La taxe Tobin : comment la gérer et pour financer quoi ?

mercredi 12 avril 2000, par Webmestre

La taxe Tobin : comment la gérer et pour financer quoi ?

Fil conducteur pour un débat international

Lettre de présentation

Préambule

La taxe dite “ taxe Tobin ” se fixe d’abord comme objectif la réduction de la spéculation sur le marché des changes. Comme tout impôt, elle génère des recettes fiscales. La mise en œuvre et l’utilisation de cette taxe soulèvent des questions pouvant prendre parfois un aspect technique, mais qui sont toujours et avant tout des choix d’ordre politique. C’est pourquoi il appartient à l’ensemble des groupes ATTAC de tous les continents et aux autres organisations poursuivant les mêmes objectifs de se saisir de ces questions.

Le débat international ainsi lancé devrait déboucher, à l’automne 2000, sur des propositions reflétant les points de vue communs du Nord et du Sud.

I.- QUELLES SONT LES TRANSACTIONS SOUMISES A LA TAXE ET QUEL DOIT ETRE SON NIVEAU ?

La taxe doit réduire le champ de manœuvre de la spéculation sur les monnaies. Les spéculateurs peuvent être des non résidents, mais aussi des entreprises, des banques ou des ressortissants fortunés du pays dont la monnaie est attaquée. Ils utilisent toute une panoplie de produits financiers dont la liste augmente sans cesse.

Une taxe d’un niveau trop faible pourrait être facilement assimilée par la finance internationale, et manquerait son objectif. Une taxe d’un niveau un peu plus élevé, tout en restant faible, serait efficace contre la spéculation “ ordinaire ”, mais insuffisante en cas de spéculation de grande ampleur.

Ce constat pose les questions suivantes :

1.- La taxe doit elle couvrir toutes les transactions de change ou prévoir des exemptions ? Lesquelles ?

2.- Quel est le niveau adéquat de la taxe ? Ne peut-on prévoir un taux variable, faible quand la spéculation est faible, élevée quand la spéculation est forte ?

3.- Comment compléter la taxe par d’autres mesures de contrôle des capitaux ?

II.-COMMENT PRELEVER LA TAXE ?

Au niveau international, les transactions de change sont réalisées directement entre des banques, des entreprises et autres agents privés situés dans des pays différents. Il n’y a pas de “ marché ”, au sens d’un lieu géographique précis.

Les marchés des changes internationaux s’organisent, en fait, en trois lieux différents : le lieu de négociation de la transaction (la salle de marché d’une banque) ; le lieu d’enregistrement comptable (dans le pays où est localisé le siège social de la banque) ; et le lieu de livraison des devises (n’importe où dans le monde).

D’où les questions suivantes :

4.- La taxe doit-elle être collectée comme la TVA et reversée ensuite par les banques à l’administration fiscale de chaque pays, ou doit-on envisager d’autres possibilités ?

5.-La taxe doit elle être perçue sur le lieu de négociation ou le lieu d’enregistrement comptable ?

Dans le premier cas, on minimise les risques de délocalisation dans des pays qui n’appliquent pas la taxe, car les salles de marché coûtent très cher. Mais la fraude serait plus facile.

Dans le deuxième cas, on limite les possibilités de fraude fiscale car toutes les transactions internationales des banques sont centralisées en un lieu unique : le siège social. Mais l’inconvénient est que la taxe serait prélevée dans moins d’une dizaine de pays, les plus riches, qui regroupent l’écrasante majorité des sièges sociaux des banques, ce qui renforcerait encore leur pouvoir. Ceci ne serait réalisable qu’à la condition que ces pays riches respectent réellement leur engagement de reverser le produit de la taxe aux autres pays du monde.

Cela conduit à s’interroger sur le contenu du traité international donnant naissance à la taxe Tobin , aux engagements respectifs des pays, aux garanties nécessaires, et aux institutions chargées de gérer la taxe.

III.-COMMENT METTRE EN PLACE LA TAXE ?

La taxe Tobin a une vocation universelle, et c’est l’un de ses intérêts principaux. Cependant, on ne peut raisonnablement envisager qu’elle soit instituée directement à l’échelle mondiale. C’est pourquoi l’initiative ne peut venir que d’un ensemble de pays ayant une masse critique suffisante et décidant de créer ce que l’on pourrait appeler par commodité une “ zone Tobin ”.

