Directive Bolkestein : commentaires préliminaires sur le vote du 16 février 2006 du PE en première lecture par Alain Lecourieux

vendredi 17 février 2006, par Webmestre

A. Rappel des derniers événements :

- 8 février 2006 : compromis entre le PPE (droite) et le PSE (socialistes) sur une liste d’amendements (ce compromis seulement disponible en anglais)

- 14 février 2006 : débat en séance plénière

- nuit du 14 au 15 février 2006 : modification du compromis dans le sens néolibéral (je ne dispose pas du compromis modifié)

- 16 février 2006 : vote des amendements et approbation du texte global amendé à une large majorité des eurodéputés (sur le sens des votes nous disposons des informations que donne la presse - lire la revue de presse envoyée dans le précédent message - et des interviews des eurodéputés)

B. Commentaires préliminaires :

Le vote intervenu le 16 février a été plus néolibéral que le compromis ci-dessous ; si ce texte (fondé sur le compromis) était adopté, un pouvoir considérable serait donné à la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) compte tenu du flou qui concerne le droit applicable aux prestations transfrontalières de service. La CJCE par sa jurisprudence exercerait un pouvoir législatif très important (beaucoup plus important encore que prévu) à cause de la disparition dans le texte du principe du pays d’origine (PPO) et du fait que le PPO n’est pas remplacé par le principe du pays d’exécution (appelé aussi principe du pays de destination). Le texte ne dit rien sur la loi applicable aux services transfrontaliers. Rien que ce point est tout à fait inacceptable. Un prestataire pourra demander l’application du PPO auprès de la Cour qui tranchera en créant du droit communautaire.

Le PSE dans le compromis qu’il a passé avec le PPE a abandonné la distinction - pourtant féconde - entre "accès" aux marchés des services qui aurait pu être donné à tous les prestataires de l’UE et "exécution" des services qui aurait pu obéir au principe du pays de destination (ou d’exécution).

Sous réserve de passage au peigne fin de ce que s’est passé au Parlement européen le 16 février 2006 et sous réserve d’une analyse plus poussée, le vote du 16 février est tout à fait inacceptable pour les raisons suivantes :

- maintien des dispositions de la directive originelle sur le droit d’établissement : les interdictions faites aux Etats membres visent et conduisent à la déréglementation quasi-totale du droit d’établissement ;

- non remplacement du PPO par le principe du pays de destination : le PPO ne disparaît donc pas de facto ; nous ne savons pas quel droit s’applique aux prestations transfrontalières : ce qui n’est donc pas une disparition du PPO ; ceci accroît le pouvoir de la Cour de Luxembourg, Cour non démocratique, politique, et néolibérale dans la plupart des cas ;

- les SIEG sont inclus dans la directive sauf quelques nouvelles dérogations dont la santé ; mais attention il faut attendre pour savoir si les services sociaux de santé sont ou non exclus ; pas de mention d’une directive cadre sur les SIEG

- pas de mention de directives d’harmonisation ou même d’un processus d’harmonisation

Il y a toujours 38 raisons de dire NON à la directive sur les services telle qu’elle sort du vote du 16 février (lire le fichier joint).

38 raisons de dire NON à la directive dite Directive Bolkestein allégée

Alain Lecourieux

C. Le compte-rendu rédigé le 10 février par Stany Grudzielski, eurodéputé des Verts

C’est moi qui ai mis en "gras" les points très importants du compromis.

Alain Lecourieux

1. Le "compromis" PSE-PPE

Un accord est intervenu le 8 février (

COMPROMIS

pdf, 100 ko, en anglais), en début d’après-midi, entre les équipes de négociation PSE et PPE.

a) Contenu du "compromis"

* Cet accord est partiel. Il porte essentiellement sur le libellé de l’article 16 (alternative au principe du pays d’origine). Il n’existe pas d’accord PSE-PPE sur l’autre aspect majeur de la directive, c’est-à-dire le champ de la directive. Par contre, les points déjà acquis en commission Marché intérieur ne seraient pas remis en cause, en particulier le fait que le droit du travail n’est pas affecté par cette directive. Sur l’exclusion des services sociaux, la situation est confuse, le PPE n’étant plus disposé à les exclure dans leur ensemble, mais de nombreux députés individuels tant PPE qu’ALDE souhaitant leur exclusion au moins partielle.

