Directive Bolkestein Première analyse du vote du Parlement européen du 16 février 2006

vendredi 17 février 2006, par Webmestre

Directive Bolkestein

Première analyse du vote du Parlement européen du 16 février 2006

Ce vote gomme certains points parmi les plus ultralibéraux du texte initial, nous pouvons donc nous féliciter de la mobilisation citoyenne qui s’est exercée contre une Europe ultralibérale, le samedi 11 février, avec la demande du rejet de la directive, puis lors de l’euro manifestation syndicale du 14 février. Nous pouvons aussi nous féliciter de la campagne référendaire, et des non français puis des Pays-Bas ; ces expressions de deux peuples contre le projet de constitution néolibérale restent inscrites et influentes dans le paysage politique européen. Ce que reconnaît John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), certes en des termes qui lui appartiennent : « Il est clair que ce vote (des français le 29 mai 2005) a changé le paysage européen. Tout le monde a compris après cela qu’il fallait remettre le social au cœur des politiques européennes. Même Tony Blair a été très sensible au vote français et c’est pour cela qu’il a lancé le débat sur le modèle social européen. Ce n’est pas non plus un hasard si le PPE-DE soutient les amendements de la directive Bolkestein » Libération, 13 février 2006.

En même temps, nous ne pouvons nous satisfaire de cette semi victoire : cette directive amendée par le Parlement reste un texte qui, s’il entrait en vigueur, constituerait une avancée conséquente du néolibéralisme. Son rejet reste très clairement notre objectif.

Avant d’en venir aux inquiétudes majeures qui persistent, voyons parmi les points ultralibéraux de cette directive, ceux qui, à ce stade du processus législatifs, ont été retirés :

- Les agences d’intérim sont sorties du champ d’application de la directive.

- Idem pour les services sociaux, la santé, l’audiovisuel, les services juridiques, les professions et les activités qui participent à l’exercice de l’autorité publique (notaires...), les jeux d’argent et les loteries.

- La condition de « raison impérieuse d’intérêt général » doit toujours être vérifiée par toute règle nationale à l’endroit des entreprises transfrontalières (non nationales). Mais des amendements l’assouplissent en y incluant toute raison d’ordre public, de sécurité publique, de protection de l’environnement et de santé publique ; ainsi que de protection des consommateurs, de santé des animaux, de conservation du patrimoine national historique et artistique, d’objectifs sociaux et culturels. Nous y reviendrons plus bas.

- Contrairement à ce qu’interdisait la version initiale, un Etat pourra imposer une déclaration administrative aux entreprises venant fournir de façon temporaire un service sur son territoire. Il reste à étudier plus précisément l’accord de ce 16 février pour mesurer la portée de ce changement du texte. Il faut ainsi noter que ni l’ouverture d’un bureau, ni l’inscription dans un registre professionnel ne pourra être obligatoire.

- Le principe d’origine n’est plus mentionné, ce qui n’est pas la victoire que certains clament.

Toutefois cette directive reste fondamentalement néolibérale :

- Les travailleurs indépendants (personnes qui fondent leur entreprise et en sont le seul travailleur) formeront un segment du marché européen du travail quasiment sans droit du travail.

- Rien en faveur de l’harmonisation sociale vers le haut. Au contraire, la concurrence entre les travailleurs de toute l’Europe poussera à des conditions de travail et d’emploi (salaire, congé, temps de travail, condition d’hygiène et de sécurité ...) effectives vers les minima fixés par la loi et les conventions collectives. En outre, certains secteurs (travail à distance, traitements de données), ainsi que des sièges sociaux connaîtront une délocalisation vers les pays à bas niveau social. Ce qui aggravera d’ailleurs le dumping social, la course vers le fond.

- Même mouvement de délocalisations des sièges des groupes et des entreprises vers les pays et les collectivités locales où elles trouveront le plus d’avantages fiscaux, et le plus d’aides publiques. D’où une aggravation des difficultés de la puissance publique, du national au local, à remplir ses missions (services publics ; secteurs social, culturels ; éducation, santé...).

- Nombre de services publics restent dans le champ de la directive : services postaux ; distribution d’électricité, de gaz, d’eau ; éducation (quand elle n’est pas fourni gratuitement et directement par l’état ou une collectivité publique) ; traitement des déchets. La directive couvre tous les services, sauf ceux fournis gratuitement et directement (c’est-à-dire sans délégation) par l’état ou une collectivité publique et ceux qui en sont explicitement exclus (voir plus haut, les deux premiers alinéa de la page précédente : services sociaux, santé, audiovisuel, services juridiques...).

- Les règles imposées aux entreprises européennes et non nationales (transfrontalières) relatives aux domaines énoncés plus haut, troisième alinéa de la page précédente (ordre public, sécurité publique, protection de l’environnement, santé publique...) sont autorisées par la directive amendée mais restent soumises à acceptation par l’Union européenne (Cour de Justice européenne) ; laquelle vérifient que ces règles ne sont pas discriminatoires (à l’encontre d’entreprises non nationales), qu’elles sont proportionnelles (c’est-à-dire non excessives et non décalées par rapport à l’objectif fixé) et qu’elles s’inscrivent bien dans l’un des domaines énoncés pus haut (ordre public, sécurité publique, protection de l’environnement, santé publique...).. La liberté des gouvernements et des collectivités locales à prendre des décisions portant sur les secteurs couverts par la directive seront sous le contrôle d’une simple Cour de Justice, laquelle comblera l’absence d’harmonisation positive européenne.

- A contrario de l’alinéa précédent, les règles nationales ne peuvent s’appliquer aux entreprises transfrontalières si elles ne répondent pas à une « raison impérieuse d’intérêt général » et si elles ne sont pas dans les domaines suivants : ordre public, sécurité publique, protection de l’environnement et de la santé publique ; protection des consommateurs, santé des animaux, conservation du patrimoine national historique et artistique, objectifs sociaux et culturels.

Le résultat du vote : 394 voix pour, 215 contre, 33 abstentions. Ce vote des députés européens résulte d’un compromis entre les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE). Toutefois les députés socialistes français ont voté contre ; tout comme les Communistes et les Verts.

José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, a déjà annoncé que celle-ci « révisera au plus vite sa proposition initiale sur la base du texte adopté par les députés ». Le texte de la commission sera ensuite soumis au Conseil, au plus tôt les 23 et 24 mars prochain, mais probablement à une date ultérieure. Puis il devrait passer en seconde lecture, au parlement, puis au Conseil. Enfin est possible un troisième et dernier passage. Des évolutions du texte sont à attendre, vers des moutures plus libérales ou moins libérales, voire vers son retrait, cela dépendra de l’évolution des rapports de force, de la mobilisation.

La mobilisation d’Attac contre la directive Bolkestein a été, en cette première quinzaine de février, un beau succès, et a donné lieu à retour d’une certaine visibilité médiatique de son travail d’éducation populaire, de sa capacité de mobilisation (Le Monde, Libération...). Notre mobilisation continue, en propre, et avec le collectif unitaire, derrière un mot d’ordre : le retrait de cette directive Bolkestein.

Marc Delepouve

Groupe d’animation de la campagne Bolkestein d’Attac

Le 17 février 2006.

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