Tirer les leçons des fiascos financiers

mercredi 25 septembre 2002, par Webmestre

France Télécom est en train de devenir un cas d’école de l’échec des
politiques de privatisation des services publics et de la croyance dans
les vertus magiques des marchés financiers. La leçon doit être retenue à
l’heure où le gouvernement a mis à l’ordre du jour la privatisation
d’EDF-GDF et d’Air France : tout doit être mis en oeuvre pour l’arrêt du
plan de privatisation des services publics. Ce n’est visiblement pas la
position du gouvernement, puisqu’on peut lire dans Le Monde du 19
septembre : "L’avenir de France Télécom relève d’une solution de
marché", explique l’entourage du ministre Francis Mer, qui est bien
décidé par ailleurs à poursuivre les privatisations

http://www.lemonde.fr/imprimer_arti...

Face à ces menaces, les salariés de ces entreprises, mais aussi tous les
citoyens doivent se préparer pour des actions déterminées de défense du
service public. Le jeudi 3 octobre, une journée d’action est prévue
pour la défense du service public de l’énergie. Dans d’autres
entreprises les syndicats préparent la mobilisation pour la défense du
service public et le refus des licenciements, comme à Alcatel où 23000
suppressions d’emplois sont prévues d’ici fin 2003 (faisant passer les
effectifs de 120000 personnes en 2000, à 60000 !!!). Ce ne sont pas les
salariés qui sont responsables de ces dettes faramineuses, ce n’est pas
à eux d’en payer le prix fort. Ainsi lors du dernier Conseil
d’administration de France Télécom, dont la presse a largement rendu
compte, les 7 élus des salariés au conseil d’administration ont voté
contre la proposition de mise en faillite de la filiale MobilCom alors
que les représentants de l’Etat et des autres actionnaires ont
froidement décidé de jeter à la rue plus de 5000 salariés
allemands. L’Etat allemand a d’ailleurs décidé de fournir des crédits de
400 millions EUR à MobilCom. Cette aide financière a été tout de suite
attaquée par l’opérateur néerlandais KPN qui a déclaré : "Ce programme
est peut-être bon pour le personnel de MobilCom, mais il n’est
certainement pas bon pour la concurrence" !!! (Le Monde 19/09/2002 :
http://www.lemonde.fr/imprimer_article_ref/0,9750,3209—290712,00.html)
Tout est dit : les salariés peuvent être jetés comme de vieux kleenex,
mais il ne faut surtout pas "offenser" le "dieu marché" !!! C’est
pourtant dans ce même numéro du Monde qu’on peut lire : "Déboires en
cascade pour des "privatisées" britanniques : En moins d’un an, trois
anciens services publics récemment privatisés ont, afin de survivre,
demandé de l’argent à l’Etat britannique et l’ont obtenu. En octobre
2001, l’opérateur ferroviaire Railtrack, contraint de déposer son bilan,
était placé sous administration judiciaire. Trois mois plus tard, le
gouvernement annonçait un plan de rénovation du rail. En mars, l’Etat
accordait un prêt à la société qui gère le contrôle aérien (NATS). Lundi
9 septembre, le principal opérateur de centrales nucléaires, la
compagnie privée British Energy, au bord de la faillite, recevait du
gouvernement une garantie bancaire de 410 millions de livres (650
millions d’euros)." Et tout le monde a en mémoire, la société américaine
Enron et les problèmes d’approvisionnement en électricité de la
Californie.


Ci-dessous, quelques élements d’analyse intéressants paru dans
Libération du 18 septembre :

France Télécom : fiasco emblématique..

Par Pierre KHALFA,René OLLIER
mercredi 18 septembre 2002

Pierre Khalfa est membre d’Attac et du Bureau de G10 Solidaires.
René Ollier est secrétaire général de SUD-PTT.

Plus de 70 milliards d’euros de dette, 12 milliards de pertes simplement
pour le premier semestre, de tels chiffres laissent pantois. Comment
France Télécom, entreprise il y a peu prospère, en est arrivée là ? Ce
résultat est le produit de deux échecs et d’une démission.

