La lettre de Marcel Gatt, Négociateur Chargé de Mission auprès du FMI, à sa moman

lundi 5 novembre 2001, par Webmestre

La lettre de Marcel GATT, négociateur chargé de Mission auprès du FMI, à sa moman

Cette lettre, que publie Attac Rennes, nous est parvenue par erreur, à la suite d’un cafouillage de la poste centrale-et unique-de Doha.

Ma petite moman,

Enfin, je suis arrivé ! Non sans mal, car les liaisons entre Washington et Doha, au Qatar, ne sont pas très faciles en ce moment. D’autant que j’ai du faire un crochet par Bruxelles pour prendre le dossier sur l’AGCS que j’avais oublié, et un détour supplémentaire par Davos pour récupérer mon parapluie que j’avais aussi oublié, mais c’était en janvier.

L’essentiel, c’est d’être là, dans les délais. C’est un très beau pays, sableux surtout. Hier, j’ai vu dix sept chameaux et de nombreux policiers qui nous attendaient à l’aéroport. Par contre, il n’y a pas de manifestants. Tu te souviens qu’à Seattle, la fumée des lacrymogènes m’avait irrité les sinus, et qu’à Prague, je m’étais fait une entorse en enjambant le corps d’un manifestant que le service d’ordre venait de calmer. Rien de tout cela ici, pas de désordre ni d’antimondialistes hurlants. Ce n’est pas non plus comme à Nice, avec cette sorcière, George quelque chose ou Susan quelque chose, je ne sais plus, qui nous traitait sans cesse de néolibéraux. Et puis surtout, ce n’est pas comme à Gênes, ou nous devions franchir tant de barrages pour accéder à un lieu calme. C’est que le Qatar est une vraie démocratie, qui n’est pas gâchée par les campagnes électorales et les élections qui donnent lieu chez nous à tant de récriminations. L’Emir, qui est une sorte de président de la République, mais tribal, sans la République, a une Assemblée qu’il nomme lui-même. Cette Assemblée réunit 30 membres et est uniquement consultative. C’est tellement démocratique qu’il n’y a jamais besoin de la dissoudre. Je t’avoue, ma petite moman, que c’est un modèle pour nous tous à l’OMC : pas d’élections, pas de comptes à rendre, et la possibilité de travailler tranquillement !

En ce moment, le soleil se couche, et on ne voit presque plus les derricks des puits de pétrole. Mais ils sont là, solides comme la fortune de l’Emir Hammad Ibn Khalifa al Thani, ce chef d’Etat qui nous accueille. Il a pris toutes les précautions pour que nous ne soyons pas dérangés par l’agaçante vox populi antilibérale, si injuste et si cruelle. Sais-tu, ma petite moman, que l’ambassade du Qatar n’accorde pas de visas à ces sauvages, sauf s’ils ont réservé et payé d’avance leur chambre d’hôtel ? Je le sais parce que quand j’ai demandé le mien, de visa, je me suis trompé : j’ai mis que je venais pour l’ONG au lieu de l’OMC ! ! ! Tu te rends compte, quelle distraction...En tous cas, on va pouvoir faire avancer les choses : l’accord général sur le commerce et les services, il va te rénover l’école, tu vas voir ça : elle ne risque plus de former des contestataires quand nous l’aurons rendue aussi négociable qu’un petit lu, qu’un yaourt ou qu’un presse-légumes moulinex. Et la santé, pareil. Quand tous ces empêcheurs de commercer en paix seront malades, ils verront bien combien ça coûte, de soigner l’ESB ou l’Anthrax.

Vois-tu, ma petite moman, à l’ENA, quand nous étions obligés de lire de la culture, j’avais retenu qu’Alphonse Karr disait que “ les voyages prouvent moins de curiosité des choses que l’on va voir que d’ennui de celles que l’on quitte. ” Eh bien, tu vois, ma petite moman, c’est exactement ça : cet ennui de la démocratie, du débat, de la décision partagée nous pèse tant, à l’OMC, que nous sommes heureux de cuire dans ce bac à sable du Qatar, mais au moins d’avoir quitté les rivages houleux de la contestation. A propos, j’ai appris que le voisin du troisième était à ATTAC. Je te prie, ma petite moman, de ne plus lui adresser la parole. Bon, je te laisse. Après le méchoui, nous devons nous occuper de l’ouverture de l’école au marché, et j’ai vu que mon siège était à côté de celui du monsieur de Vivendi. J’en frétille d’aise.

Bisous de ton petit Marcel. Doha, le 10 novembre 2001.

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