DADVSI : Le passage en force orchestré par De Villepin et Donnedieu de Vabres

vendredi 23 juin 2006, par Webmestre

Petite chronologie d’un désastre démocratique ou comment le gouvernement refuse tout débat sur une loi qui va nous faire entrer de manière inquiétante dans l’ère du contrôle numérique

(selon EUCD.INFO)

- Vendredi 9 juin 2006. De Villepin refuse de recevoir le président de la Fondation pour le Logiciel Libre...

Sans réponse de Matignon à sa demande d’entretien avec le Premier Ministre, Richard Stallman, président de la Fondation pour le Logiciel Libre, s’est présenté vendredi 9 juin à 15h30 à l’Hôtel Matignon pour tenter d’être reçu, comme cela avait été annoncé à la presse et aux autorités. Il était porteur de la pétition EUCD.INFO (165 000 signatures, plus de 15 mêtres de long). Arrêté à plus de cent mètres de l’Hôtel Matignon par les forces de l’ordre, Richard Stallman s’est entretenu un instant avec le chef de la sécurité de Matignon qui lui a déclaré que le fait de ne pas le recevoir était « une décision qui avait été mûrement réfléchie par le cabinet ».

Le docteur Stallman, ancien chercheur au MIT, considéré comme le père du Logiciel Libre, à l’origine du projet GNU, projet classé Trésor du Monde par l’UNESCO, contributeur à des logiciels utilisés par des centaines de millions de personnes, a donc été refoulé sans même pouvoir rencontrer les journalistes de l’AFP, de Sigma Presse et du Monde Informatique qui l’attendaient devant l’Hôtel Matignon. En compagnie de Richard Stallman, les membres d’EUCD.INFO ont alors décidé de dérouler la pétition EUCD.INFO dans la rue sous les objectifs d’une caméra d’Arte et des appareils photos des journalistes qui l’accompagnaient.

Frédéric Couchet, président de la FSF France, a déclaré à l’issue de cette action : « En refusant de recevoir Richard Stallman alors que Bill Gates a été reçu comme un chef d’État par le Président de la République, le Premier Ministre montre son dédain pour le Logiciel Libre, les 165 000 particuliers et les centaines d’associations et d’entreprises qui ont signé la pétition. Il refuse l’éclairage qu’un scientifique mondialement reconnu aurait pu lui apporter sur le projet de loi DADVSI. Après le lancement en début de semaine d’une opération de promotion des produits Microsoft dans les écoles sous l’égide de l’Éducation Nationale, il est vrai que nous aurions dû nous y attendre. La République de Microsoft est en marche. » Richard Stallman s’est lui étonné d’être « interpellé si loin de l’édifice ». Interrogé sur la raison qui a selon lui poussé Matignon à réagir de la sorte, il a répondu : « Ils avaient visiblement peur que nous nous approchions de leur Palais. Pourquoi ? Peut-être car le mensonge a peur de la vérité. »

Pour sa part, Christophe Espern, co-fondateur d’EUCD.INFO, a expliqué : « Tout se passe comme si Matignon attendait que la Coupe du Monde batte son plein pour convoquer la commission mixte paritaire (CMP) afin que le texte soit adopté par des députés UMP aux ordres. En attendant, Matignon se bunkerise. Il laisse Nicolas Sarkozy, le n°2 du gouvernement, faire pression sur les derniers députés UMP résistants pour qu’ils « mangent leur chapeau ». Le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, serait en train d’avaler le sien. La réconciliation entre l’Assemblée et le Sénat dont le Premier Ministre se prévaudrait pour convoquer la CMP serait donc un consensus obtenu par la menace et l’absence de courage, pas par la raison. Tout le monde voit bien que les textes de l’Assemblée et du Sénat sont irréconciliables sur la question de l’interopérabilité et que le Sénat a ajouté des dispositions, comme celles sur le filtrage, dont l’ensemble de l’Assemblée devrait pouvoir débattre sur le fond le temps qu’il faut. Le ministre de la Culture ose ressortir l’épouvantail de la licence globale quand on lui rappelle sa promesse réitérée de lever l’urgence en pareil cas. Il l’a fait la semaine dernière avec le député UDF Jean Dionis du Séjour lors de la séance des questions d’actualité. Mais qui est dupe ? Il se parjure. Comme l’a dit le Président de l’Assemblée Nationale, Jean-Louis Debré, « Donnedieu est un nul qui nous [les députés UMP] a mis dans la merde ». Soutenu par Nicolas Sarkozy, il continue. Le Premier Ministre, gardien de l’interêt général, devrait donc maintenant au minimum lever l’urgence. C’est sa responsabilité et il a ce pouvoir. C’est finalement cela que le cabinet n’a pas voulu entendre. Les députés UMP qui vont devoir voter le texte devraient aller lui expliquer : le retour devant les électeurs est pour bientôt et Internet a la mémoire vive. »