* Par rapport à l’article 16, le "compromis" ne parle plus du principe du pays d’origine. Il porte sur quatre points :

l’affirmation que les Etats membres ne peuvent pas imposer aux prestataires de services des exigences qui ne satisferaient pas aux trois critères que sont la non-discrimination, la nécessité et la proportionnalité ;

une liste non limitative d’exigences particulières que les Etats membres ne pourraient pas imposer aux prestataires de services ;

l’affirmation que les deux types de restriction ci-dessus ne doivent pas empêcher les Etats membres d’imposer aux prestataires de services des exigences justifiées pour des raisons de politique publique, de sécurité publique, de politique sociale, de protection des consommateurs, de protection de l’environnement, de santé publique ou de conditions de travail ;

une clause selon laquelle des éventuelles mesures d’harmonisation pourraient être envisagées 5 ans après l’entrée en vigueur de la directive.

b) Positions au sein des groupes politiques par rapport à ce "compromis"

Le "compromis" est non seulement partiel, mais à ce stade il est même permis de s’interroger sur le soutien réel dont il bénéficie au sein des Groupes politiques concernés. C’est la raison pour laquelle le mot "compromis" doit être mis entre guillemets...

* Au sein du PSE, il a reçu un soutien majoritaire (mais pas unanime). La plupart des socialistes considèrent qu’il est acceptable parce que le principe du pays d’origine n’y figure pas. Une petite minorité le critique exactement pour la même raison (certains députés des nouveaux Etats membres). Par contre, l’attitude des socialistes les plus anti-Bolkestein reste incertaine, notamment chez les Français et les Belges.

* Au sein du PPE, il semble qu’il y ait un avis majoritairement négatif. Le PPE serait en fait divisé en deux. Certains (notamment Français et Allemands) le soutiennent parce que la disparition du principe du pays d’origine ne leur pose pas vraiment de problème. D’autres le rejettent pour la raison inverse. Il semble que cette position de rejet soit majoritaire au sein du PPE. Malcolm Harbour et Marianne Thyssen auraient ainsi été désavoués en tant que négociateurs. On leur reproche, dans ce camp, d’avoir tout cédé au PSE.

* Le groupe ALDE, comme les Verts, n’a pas été associé à la négociation. Mais il semble qu’il soit lui aussi divisé. La majorité des libéraux semblent néanmoins pouvoir se rallier au "compromis".

c) Positionnement du Groupe Vert par rapport au contenu de ce "compromis"

Sur le contenu du "compromis", notre position peut se décliner en deux volets.

* Nous critiquons certains points :

les trois critères (non-discrimination, nécessité et proportionnalité) ne font que reprendre ceux qui sont communément admis par la jurisprudence de la Cour de Justice ; est-ce le rôle du législateur de reprendre la jurisprudence dans une directive ?

la liste des exigences n’est pas limitative, elle est indicative, puisque le paragraphe introductif du point 2 comprend les mots "in particular" ; cela ouvre la porte à d’autres exigences interdites ;

au moins l’un des points de cette liste pose problème : le point (d) qui prévoit que les Etats membres ne pourraient plus imposer des arrangements contractuels restreignant la libre prestation d’indépendants ; on touche là, potentiellement, à la problématique des "faux indépendants" ;

les motifs pouvant être invoqués par les Etats membres pour maintenir leurs exigences sont limités aux 7 points mentionnés ci-dessus ; nous aurions préféré reprendre l’ensemble des raisons impérieuses d’intérêt général, dont la définition extensive à l’article 4 nous convient ; de plus, il s’agit ici d’une énumération limitative (il n’y a pas de "in particular"...) ;

la liste des exigences que les Etats membres ne pourraient pas maintenir, aussi bien que les motifs pouvant être invoqués par les Etats membres pour maintenir leurs exigences, sont issues de la jurisprudence de la Cour de Justice, et reconnues admissibles par celle-ci ; ici encore, le texte du "compromis" ne contient aucune innovation juridique.

