Le retour de Bolkestein : mainmise de la Commission européenne sur les services

lundi 17 décembre 2018, par Attac France, Corporate Europe Observatory


Alors que de nombreuses collectivités territoriales à travers l’Europe expérimentent, innovent et tentent, pour certaines d’entre elles, de desserrer l’étau néolibéral et productiviste, la commission semble vouloir réduire leurs capacités à néant. Un projet de réforme de la directive Bolkestein, en cours de négociation à Bruxelles, pourrait en effet avoir des incidences graves et fortement préjudiciables sur le processus décisionnel des assemblées régionales et des conseils municipaux dans toute l’Europe
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Nous publions ici la traduction d’un article de Corporate Europe Observatory et nous invitons les collectivités territoriales et les organisations à signer cette courte déclaration (en utilisant ce formulaire en anglais).

Questions & Réponses sur la proposition visant à doter la Commission de nouveaux pouvoirs d’annulation de décisions locales

Les institutions européennes sont en train de négocier de nouvelles règles relatives au marché unique qui pourraient avoir des incidences graves et fortement préjudiciables sur le processus décisionnel des parlements, des assemblées régionales et des conseils municipaux dans toute l’Europe. La Commission se propose d’appliquer la directive sur les services - alias la directive Bolkestein - d’une manière inédite et extrêmement interventionniste. En bref, la Commission revendique le droit d’approuver ou de rejeter une nouvelle législation ainsi que d’autres mesures visées par la directive. Or, la directive porte sur un large éventail de sujets : les règlements de zonage (urbanisme), les mesures en matière d’accès au logement, l’approvisionnement énergétique, l’approvisionnement en eau, la gestion des déchets et bien plus.

La proposition de la Commission suscite de plus en plus de critiques, en particulier de la part des conseils municipaux, dont la capacité d’action pourrait être sérieusement limitée dans de nombreux domaines si la proposition venait à être adoptée. Faute d’avoir été correctement informés des enjeux, nombre d’entre eux découvrent tardivement que même les communes devront demander l’autorisation de la Commission avant d’adopter une mesure concernant les services. Le conseil municipal d’Amsterdam a adopté à l’unanimité une résolution qui stipule que la proposition « nuit à l’autonomie des collectivités locales et constitue de ce fait une menace pour la vie démocratique locale ». Partout en Europe, ce puissant message en faveur de la prise de décision locale commence à trouver un écho dans les villes. Un communiqué public contre la proposition a rapidement recueilli les signatures de 75 organisations européennes, dont des ONG, des mouvements sociaux et des partis politiques, et de nouvelles signatures ne cessent d’affluer au fil des jours.

Que signifie toute cette agitation ? Corporate Europe Observatory a dressé une liste de questions qui nous sont fréquemment posées en ce moment, afin d’essayer d’expliquer les enjeux de cette proposition et les préoccupations qu’elle suscite.

Comment la Commission envisage-t-elle de bloquer ou de modifier des décisions prises dans les États membres ?

La proposition concerne la « notification », c’est-à-dire le fait d’« informer » la Commission, ce qui semble plutôt anodin. Mais ce n’est pas si simple.

À l’heure actuelle, lorsqu’un État membre adopte une nouvelle mesure relevant de la directive sur les services, il est tenu d’en informer la Commission. Il peut le faire après l’adoption et l’entrée en vigueur de la mesure. La Commission vérifie ensuite si ses règles ont été respectées. Si elle estime qu’elles ne l’ont pas été, elle entame des discussions avec l’État membre en question afin de trouver une solution.

Cette procédure est en place depuis l’adoption de la directive Services en 2006. Toutefois, une pléthore de groupes de pression d’entreprises, ainsi que la Commission elle-même, déplorent l’inefficacité et la lenteur de cette approche.

Sur le modèle d’une proposition présentée par BusinessEurope, et poussée par les pressions considérables exercées par divers autres représentants du secteur privé, la Commission propose une nouvelle procédure, beaucoup plus intrusive. D’après cette nouvelle mouture, les pouvoirs publics - qu’il s’agisse de collectivités locales ou de ministères - seraient tenus d’informer la Commission des décisions prévues en la matière trois mois avant la date présumée de leur adoption par un vote. La Commission aurait ainsi la possibilité d’examiner le texte à l’avance et, dans l’hypothèse où elle découvrirait quelque chose qu’elle estimerait contraire à la directive sur les services, elle émettrait une « alerte ». Dans cette « alerte », la Commission indiquerait les modifications nécessaires pour obtenir son feu vert.
Si les recommandations de la Commission - qui peuvent aller du rejet en bloc à des ajustements mineurs - ne sont pas prises en compte et que le conseil municipal ou le parlement en question adopte la mesure, la Commission prendrait alors la décision d’exiger que « l’État membre concerné...abroge la mesure » (article 7).

Cela donne en substance à la Commission, et c’est très inquiétant, le pouvoir de casser les décisions d’assemblées élues dans un très grand nombre de domaines d’action, qui revêtent une importance décisive non seulement pour l’économie, mais aussi pour la plupart des sphères de la société. Qui plus est, cela modifierait radicalement le processus de prise de décision, en particulier au niveau des collectivités locales et des autorités régionales, portant ainsi gravement atteinte au principe et à la pratique de la démocratie locale dans l’UE

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Est-ce vraiment si grave ?