Echec de la résolution palestinienne à l’ONU sur un accord de paix avec Israël

Par Alexandra Geneste (New York (Nations Unies) correspondante) et Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Le Monde, 18-12 et 31-12 2014

Après plusieurs jours de tractations diplomatiques intenses et des mois de tergiversations, les Palestiniens sont passés à l’acte. Ils ont soumis au Conseil de sécurité des Nations unies, mercredi 17 décembre, un projet de résolution fixant les paramètres en vue d’une « paix globale, juste et durable » avec Israël et la coexistence pacifique de « deux Etats indépendants, démocratiques et prospères ». Le texte, présenté par la Jordanie – seul pays arabe siégeant au Conseil –, prévoit deux échéances contraignantes : un an pour conclure les négociations avec Israël, trois ans pour la fin de l’occupation en Cisjordanie, en 2017. Cette initiative, annoncée de longue date par l’Autorité palestinienne, survient alors que la France, avec l’appui de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, essaie de faire émerger une résolution de consensus, susceptible d’éviter un veto américain.

Les paramètres prévus par le texte palestinien étaient attendus : le retour aux frontières de 1967, avant la guerre des Six-Jours, avec des échanges territoriaux « limités » et « équivalents » ; des accords sécuritaires, « y compris par la présence d’un parti tiers », en vue d’un « retrait complet et par étapes des forces de sécurité israéliennes » d’ici 2017 ; le choix de Jérusalem comme capitale des deux Etats ; une solution « juste » au problème des réfugiés palestiniens.

Mais l’empressement de l’Autorité palestinienne à intervenir à l’ONU cette semaine a provoqué des tensions en coulisses à New York, parmi les délégations arabes, et dans les capitales européennes, pourtant favorables à une initiative dans cette enceinte. Elles ont conduit les dirigeants palestiniens à modérer leurs ardeurs, après avoir affiché leur volonté de soumettre le texte au vote dans les meilleurs délais. Le représentant de la Palestine aux Nations unies, Riyad Mansour, a finalement indiqué que l’objectif n’était pas de « fermer la porte à la poursuite des négociations » avec les Européens et les Américains.

« Révolution copernicienne »

Confrontée à une impopularité redoutable, la direction palestinienne était divisée sur la formulation et le calendrier du texte, entre pragmatiques et jusqu’au-boutistes. Seule la motivation était claire, à laquelle les élections législatives anticipées en Israël, prévues le 17 mars, ne changent rien : sortir du cadre classique des négociations bilatérales sous médiation américaine. Mardi soir, à Beit Jala, près de Bethléem, Mohammed Chtayyeh a effectué une mise au point sur ce thème devant la presse étrangère. Diplomate expérimenté, ce cadre du Fatah, la formation du président Mahmoud Abbas, a participé aux dernières négociations israélo-palestiniennes infructueuses en avril dernier, sous la médiation du secrétaire d’Etat John Kerry.

Ce soir-là, M. Chtayyeh assure que la résolution que s’apprêtent à déposer les Palestiniens est largement inspirée par les propositions françaises. Il annonce même que l’ambassadeur français aux Nations unies et le représentant palestinien mettront, le lendemain, la dernière main au texte final. Problème : les Français ne sont pas au courant. Paris continue de travailler sur son propre texte qui ne prévoit pas d’échéance pour la fin de l’occupation, seulement pour la fin de nouvelles négociations, dans deux ans. Pour la France, la « révolution copernicienne », selon l’expression d’un diplomate, qui consiste à définir les paramètres d’une solution négociée dans une résolution des Nations unies ne doit pas braquer Washington.

Or, les Etats-Unis ne veulent pas qu’Israël, son allié stratégique, soit mis sous pression par une initiative « unilatérale ». En revanche, si les Palestiniens décidaient de présenter à l’ONU une résolution « réfléchie », les Etats-Unis n’y verraient « aucun problème », a fait savoir John Kerry. Lui-même a tenté cette année de fixer, avec les deux parties, les paramètres de tout accord de paix. Ce qui pose problème à Washington est un calendrier contraignant, ainsi que la nécessaire définition d’Israël comme Etat juif.

« Démarche suicidaire »

Pour marquer son engagement en faveur d’un consensus, la France a organisé mercredi soir au siège de sa mission diplomatique à New York une réunion avec deux autres membres permanents du Conseil de sécurité – le Royaume-Uni et les Etats-Unis –, et invité la Jordanie à se joindre aux discussions. L’ambassadrice jordanienne Dina Kawar était, le matin même, l’une des premières représentantes arabes à se prononcer publiquement en faveur d’un texte de « compromis », précisant qu’il restait encore « bien du travail ».

Selon une source ayant assisté aux discussions du groupe arabe, l’initiative palestinienne est loin d’avoir fait l’unanimité. « La moitié des participants se sont montrés très sceptiques, la démarche des Palestiniens a été jugée par beaucoup suicidaire. » Un diplomate arabe regrettait ce « coup d’épée dans l’eau », susceptible de saborder « la dynamique instaurée par la France ». Toutefois, le scénario catastrophe d’un vote prématuré menant au veto lui semblait peu probable : « Plusieurs projets de résolution relatifs au dossier palestinien soumis au Conseil de sécurité ces dernières années dorment toujours dans les tiroirs », rappelle ce diplomate.

Il n’y avait guère d’espoir qu’elle aboutisse. La proposition de résolution palestinienne sur un accord de paix avec Israël a été définitivement enterrée, mardi 30 décembre, par le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU). Israël s’est dit « satisfait » du rejet de la proposition palestinienne.

Les quinze membres du Conseil ne se sont prononcés que tard, mardi, mais dès la fin d’après-midi les Etats-Unis, proche allié d’Israël, avaient annoncé qu’ils s’opposeraient à cette résolution proposant notamment un accord de paix d’ici à douze mois et le retrait israélien des territoires occupés avant la fin 2017.

« Cette résolution encourage les divisions et non un compromis », a déclaré l’ambassadrice américaine à l’ONU Samantha Power, ajoutant : « Ce texte n’évoque les inquiétudes que d’une seule partie. » Jeffrey Rathke, porte-parole du département d’Etat américain avait expliqué dès lundi que la résolution posait notamment « des délais arbitraires à un succès des négociations de paix et au retrait d’Israël de Cisjordanie ». Selon lui, « le risque est plus grand que les négociations soient entravées qu’elles ne soient couronnées de succès ».

« ESSAYER ENCORE. AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD »

Le texte a finalement recueilli 8 voix pour (dont celles de la France, la Chine et la Russie), 2 voix contre et 5 abstentions, dont celle du Royaume-Uni. La France a soutenu le texte « poussée par l’urgence à agir », a affirmé devant le Conseil son ambassadeur François Delattre, exprimant sa déception que les efforts pour négocier un texte susceptible de faire consensus aient échoué. « Mais nos efforts ne doivent pas s’arrêter là. Notre responsabilité est d’essayer encore. Avant qu’il ne soit trop tard », a-t-il ajouté.

Les Palestiniens avaient apporté lundi des modifications à leur projet qui prévoit Jérusalem-Est, occupée et annexée, comme capitale d’un Etat palestinien, le règlement de la question des prisonniers palestiniens, l’arrêt de la colonisation israélienne et rappelle le caractère illégal du mur de séparation.