ONU : les Palestiniens changent de tactique

Alexandra Geneste, et Piotr Smolar © Le Monde 28 novembre 2014

Mahmoud Abbas veut porter la reconnaissance de l’Etat palestinien devant le Conseil de sécurité

Pour une fois, renverser la table : tel est le souhait des Palestiniens, souvent soupçonnés d’être des velléitaires en matière de diplomatie. Constatant l’échec depuis vingt ans des négociations bilatérales sous médiation américaine avec Israël, l’Autorité palestinienne menaçait de changer de cadre, en présentant au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution fixant une fin à l’occupation. Après un débat interne animé, il semblerait que le Fatah, la formation du président Mahmoud Abbas, ait choisi de passer à l’action, à moins d’un coup de théâtre. La réunion extraordinaire de la Ligue arabe, au Caire, samedi 29 novembre, en sera la première étape. Une date symbolique, deux ans après l’obtention du statut d’Etat observateur non-membre à l’ONU.
Une foule arpente les rues de Ramallah le 28 octobre,
portant un drapeau palestinien de 66m de long,
66ans après la création d’Israël.


" La décision a été prise il y a une semaine, lors du bureau politique du Fatah," explique Mohammed Chtayyeh, cadre du parti et ancien négociateur palestinien.

Le 29 novembre, nous annoncerons aux ministres arabes des affaires étrangères que nous déposerons une résolution dans les jours suivants. On aimerait que les Américains s’abstiennent, au minimum, pour qu’ils soient en accord avec leurs propres convictions. En cas de veto américain, on adhérera à toutes les agences relevant des Nations unies, à commencer par la Cour pénale internationale. "

Ce plan d’action diplomatique est redouté par les Israéliens, placés ainsi en position d’accusés. Il pourrait entraîner des poursuites judiciaires liées à la guerre dans la bande de Gaza cet été (2 100 morts palestiniens, essentiellement des civils) ou bien à des allégations de crimes en Cisjordanie. Il est formulé à un moment d’isolement d’Israël. Un vote symbolique des députés français, le 2 décembre, en faveur d’une reconnaissance de la Palestine, interviendrait après une démarche similaire de leurs homologues britanniques. La voix des deux pays est cruciale au Conseil de sécurité. Les critiques occidentales s’accumulent contre Benyamin Nétanyahou, engagé dans un durcissement identitaire et sécuritaire, lié à la fois à la vague récente de violences palestiniennes et à de possibles élections législatives anticipées. L’administration Obama elle-même cache mal son irritation, malgré la relation stratégique entre les deux pays.

" On sait que jusqu’au dernier moment, les Etats-Unis essaieront de faire une médiation, d’avancer une initiative, souligne Sabri Saïdam, conseiller du président Abbas pour les télécommunications. Mais la libération de quelques centaines de prisonniers et la suppression de quelques barrages routiers représenteraient une dose d’anesthésiant. Or il nous faut une opération chirurgicale. " Dans les rangs palestiniens, le débat a moins porté sur la pertinence de la stratégie diplomatique – portée par Mahmoud Abbas, qui fêtera ses 80 ans en mars, solidement agrippé au pouvoir malgré son impopularité – que sur son calendrier optimal.

Changer la méthode

Certains étaient partisans d’un report de quelques mois. Ils rappelaient l’entrée au Conseil de sécurité en 2015 de membres jugés favorables à la cause palestinienne, comme la Malaisie ou le Venezuela, qui permettrait plus aisément d’atteindre la barre des 9 voix sur 15. En outre, subsiste la volonté de ne pas pousser les Américains à un raidissement inutile, quitte à donner une énième chance à leur médiation. " On ne veut pas de clash avec eux. Or ils sont occupés par l’alliance contre l’Etat islamique, explique Azzam Abou Baker, membre du conseil pour les relations internationales du Fatah. Ils ne souhaitent pas que les Palestiniens aillent devant le Conseil de sécurité car cela les obligerait à utiliser leur veto et leur compliquerait la tâche avec leurs alliés arabes régionaux. "

Au-delà du calendrier, une source diplomatique française souligne que la résolution finale reste incertaine et fait l’objet de tractations. C’est surtout l’élaboration d’un calendrier de fin de l’occupation israélienne, pour un retour aux frontières d’avant 1967, qui pose problème. La date butoir, novembre 2016, demandée par les Palestiniens braquerait les Américains. Elle se heurte aussi à la réalité sur le terrain : l’extension continue des colonies juives en Cisjordanie, en violation du droit international, qui complique toujours plus une solution négociée à deux Etats.

La France mène en coulisses à l’ONU des négociations avec ses partenaires européens, allemand et britannique, en vue de dégager un projet de résolution alternatif. Devant l’échec de la médiation américaine en avril, les Français estiment qu’il est nécessaire de " changer la méthode ". Leur idée ? Organiser une conférence internationale, donner au Conseil de sécurité " un rôle important ", favoriser " une démarche incontestable, collective et inclusive ". Selon une source diplomatique, les Américains seraient prêts à considérer, " prudemment ", un passage par le Conseil de sécurité. Cela leur permettrait de " partager les risques, y compris sur le plan intérieur, et ce faisant, de partager les responsabilités jusqu’à un certain point ", souligne-t-on.