Lecture linéaire et critique de la "constitution" européennes, par Mathias Poirier

dimanche 8 mai 2005, par Math P

(A paraître dans le journal local Rennais Nota Bene)

L’erreur le 29 mai consisterait à voter oui au Traité Constitutionnel Européen (TCE) les yeux fermés parce que l’on est pro-européen. Quand on est vraiment pro-européen, on examine attentivement le TCE qui fera office de règle de fonctionnement suprême pendant 50 ans (dixit Giscard) et on se prononce sur le texte et rien d’autre. En clair, le référendum est sur le TCE pas sur l’Europe !
Et cette « constitution », que contient-elle ? Procédons par ordre, texte à la main !

Les premiers articles sont une énumération de principes généraux plutôt contradictoires qui ne prennent leur sens qu’à l’examen du reste du texte, c’est en particulier le cas de la fameuse « concurrence libre et mon faussée » (art I-3-2) érigée en objectif de l’Union.
Seule la partie I ressemble à peu près à une constitution avec notamment des (maigres) progrès démocratiques qui sont pourtant très loin d’assurer un fonctionnement démocratique. Le parlement, seul organe directement élu par le peuple, ne peut en effet toujours pas proposer de lois (art I-26-2).
La démocratie est toujours aussi mal lotie avec la parodie de démocratie participative qu’est l’initiative citoyenne d’un million d’européens (art I-47-4) : la commission n’a aucune obligation d’examiner le projet de loi proposé et ce dernier doit rester dans le cadre des politiques inscrites dans cette « constitution » (« … aux fins de l’application de la constitution. »)

La politique militaire de l’Union tient quasiment entièrement dans l’article I-41 avec une obligation constitutionnalisée d’augmentation du budget militaire, sans débat démocratique préalable et surtout la soumission de l’Europe de la défense à l’Otan qui est contrôlée par les USA. Comment prétendre alors peser sur les affaires du monde et être fort face aux USA ?

« Mais, nous répond-on, il y a la fameuse Charte des droits fondamentaux (la partie II), LA grande avancée sociale du texte ! » Cette charte énumère effectivement des droits avec lesquels on ne peut qu’être d’accord…sauf si l’on est une femme, à cause des ambigus et inquiétants « droit à la vie » (art II-62) sans celui à l’avortement et le « droit au mariage » (art II-69) sans celui au divorce. Mais surtout le contenu de cette charte est en retrait par rapport aux constitutions nationales, à l’image du « droit au travail » de la constitution française qui est rétrogradé au « droit de travailler » ou à « la liberté de chercher un emploi » (art II-75). De même, les droit au logement, droit au revenu minimum, droit à la retraite, droit aux allocations chômage, droit à la sécurité sociale et aux soins de santé sont absents de ce volet social du TCE. Enfin deux articles à la fin ouvrent la possibilité de la mise à l’écart pure et simple de cette partie. En effet, « la présente Charte (…) ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union (…) » (art II-111-2) et « Les droits reconnus par la présente Charte (…) s’exercent dans les conditions y définies » (art II-112-2).

Ce dernier extrait en particulier assure la primauté des options politiques libérales de la partie III sur les objectifs sociaux. Cette partie III qui occupe près des trois quarts du TCE et qui n’a rien à faire dans une constitution (ce que dit même J. Delors, dans Libération du 9 avril, alors qu’il s’engage pour le oui au PS) fixe dans les moindres détails techniques ces politiques avec par exemple : une impossibilité de taxes sur les transactions financières (art III-156) qu’a pourtant défendu Chirac, une harmonisation des systèmes sociaux par le marché qui interdira l’instauration d’un Smic européen (art III-209), une soumission dangereuse des services publics à la concurrence au détriment de leur qualité (art III-166), une interdiction à la régulation de l’établissement des entreprises, ce qui revient à donner le droit aux entreprises de délocaliser (art III-137). Si l’on doute du danger de cette dernière disposition, il suffit de se reporter aux propos fracassants de la commissaire européenne Hübner sur la nécessité de faciliter les délocalisations (La Tribune du 8 Février).

Enfin l’examen de la partie IV montre que le contenu dangereux de TCE serait verrouillé par l’impossibilité de modifications à cause de l’unanimité requise des 25 Etats membres (art IV-443-3) et pour une durée illimitée (art IV-446).

Le potentiel socialement dévastateur des politiques libérales inscrites dans le TCE s’exprimera pleinement dans les années qui viennent avec une mise en concurrence des systèmes sociaux et ainsi qu’un nivellement des standards sociaux par le bas vers ceux des nouveaux pays entrants que sont par exemple la Pologne, la Slovaquie et bientôt la Bulgarie et la Roumanie.
OR, ON NE COMBAT PAS CETTE DERIVE LIBERALE DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE EN VALIDANT UNE « CONSTITUTION » LIBERALE.
Le Non est donc une nécessité immédiate pour rejeter le TCE et exiger une véritable constitution, politiquement neutre (notamment sans partie III).
Mais au-delà, le Non doit être ambitieux et clairement identifié pour une Europe sociale et solidaire pour rejeter aussi le Traité de Nice et établir un nouveau rapport de force permettant d’amorcer le tournant social de la construction européenne.

M.P.

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