À Gaza, c’est l’avenir des Palestiniens qui s’invente

Un entretien exclusif avec Leïla Shahid
Publié sur le site d’Orient XXI le 17 juillet 2018

Leïla Shahid
Déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France de 1994 à novembre 2005, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg de 2005 à 2015.

C’est une conversation à cœur ouvert qu’Orient XXI a eue avec Leïla Shahid, ex-ambassadrice de la Palestine à Paris et à Bruxelles auprès de l’Union européenne. Elle y aborde sans langue de bois et sans tabous l’intifada pacifique de Gaza, le processus d’Oslo, la colonisation de la « Jérusalem métropolitaine », l’affaiblissement de l’establishment palestinien et le péril que représente l’infléchissement des positions arabes. Elle replace le conflit avec Israël dans le temps long et rappelle avec force que la question des réfugiés demeure centrale.

Frontière Gaza-Israël, 15 mai 2018. L’une des premières manifestations pour le droit au retour à l’occasion du 70e anniversaire de la Nakba.
Ashraf Amra/APA/Zuma/Alamy

Nada Yafi. — Vous avez choisi d’entamer cet entretien à un moment particulier, celui de la journée mondiale des réfugiés, le 21 juin. Cette question est- elle essentielle pour vous aujourd’hui ? Est- elle la raison de l’explosion à Gaza à propos de laquelle vous vous êtes beaucoup exprimée dans les médias ?

Leïla Shahid. — Cette question est au cœur de la question de Palestine. Je ne peux pas parler de « conflit israélo-palestinien » : un conflit se déroule entre deux protagonistes. Or, nous ne sommes pas un simple « protagoniste », nous sommes un peuple face à une puissance occupante colonialiste depuis 70 ans. La « question de Palestine » pour reprendre les termes mêmes de l’ONU, n’a pas commencé en 1967, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire. Elle a commencé en 1948 le jour où le projet d’un État national juif en Palestine est venu remplacer l’État que les Britanniques étaient censés préparer à l’indépendance, comme la France avait préparé le Liban ou la Syrie à l’indépendance par le biais de mandats. Le Royaume-Uni n’avait pas encore de mandat sur la Palestine en 1917 lorsqu’il a produit la déclaration Balfour, une lettre adressée à Lord Weizmann qui préconisait « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les juifs » avec un bémol scandaleux : « étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ».

Comment aurait-il pu en être autrement ? À ce moment-là, moins de 10 % de la population de la Palestine était juive. On leur donnait la prééminence sur les 90 % de la population non juive. Comme le dit Monique Chemillier-Gendreau qui est la plus grande juriste française sur cette question, c’est une décision totalement illégitime, car la souveraineté d’un pays appartient toujours au peuple. La souveraineté de la France est au peuple français, les Russes ne peuvent pas dire : demain nous allons décider que la France sera annexée à la Belgique. Le Liban a une souveraineté ; même si demain la Syrie occupait le Liban, personne ne reconnaîtrait cet état de fait, puisque c’est au peuple libanais que revient la souveraineté et non à un régime ou à un gouvernement. Et pourtant, dans le cas de la Palestine, personne n’a consulté le peuple palestinien pour ce « foyer national juif » qui est devenu l’État d’Israël en 1948.

On ne va pas revenir sur la série d’événements qui ont ponctué l’histoire de la Palestine entre 1917 et 1947 ce serait trop long, mais il est essentiel de remettre les choses dans leur contexte historique. La question de Palestine commence avec la dépossession de la terre par le mouvement sioniste (on ne peut pas dire israélien parce qu’Israël n’existait pas encore) et ce, par un nettoyage ethnique planifié, voulu dans l’optique d’une transformation d’un pays à majorité arabe habité par des chrétiens, des musulmans et des juifs non ...