6.-L’Union européenne (UE) pourrait-elle prendre l’initiative de constituer cette “ zone Tobin ” ? Dans ce cas, n’y aurait-il pas un risque de fuite massive des capitaux vers des pays, comme les Etats-Unis, qui possèdent déjà une puissance financière considérable ?

7.-Comment s’assurer que cette zone soit ouverte à l’ensemble du monde ? Comment créer des mécanismes incitatifs conduisant les autres pays à rejoindre cette zone ? N’y-a-t-il pas un danger de dénaturer le projet de taxe Tobin en dénaturant sa vocation universelle ?

IV.- QUI DOIT GERER LA TAXE ET COMMENT ?

Plusieurs choix sont possibles. Certains économistes imaginent de s’appuyer sur les institutions déjà existantes. Les banques centrales et l’administration fiscale de chaque pays seraient chargées de surveiller le prélèvement à l’échelon national, avec l’aide, à l’échelon international, de la Banque des règlements internationaux (la “ banque centrale des banques centrales nationales ” située à Bâle). La Banque mondiale pourrait recevoir le produit de la taxe et l’intégrer à son budget pour financer le développement, de même que le Fonds monétaire international (FMI) pour renforcer ses capacités d’intervention.

Pour d’autres économistes - et c’est évidemment la position d’ATTAC -, le passif de ces institutions, les échecs et les dégâts sociaux qu’elles ont provoqués dans le passé les discréditent définitivement pour gérer la taxe.

Il faudrait donc envisager la création d’une nouvelle institution internationale, ce qui soulève de nombreuses questions.

8.- La nouvelle institution doit-elle, et si oui comment, s’intégrer dans la “ famille ” de l’ONU ? Via le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ou en collaboration avec l’Organisation mondiale du travail (OIT), par exemple ?

9.- Comment s’assurer de la plus grande transparence et de la plus grande démocratie de cette nouvelle institution internationale ? Doit-elle être constituée uniquement de représentants des gouvernements des pays membres, ou inclure des représentants des Parlements et la “ société civile ” de chaque pays (syndicats, associations, ONG ) ? Selon quelles modalités, dans quelle proportion, et avec quels pouvoirs ?

10.- Quels relais nationaux, chargés de gérer la taxe à l’échelle locale, donner à cette nouvelle institution internationale ?

V.- QUE FAIRE DU PRODUIT DE LA TAXE ?

Les recettes fiscales ne constituent pas un objectif primordial pour James Tobin, mais seulement un effet secondaire. Cette conception rejoint la proposition d’une taxe d’un faible niveau.

Mais, pour les mouvements de citoyens, imposer la spéculation afin qu’elle contribue à réparer les dégâts sociaux qu’elle provoque, constitue une motivation essentielle.

Par ailleurs, le montant des recettes fiscales représente un enjeu important. Ces recettes seraient en effet d’un montant considérable : entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de milliards de dollars en fonction des différents scénarios. ll faut donc , en s’interrogeant sur leur utilisation, garder à l’esprit qu’elles ne seront pas suffisantes pour financer tous les besoins de la planète, et qu’elles ne dispensent en rien les gouvernements de mener des politiques nationales de lutte contre toutes les inégalités, la pauvreté, le chômage, pour la satisfaction des besoin sociaux et la protection de l’environnement.

Sur cette base, on peut envisager que les recettes de la taxe soient principalement affectées aux domaines suivants :

- l’aide au développement : éducation, santé, accès à l’eau potable, accès au logement, etc.

- la lutte contre les inégalités et en faveur de la protection sociale partout dans le monde ;

- la protection de la nature et du vivant.

Les questions qui se posent sont alors les suivantes :

11.-Quelle ventilation des sommes entre ces trois domaines ?

12.- Quelle part affecter aux programmes nationaux et aux programmes internationaux ?

13.-Quelle part affecter aux pays du Sud et aux pays du Nord ?

Un principe général est qu’il appartient aux populations concernées de décider en dernier ressort de ce qu’elles considèrent comme des priorités. Cela suppose de mener un débat démocratique, d’élaborer les programmes en associant le plus grand nombre, et de contrôler leur mise en œuvre.

Il appartient au mouvement international ATTAC et aux autres organisations intéressées par la mise en œuvre de la taxe Tobin de débattre pour commencer à apporter des réponses.

Le Conseil scientifique d’ATTAC France

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