LA RÉVOLTE HUMANITAIRE DES CITOYENS ORDINAIRES

Par Véronique Brocard, juin 2018

Depuis le mois de septembre, indignés par la politique migratoire de leur gouvernement, plus de 47 000 Belges, sans distinction d’âge, de profession ou de revenus, transportent, protègent et hébergent chez eux des migrants. Ce ne sont pas 10, pas 1 000 mais 100 000 nuits au chaud qu’ils ont offertes à ceux qu’ils nomment leurs « invités ». Et ils trouvent ça normal, sans jamais faire le lien avec les attentats.

Deux petites filles rient sur une balançoire. Des jeunes à peine majeurs disputent des matchs de foot avec force cris et acclamations. D’autres entretiennent leurs muscles sur les agrès en fer. Dans cet espace vert, situé à quelques centaines de mètres de la gare du Nord de Bruxelles, il règne une atmosphère de printemps qui sent l’herbe fraîche. Quelques groupes d’hommes sont assis à côté de leurs sacs à dos, discutent et fument tranquillement. Tout est calme dans le parc Maximilien qui n’est plus un parc comme les autres.

Depuis des mois, il est le point de ralliement des migrants, des réfugiés, des sans-papiers venus pour beaucoup d’Érythrée, du Soudan, d’Éthiopie, mais aussi de Syrie, de Libye, d’Irak. Il est aussi le lieu emblématique d’une lame de fond humanitaire qui s’est levée l’été dernier sous l’impulsion de citoyens ordinaires, jeunes, vieux, couples avec ou sans enfants, femmes seules, étudiants en colocation, salariés, retraités, riches, pas riches… qui ne supportaient plus de les voir traqués et abandonnés par les pouvoirs publics.

Aujourd’hui plus de 47 000 Belges, de Bruxelles et d’ailleurs, proclament que ces étrangers, migrants, sans-papiers ou demandeurs d’asile sont les bienvenus chez eux, qu’aucun ne dormira dehors, n’aura pas à manger, ne sera pas soigné, habillé, aidé.

Ces citoyens ordinaires, Yoon, Jennifer, Thomas, Naï Ké, Julie, Bieke, Sandrine, Josiane, Rozenn, Lise, Françoise, Frédéric et tous les autres, ne se posent pas de questions, ils font. Et ils font bien : en huit mois, avec la seule force de leur générosité, ils ont offert 100 000 nuitées à leurs « amigrants ». Une prouesse dont ils ne se vantent pas. Parfois, avec un brin de fierté, ils se réjouissent que « tant de gens, et en si peu de temps, aient franchi le pas ». Impossible n’est pas belge !

« En 2015, devant l’afflux des migrants et la politique des gouvernements belges qui fermaient des places d’accueil, un collectif citoyen s’est organisé pour leur venir en aide. La plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés est lancée sur Facebook », raconte Mehdi, le porte-parole du mouvement dont l’énergie et la conviction déplacent des montagnes. « Des centaines sont venus dormir dans le parc Maximilien, en face de l’Office des étrangers qui met des semaines à les recevoir. Dans l’urgence, on a dressé des tentes, préparé des repas, organisé un soutien psychologique et scolaire. Dans le parc, les rafles se multipliaient, la violence aussi. Cela n’était plus tenable. Fin août, on a lancé le pari d’héberger tout le monde. »