Le premier échec est celui de la régulation par le marché dans les
économies de réseau (télécommunications, énergie, rail...). Après
l’effondrement du rail britannique qui a amené le gouvernement de Tony
Blair à renationaliser de fait la société Railtrack, après les pénuries
régulières d’électricité aux Etats-Unis et les graves problèmes
rencontrés par British Energy, c’est au tour des télécommunications
d’être sinistrées. Car France Télécom n’est pas le seul opérateur dans
cette situation. Au moins autant que lui, le cas de la société
américaine WorldCom est emblématique. Sa croissance exponentielle avait
été financée uniquement par des échanges d’actions en Bourse et elle
avait été saluée comme le type même l’entreprise moderne. Sa chute, due
à l’impossibilité de rentabiliser le réseau de milliers de kilomètres de
fibre optique qu’elle avait construit, montre que la duplication des
réseaux est un non-sens économique.

C’est d’ailleurs cette constatation qui avait amené la notion de
monopole à s’imposer historiquement. Effectuée dans une ambiance
euphorique dans laquelle les nouvelles technologies étaient présentées
comme un eldorado à conquérir, la libéralisation des télécommunications
a provoqué un surinvestissement généralisé débouchant logiquement sur
une bulle spéculative qui, en éclatant, a entraîné la déconfiture des
opérateurs les plus liés aux marchés financiers, en premier lieu France
Télécom.

Le second échec est celui de la stratégie qui visait à transformer une
entreprise de service public en une firme multinationale. Basée sur
l’illusion d’une montée continue des cours de la bourse, cette stratégie
a abouti non seulement à acheter trop cher au plus mauvais moment, au
plus haut de la bulle spéculative ­ cas d’Orange ­ mais a amené à parier
sur la possibilité qu’il puisse exister six réseaux mobiles de troisième
génération en Allemagne, faisant l’acquisition ainsi à prix d’or une
licence UMTS et investissant à fonds perdus dans MobilCom. Plus
généralement, Michel Bon a cru qu’il était possible que France Télécom
devienne rapidement un opérateur alternatif dans de nombreux pays
européens, négligeant et traitant par le mépris les mises en garde sur
le caractère aléatoire d’une telle stratégie. Il est nécessaire au
passage de faire justice de l’affirmation selon laquelle le problème
viendrait du fait que France Télécom n’ait pu procéder lors de l’achat
d’Orange à un paiement par échange d’actions. Affirmation fausse car
Vodafone avait exigé un paiement pour l’essentiel en cash, et que le
complément avait été payé en actions France Télécom avec un prix de
rachat garanti à 100 euros, soit dix fois le cours actuel.

La démission est celle de l’Etat. Il est d’ailleurs piquant de voir
certains économistes libéraux enfourcher ce cheval, lui reprochant de ne
pas avoir joué son rôle d’actionnaire. Quels n’auraient pas été leurs
cris d’orfraies si, au plus fort de l’euphorie boursière, l’Etat eut,
par exemple, empêché France Télécom d’acquérir Orange. Contrairement à
leurs affirmations, l’Etat s’est d’ailleurs comporté comme n’importe
quel actionnaire dans n’importe quelle entreprise : il a laissé faire,
croyant que tout cela allait durer, et ne s’est réveillé qu’une fois la
catastrophe produite. La faillite de l’Etat est ailleurs, elle est celle
de l’Etat régulateur porteur de l’intérêt général et d’une vision de
long terme. L’Etat ­ il serait d’ailleurs plus juste de parler du
gouvernement Jospin ­, a renoncé volontairement à assumer ce rôle et a
participé à « l’exubérance irrationnelle des marchés ». L’enseignement à
tirer de ce fiasco est qu’il faut en finir avec les chimères de la
libéralisation des services publics. Nous ne sommes plus dans un débat
théorique. L’expérience de plus de dix ans de libéralisation a montré
que la recette qui mélange ouverture à la concurrence et privatisation a
abouti à des plats amers : baisse de la qualité du service rendu,
« rééquilibrage tarifaire » au détriment de la grande masse des usagers,
suppression massive d’emplois. Il faut donc saisir l’occasion de la
sortie prochaine du Livre vert de la commission sur les « services
d’intérêt économique général », qui doit précéder une directive sur le
sujet, pour que soient prises en compte les spécificités des services
publics qui ne peuvent être soumis aux règles du marché unique. Il
s’agit d’imposer le passage d’une logique de concurrence à une logique
de coopération au niveau européen.

