Point sur la directive Bolkestein

samedi 17 décembre 2005, par Webmestre

15/12/2005

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Point sur la mobilisation sur le projet de directive Bolkestein

L’importance du combat contre le projet de "directive sur les services dans le marché intérieur" renvoie d’abord au contenu de ce texte qui est une incitation à la concurrence entre les Etats et les peuples sur la base du moins disant social, d’une moindre protection des consommateurs, d’un abaissement des normes environnementales et de santé publique. Les services représentants 70 % du PIB de l’Union, l’enjeu est donc considérable. Mais ce combat s’inscrit aussi dans la suite du rejet du traité constitutionnel européen (TCE). Le débat sur ce projet de directive a été un moment décisif de la campagne référendaire et a contribué au basculement de l’opinion. L’impact de ce débat avait contraint le gouvernement et le président de la République à affirmer que ce projet était enterré. Le combat contre ce texte a donc valeur de symbole pour tous ceux qui se sont battus contre le TCE

Les amendements du Parlement européen

Loin de l’être enterré, ce texte a continué son chemin institutionnel. Relevant de la co-décision entre le Parlement européen et le Conseil, ce projet de directive sera voté en première lecture à Strasbourg le 14 février. Il a été amendé par la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO). Les amendements adoptés sont, pour l’essentiel, en trompe l’¦il et ne change rien au contenu réel de ce projet.

Le principe du pays d’origine (PPO) devient "clause du marché intérieur" sans que ce changement d’appellation n’entraîne réellement un changement de contenu. Le contrôle des entreprises se fera par le pays d’accueil, mais ce sera le droit du pays d’origine qui s’appliquera. Au-delà même du fait qu’il sera impossible aux autorités réglementaires et judiciaires de connaître le droit des 25 pays de l’Union, la logique du pays d’origine est donc maintenue.

Le droit du travail, y compris les conventions collectives, est exclu de la directive, semblant conforter ainsi le fait que la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs puisse s’appliquer. Si ce point peut sembler positif, il est loin de régler les problèmes. En effet, outre que cette directive est aujourd’hui déjà régulièrement contournée, le projet de directive Bolkestein comporte deux aspects décisifs qui ont été maintenus. D’une part, le prestataire de service n’est pas obligé d’informer l’Etat où il exerce, d’autre part il n’est pas obligé d’avoir un représentant dans ce pays. Comment donc s’exerceront les contrôles si l’administration n’est pas au courant de l’existence de l’entreprise et si par miracle l’entreprise se fait contrôler, à qui l’administration s’adressera puisqu’elle n’aura aucun interlocuteur ? Ces deux aspects, ainsi que le maintien dans le champ d’activité de la directive des agences d’intérim et la possibilité de faire appel à des faux travailleurs indépendants, vide, de fait, la directive sur le détachement des travailleurs de son contenu.

Si on excepte la santé et l’audiovisuel exclus du champ d’application de la directive, ce qui est positif, aucune clarification n’a été apportée sur les services publics. Ainsi, les missions d’intérêt général ne sont toujours pas explicitement exclues du champ d’activité de cette directive ni même du PPO et le texte contient toujours une longue liste de mesures incompatibles avec la liberté d’entreprendre et qui sont pourtant au fondement des politiques publiques.

Le processus d’adoption de la directive

Le projet de directive n’a donc pas été fondamentalement modifiée par le débat au Parlement européen. Le processus de codécision Parlement/ Conseil est complexe. A cette étape, la directive adoptée par le parlement va être examinée par le Conseil. Si le Conseil accepte ce texte modifié par le Parlement la directive est adoptée. La Commission peut cependant demander que le vote du Conseil se fasse à l’unanimité et non pas à la majorité qualifiée. On peut cependant penser que, vu que le texte d’origine n’a pas été fondamentalement modifié par rapport à son projet originel, la Commission s’abstiendra de le faire.

Si le Conseil refuse tout ou partie des amendements du Parlement et modifie le texte, le Parlement a trois mois pour se prononcer en deuxième lecture et un nouvel aller retour avec le Conseil se met en route s’il modifie le texte proposé. S’il y a blocage, un comité de conciliation se met en place. En bout de course, il faut l’accord du Parlement et du Conseil délibérant à la majorité qualifiée pour que la directive soit adoptée.

En résumé, la directive peut être adoptée assez vite après un vote en première lecture si le Conseil le décide. Sinon ça peut prendre pas mal de temps. Vu le côté sensible de la question, la tentation sera forte d’aller vite pour court-circuiter une mobilisation des opinions publiques, ce qu’indique l’attitude de la droite au Parlement européen.

Relancer un processus de mobilisation

Au-delà des diverses hypothèses possibles sur le calendrier institutionnel, il est clair qu’il y a urgence à relancer le processus de mobilisation. Faut-il, au vu des rapports de forces - droite majoritaire au Parlement et gouvernements libéraux -, se battre simplement pour des amendements où pour rejeter ce projet de directive ? En fait, les deux démarches ne sont pas contradictoires. Il est du rôle des parlementaires de gauche au Parlement de se battre pour amender le texte. Par contre, plus le mouvement pour rejeter ce texte sera fort, plus nous aurons de possibilité soit de le faire rejeter, soit que les amendements adoptés ne soient pas de pure forme et vident tout ou partie la directive de son contenu. La construction de rapports de force est donc dans tous les cas la question clef.

Il importe donc, dans cette situation, d’articuler mobilisation au niveau national et mobilisation européenne. Côté français, la mobilisation au niveau national est tout à fait décisive, au vu de la position de Chirac lors de la campagne référendaire. Le gouvernement français est aujourd’hui en porte à faux par rapport à ce texte et il faut en profiter. Une carte pétition, éditée sur l’initiative du Collectif du 29 mai, est disponible et peut permettre de relancer une campagne de masse. De plus, il faut amplifier la tenue de réunions publiques organisées de façon la plus unitaire possible comme cela avait été fait lors de la campagne référendaire. Il s’agit, par une mobilisation de l’opinion publique, de refaire de ce problème une question politique centrale. Peser spécifiquement sur le gouvernement français est décisif car la France peut avoir la capacité de bloquer avec d’autres pays l’adoption de cette directive si elle s’en donne les moyens politiques.

Au niveau européen, c’est l’échéance du vote en première lecture au Parlement européen qui doit nous mobiliser. Il aura lieu à Strasbourg le mardi 14 février. Il faut essayer de faire à cette occasion une manifestation européenne qui soit la plus massive possible. Au vu des difficultés pour mobiliser en semaine, la date la plus raisonnable pour cela semble être le samedi 11 février. Cette date correspond par ailleurs au v¦u, exprimé à Florence au mois de novembre lors de la réunion sur la Charte des principes d’une autre Europe, d’une manifestation européenne à Strasbourg le samedi précédent le vote. Une difficulté existe cependant car la CES semble privilégier l’hypothèse d’une initiative en semaine, prenant la forme de délégations syndicales au Parlement européen. Il faut donc très rapidement créer les conditions politiques pour faire converger toutes les initiatives. En tout été de cause, la décision d’une manifestation à Strasbourg le samedi 11 février devrait être prise avant la fin de l’année pour pouvoir se donner le temps nécessaire pour en faire un succès.

Pierre Khalfa

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