pour des projets de construction. Elles fournissent aussi des services financiers aux autorités des colonies, aux entreprises et aux citoyens israéliens qui y sont installés. Certaines d’entre elles ont des agences dans les colonies les plus peuplées comme Ariel, Beitar Illit, Ma’ale Adoumim, Modi’in Illit, Pisgat Ze’ev, Gilo et Ramot.
À côté de ces banques, d’autres entreprises israéliennes, comme la compagnie Israel Electric Corporation (IEC), qui alimente les colonies en électricité, les firmes Bezeq et Cellcom, qui fournissent les télécommunications, l’entreprise Elbit Systems, spécialiste des systèmes de surveillance, la compagnie de BTP Shikun & Binui ou le pétrolier Delek, qui entretient des stations-service dans au moins quatre colonies, jouent un rôle majeur dans le développement de la colonisation. Elles ont activement contribué à la stratégie d’intensification de la colonisation, mise en œuvre par tous les gouvernements israéliens depuis la signature des accords d’Oslo en 1993. Stratégie qui a porté le nombre de colons en un quart de siècle de 268 000 à plus de 620 000.

C’est en étudiant les documents financiers de ces entreprises israéliennes et ceux des groupes financiers français que les auteurs du rapport ont établi des « liaisons dangereuses ». Selon ces documents, les quatre banques françaises et l’assureur Axa « gèrent des participations financières ou détiennent des actions de banques et d’entreprises israéliennes qui contribuent au financement des colonies ». C’est le Groupe Crédit agricole qui entretient les relations les plus intenses avec les neuf firmes israéliennes étudiées. LCL, la filiale du Crédit agricole, est actionnaire de chacune d’entre elles. Natixis, filiale de la BPCE, détient des actions de six entreprises israéliennes impliquées, la Société générale et Axa, de quatre d’entre elles et la BNP-Paribas, de deux de ces entreprises.

Les contradictions des banques pointées du doigt

Mais la complicité des groupes français ne se limite pas à ce discret actionnariat. Elle peut prendre une forme plus active. En 2004, « BNP-Paribas, Société générale, LCL et Natixis, rassemblées au sein d’un consortium de banques internationales piloté par Deutsche Bank, ont signé quatre accords de prêts d’une valeur de 288 millions d’euros au profit d’Israel Electric Corporation. Ces prêts, dont l’échéance est fixée à 2020, financent un projet d’extension de deux centrales électriques au gaz de l’IEC dont les travaux sont effectués par l’entreprise française Alstom en partenariat avec l’entreprise allemande Siemens ».

Pour les auteurs du rapport, le lien entre les banques françaises et IEC est problématique. Non seulement l’entreprise israélienne fournit les colonies en électricité mais elle a « été accusée à plusieurs reprises d’imposer des coupures totales d’électricité dans des villes palestiniennes de Cisjordanie, telles que Naplouse ou Jénine, mais également à Gaza. Coupures qui peuvent s’apparenter à des punitions collectives et qui sont ainsi interdites par le droit international humanitaire ».

En participant à ce projet, notent les auteurs du rapport, les quatre banques ont « manifestement manqué aux responsabilités qui leur incombent d’après les principes directeurs de l’OCDE et des Nations unies » selon lesquels il leur revient de « mettre un terme aux relations financières avec les entités impliquées dans des atteintes aux droits de l’homme ».
Moralement (et politiquement) discutable, cette discrète collaboration française à la stratégie israélienne de colonisation est aussi en contradiction avec les engagements que les cinq groupes concernés indiquent avoir pris en matière de droits humains. Et surtout, elle constitue une violation délibérée et répétée du droit international. Selon la IVe Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, « le transfert de civils dans le territoire occupé par la puissance occupante est interdit ».