Dans ce cadre, il est de la responsabilité de l’Etat d’empêcher la
transformation des entreprises de service public en multinationale et de
renoncer à des privatisations, même appelées hypocritement « ouverture du
capital », qui les soumettent aux marchés financiers. Cette orientation
est particulièrement urgente dans le cas d’EDF, dont le président a eu
le cynisme d’exiger que les usagers paient, avec des hausses de tarifs,
le prix d’une stratégie suicidaire.

Si aucune solution miracle ne fera disparaître les 70 milliards d’euros
de dette de France Télécom, le redressement de l’entreprise passe par
une rupture tant avec les marchés financiers qu’avec la stratégie
actuelle de transformation en multinationale. La renationalisation de
l’entreprise, qui par ailleurs serait moins coûteuse pour le budget de
l’Etat qu’une recapitalisation, en est la première condition. La seconde
tient à la définition par l’Etat de nouvelles missions de service public
intégrant les récents développements technologiques avec, comme
objectif, de réduire la fracture numérique. C’est dire qu’il s’agit là
d’une rupture politique avec le passé récent et plus même d’une
révolution culturelle. Le gouvernement actuel en sera-t-il capable ? La
réponse à cette question tient, au moins en partie, dans la capacité des
salariés et des usagers des services publics à se mobiliser pour
l’imposer.

http://www.liberation.com/imprimer.php?Article=53688


Il est beaucoup question que l’Etat remette financièrement au pot. Mais
il ne faut pas se tromper : une recapitalisation a généralement pour
objectif de procurer des liquidités à une entreprise incapable de faire
face à ses échéances financières. Or, les sommes nécessaires pour FT
seraient de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros, prises d’une manière
ou d’une autre sur le budget de l’Etat et donc l’argent des
contribuables. D’autre part, ce ne serait que la première étape de
l’opération. Une fois les marchés rassurés et le cours de l’action
rétabli, l’objectif sera pour l’Etat de récupérer les fonds investis en
vendant l’essentiel de ses parts. Et, de ce point de vue, les exigences
de l’Union Européenne sont parfaitement claires : selon un expert
financier « l’Etat doit se conduire comme n’importe quel actionnaire
privé : autrement dit, il peut apporter des fonds que s’il peut en
espérer un retour à moyen terme et si la recapitalisation s’accompagne
d’un plan de restructuration crédible ». Les autres techniques risquent
d’avoir des conséquences redoutables à court ou moyen terme : un emprunt
en obligations convertibles en actions ferait peser la menace permanente
que l’Etat finisse par se retrouver minoritaire (c’est la présence
majoritaire de l’Etat qui a évité que FT soit mis en faillite comme
l’américain WorldCom). Quant à un emprunt garanti par l’Etat,
généralement réservé aux entreprises en situation de monopole, et
consenti de ce fait à taux bas, cela ne peut être en aucun cas possible
pour France Télécom. La renationalisation, qui signifierait une sortie
de la bourse et l’arrêt de la stratégie financière suivie depuis cinq
ans, coûterait 4,2 milliards d’euros à l’Etat au cours actuel de
l’action (et encore, depuis ce calcul, l’action a continué à baisser),
soit finalement trois fois moins cher qu’une recapitalisation. C’est
assez clair : la privatisation, c’est vraiment une position idéologique.

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