- Mercredi 14 juin. Communiqué de presse de Bernard Carayon et Richard Cazenave

Les deux députés UMP demandant au Premier Ministre une seconde lecture. Ils estiment que « les désaccords entre l’Assemblée et le Sénat sont trop manifestes pour justifier aujourd’hui la procédure de commission mixte paritaire »

- Mardi 20 juin 2006. Communiqué de l’Union Française des Consommateurs (UFC)

Revenant sur sa promesse, maintes fois répétée, d’une deuxième lecture en cas de divergences significatives entre les deux chambres du Parlement sur ce texte examiné en urgence et dans des conditions ubuesques, le Ministre de la Culture a rejeté hier l’appel insistant de nombreux parlementaires qui évoquaient, à juste titre, de profonds désaccords sur des points essentiels pour les consommateurs, plus particulièrement sur l’interopérabilité. En l’absence regrettable d’un nouveau débat, la commission mixte paritaire devra donc trancher.

Adopté le 16 mars dernier à l’unanimité par l’Assemblée nationale, l’article 7 offrait une garantie législative à chaque citoyen afin qu’il puisse utiliser dans les conditions logicielles et matérielles de son choix toute oeuvre acquise légalement. En amendant ce texte, le Sénat a fait de l’interopérabilité une simple possibilité aux mains d’une « autorité de régulation des mesures techniques » (article 7 bis A, article 9) aux contours flous et devant qui les consommateurs ne pourront pas déposer de recours.

Non seulement inacceptable du point de vue démocratique, cette altération substantielle de l’article 7 par les Sénateurs ne se justifie pas non plus sur le plan du droit comparé. En effet, de nombreux partenaires européens aux premiers rangs desquels le Danemark, le Royaume-Uni, la Suède et la Norvège suivent la voie tracée par les députés.

Après avoir montré l’exemple sur l’interopérabilité, la France va-t-elle aller à contre sens de l’histoire numérique ?

Dans l’intérêt des consommateurs et plus généralement des libertés publiques, l’UFC-Que Choisir, membre de l’Alliance Public/Artistes, exhorte les membres de la Commission mixte paritaire à revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale sur l’interopérabilité, un texte jugé à l’époque par le Ministre de la Culture comme « tourné vers l’avenir (et) qui permet l’avènement d’un Internet équitable ».

- Mercredi 21 juin 2006. Lettre ouverte de 12 députés UMP au président du groupe UMP

12 députés UMP, dont le vice-président de l’Assemblée, Yves Bur, ont envoyé mercredi une lettre ouverte à leur président de groupe Bernard Accoyer pour lui demander quelle était la position de l’UMP sur le projet de loi sur le droit d’auteur. Dans cette lettre ouverte qu’ils ont rendu publique, les députés souhaitent "avoir connaissance dans les meilleurs délais de la position qui sera finalement défendue par le groupe" lors de la Commission mixte paritaire (CMP, 14 députés et sénateurs) "pour leur permettre de voter en conscience". (...) Les députés (Yves Bur, Bernard Carayon, Richard Cazenave, Georges Colombier, Dominique Dord, Patrick Labaune, Pierre Lasborde, Lionnel Luca, Jean-Pierre Nicolas, Bernard Pousset, Jacques Remiller et Alain Suguenot) développent également longuement les points qu’ils souhaitent clarifier d’ici la réunion de la CMP, notamment sur le droit à l’interopérabilité (possibilité de lire une oeuvre sur le support de son choix) et sur la défense du logiciel libre.

- Jeudi 22 juin 2006. L’opposition quitte la réunion de la Commission Mixte Paritaire

L’initiative EUCD.INFO salue l’action des élus de l’opposition qui ont quitté la commission mixte paritaire qui se tenait ce matin sur le projet de loi DADVSI en parlant de « parodie » et de « déni de démocratie parlementaire avec cette commission à la composition soigneusement verrouillée et transformée en bataillon disciplinaire par l’UMP ». Le fait que les rapporteurs soient arrivés avec 55 amendements confirme qu’une deuxième lecture est indispensable. Le fait que ne siègent à cette commission que des élus UMP aux ordres, et que ni l’opposition, ni les élus UMP inquiets de la position de leur groupe, n’aient eu connaissance des amendements avant la réunion illustrent bien la conception du débat propre à l’UMP : l’autoritarisme est roi, l’initiative parlementaire est étouffée, le débat verrouillé.

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