C’est aussi ce que rappelait la résolution 2334 adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité de l’ONU, avec – fait exceptionnel – l’aval des États-Unis qui n’ont pas opposé leur veto : « La colonisation des territoires palestiniens occupés depuis 1967 n’a aucune validité légale, constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la mise en œuvre de la solution à deux États et d’une paix complète, juste et durable. » La même résolution demandait, en outre, « à tous les États de faire une distinction dans leurs échanges, en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».

Alarmées par la gravité de la situation dans les territoires occupés, et soucieuses de se conformer au droit international, des institutions étrangères publiques et privées ont pris, depuis quelques années, la décision « de cesser tout investissement en cours ou futur dans les banques et entreprises israéliennes impliquées dans la colonisation ». En 2010, le fonds de pension global du gouvernement norvégien a ajouté les entreprises Shikun & Binui et Elbit Systems à sa liste d’exclusion. En 2013, le fonds de pension néerlandais PGGM a aussi inscrit les cinq banques israéliennes impliquées dans la colonisation à sa liste d’exclusion. En 2014, le fonds de pension luxembourgeois FDC a retiré ses investissements dans les mêmes banques, tandis que la banque danoise Danske Bank et la Deutsche Bank Ethical Fund ont placé la banque Hapoalim sur une liste noire.

Ces désengagements ont-ils échappé aux responsables des groupes financiers français ? Aucun, pour l’heure, n’a jugé ses liens avec les entreprises israéliennes impliquées dans la colonisation en contradiction avec ses engagements éthiques ou avec le droit international. Le gouvernement français, il est vrai, n’a pas fait preuve d’une rigueur exemplaire dans cette affaire. Il s’est montré, ces dernières années, d’une complaisance spectaculaire face à Israël.

La France a voté la résolution 2334. Ses dirigeants doivent (ou devraient ?) savoir que, selon la Cour internationale de justice, « les États ont pour obligation de ne pas reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave du droit international ». La France est tenue, comme tous les autres membres de l’Union européenne, de respecter la « politique de différenciation » de l’UE et en particulier les « Lignes directrices » adoptées en 2013 qui rendent les entités israéliennes établies dans les territoires occupés par Israël depuis 1967 « inéligibles aux subventions, prix, ou instruments financiers de l’Union européenne ». Mais Paris a ignoré ou toléré la complicité des groupes français avec l’entreprise de colonisation.
L’idée d’exercer, à travers les entreprises étrangères présentes dans les colonies, des pressions pacifiques sur le gouvernement israélien fait cependant son chemin au sein de la communauté internationale. Vendredi dernier à Genève, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté, par 36 voix contre 2 (dont les États-Unis) et neuf abstentions, une résolution critiquant la colonisation et une motion – âprement combattue par Israël – qui appelle les États et les entreprises étrangères à éviter tout lien, direct ou indirect, avec les colonies, à bannir toute aide à Israël qui pourrait être liée aux colonies et à s’interdire tout commerce avec les colonies.

Reprenant à leur compte les « Lignes directrices » européennes de 2013, et les « Principes directeurs » de l’OCDE, révisés en 2011, les auteurs du rapport demandent dans leurs « recommandations » aux banques et assurances françaises de « mettre fin sans tarder à tout soutien financier qui facilite l’existence et l’extension des colonies israéliennes » et insistent sur la nécessité de ne pas renouveler le prêt accordé à IEC. Ils appellent aussi l’ensemble des groupes bancaires français à « appliquer dans le futur un devoir de vigilance accru en matière de droits humains ».

Au gouvernement français, il est demandé « instamment de respecter ses engagements internationaux, notamment son obligation de protéger les droits humains et de s’assurer que les acteurs non étatiques qu’il est en mesure de réglementer […] ne nuisent pas à la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels ». Plus largement, les auteurs du rapport appellent le gouvernement français à mobiliser le Quai d’Orsay pour « déconseiller aux entreprises de tous les secteurs d’investir dans les colonies israéliennes ». Au vu de la piètre résolution manifestée par Paris dans ce domaine, les colonisateurs israéliens et leurs complices français peuvent dormir tranquilles.