* Néanmoins nous pensons que ce compromis est meilleur que le texte voté en commission Marché intérieur. Il abandonne effectivement le principe du pays d’origine. En effet, l’article ne dit rien sur la loi applicable, donc c’est le statu quo à cet égard.

d) Stratégie des Verts par rapport à ce "compromis"

* Notre préférence continue à aller vers la solution qui avait été préconisée par Evelyne Gebhardt et les Verts en commission Marché intérieur (mais qui avait été battue de 3 voix) : la distinction entre "accès" (où peut s’appliquer le principe du pays d’origine) et "exercice" (où doit s’appliquer le principe du pays de destination).

* Nous voulons donc d’abord essayer de gagner sur cette approche. De ce point de vue, il est extrêmement important que, dans la liste de votes, l’amendement que nous avons déposé soit voté avant le "compromis" PSE-PPE.

La pression doit également être maintenue au niveau de la mobilisation de rue, en particulier vers la base syndicale : nous avons tout intérêt à ce que la manifestation du 14 soit massive, donc il faut montrer dans nos positions publiques que les enjeux restent cruciaux.

2. Appréciation politique générale

A ce stade il semble que le vote final des Verts sur l’ensemble de la directive devrait rester négatif, pour les raisons suivantes :

* même dépourvue du principe du pays d’origine, cette directive reste un instrument législatif transversal, couvrant un champ beaucoup trop vaste ;

* en particulier, la directive comporterait toujours dans son champ les services d’intérêt économique général ; certes, ceux-ci échapperaient aux points les plus problématiques de la directive, mais leur présence dans la directive continue à préempter les suites à donner au Livre Blanc sur les SIEG ;

* sur cette question des SIEG, nous devons maintenir la pression pour que la Commission présente une directive cadre ; un vote négatif des Verts sur la directive services aurait aussi ce sens-là ;

* la solution de compromis qui serait adoptée pour l’article 16 risque de rester boiteuse, surtout si nous n’avons pas gain de cause sur les améliorations que nous voulons encore y apporter ; cela resterait de la mauvaise législation (se contenter de reprendre la jurisprudence de la Cour) ;

* nous avions demandé un processus d’évaluation mutuelle des "entraves non justifiées" à la libre prestation des services préalable à leur suppression, et non a postériori comme prévu par la Commission et le rapport IMCO ;

* sur l’aspect plus symbolique, un vote favorable des Verts à la directive Services resterait ardu à défendre ; rappelons d’ailleurs que nous avons déposé un amendement de rejet global de la directive.

Par contre, dans le cas de figure improbable mais pas impossible où nous aurions gain de cause sur l’exclusion des services d’intérêt économique général (ou des services soumis à des obligations de service public) et sur la disparition du Principe du Pays d’Origine, nous devrions alors nous interroger sur un vote positif éventuel. Ce cas de figure reste le seul en fonction duquel, au moins théoriquement, un vote positif des Verts serait envisageable.
Une dernière éventualité doit être évoquée. A ce stade, il reste extrêmement improbable que notre amendement de rejet global soit adopté. Néanmoins, la possibilité de cette éventualité semble avoir un peu grandi ces dernières heures, vu l’insatisfaction d’une partie du PPE par rapport au "compromis". Il n’est pas impossible qu’aux voix des Verts, de la GUE, d’une partie du PSE, des souverainistes et de la droite de la droite s’ajoute un nombre suffisant de voix du PPE préférant un rejet pur et simple qu’un mauvais accord (de leur point de vue). Une très forte mobilisation syndicale pourrait aussi engendrer un effet "services portuaires"...

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