Manifeste : Commision : « Agriculture - Environnement - Eau »

dimanche 30 avril 2006, par Webmestre

Quoiqu’on en dise les politiques agricoles ne peuvent être réduites à la seule problématique des échanges internationaux et de leur (de)régulation. La régulation de l’usage du sol, i.e. les politiques foncières, ainsi que la distribution du soutien direct au revenu subissent également les vents de la dérégulation, du retrait de l’intervention publique et du lobbying des intérêts particuliers. Proposer des réponses concrètes applicables à court terme est l’objet de cette contribution au manifeste d’Attac.

Lutter contre l’érosion des régulations foncières

Avant toute chose, il faut signaler qu’être agriculteur ne signifie pas détenir des hectares de terre en propriété. Au contraire, près de 70% du foncier agricole français est en faire valoir indirect (c’est-à-dire en location) et force est de constater que la proportion de terres détenues par des agriculteurs en activité n’est pas en progression.

Pour comprendre les déterminants de la situation actuelle, il faut se replacer dans une perspective historique. Bien que les spécialistes du sujet différencient la structure de la propriété foncière française à la fin du XIXème siècle sur des gradients Nord-Sud et Est-Ouest, on peut simplifier le tableau en avançant que les propriétaires fonciers de l’époque n’exploitaient que rarement directement leur foncier et préféraient avoir recourt à des fermiers et métayers qui se différencient par la façon dont ils paient leur loyer. Si les premiers paient en espèces sonnantes et trébuchantes une somme fixe définie ex ante, les seconds s’engagent à délivrer une proportion de la production annuelle. Mais dans les deux cas, ils n’ont que peu d’assurances d’être reconduit à leur fonction l’année suivante.

C’est bel et bien pour lutter contre cette précarité et pour associer une stabilité suffisante à une modernisation nécessaire que les principales politiques de régulation foncière ont émergé au sortir de la seconde guerre mondiale. Initiée par Georges Monnet pendant le Front Populaire, mais réellement légiférée par François Tanguy-Prigent en août 1946, la réforme des statuts du fermage et du métayage s’inscrit dans la série des lois de modernisation sociale portées par le Conseil National de la Résistance. Le statut du fermage doit se comprendre comme un contrat où les droits du fermier sont renforcés face à ceux du propriétaire foncier. Il peut être résumé en quatre composantes : les baux ont une durée de 9 ans minimum et sont tacitement renouvelés au fermier ou à ses descendants ; les conditions de reprise par le bailleur sont très restrictives (participation effective aux travaux, occupation des bâtiments d’habitation de l’exploitation, etc.) ; les montants des loyers sont encadrés administrativement ; et si le bailleur décide de vendre ses terres, le fermier en place dispose d’un droit de préemption qui lui donne une priorité pour l’achat des terres qu’il cultive et lui permet même d’obtenir une révision de prix à la baisse en ayant recours aux différentes institutions foncières. Et si l’on ajoute à cela les politiques dites des structures qui visent notamment à décourager les agrandissements excessifs, on comprend comment une régulation promotrice de l’accès à la propriété des exploitants a favorisé la rémunération du travail face à celle du capital.

A quelques semaines de son 60ème anniversaire, cette loi a sans conteste atteint ses objectifs. La rente foncière est sous contrôle, le foncier est principalement entre les mains des exploitants et surtout des anciens exploitants. Mais dans ces temps où l’intérêt général est réduit à la somme des intérêts particuliers et où les dispositifs de solidarité intergénérationnelle sont rangés au rayon des vieilleries, le statut du fermage commence à connaître les affres de la dérégulation. Les débats autour de la dernière loi « d’orientation agricole » de l’automne 2005 ont montré que si les digues du statut du fermage tiennent encore du fait qu’il reste un acquis indiscutable pour la plupart des paysans, des brèches commencent néanmoins à se former. La principale, le bail cessible, a été justifiée sous des prétextes fallacieux (faciliter l’installation de jeunes hors cadre familial).

Ce nouveau contrat remet en cause la tacite reconduction des baux agricoles, offre la possibilité d’augmenter les montants des loyers et interdit le recours à la révision des prix. Fort heureusement, ce type de contrat reste facultatif et un bail traditionnel ne peut être modifié en bail cessible qu’avec l’accord du fermier. En outre, malgré la carotte que constitue la possibilité de vendre officiellement son bail, le bâton est bien trop gros pour que les fermiers ne foncent tête baissée. En revanche, il y a fort à parier, et c’est certainement le but non avoué, que d’actuels propriétaires-exploitants décident de proposer ce genre de contrat précaire. En bouclant la boucle, on peut alors être en droit de s’insurger face à des individus qui ayant profité de régulations favorables à la rémunération du travail et à l’accès à la propriété militent maintenant pour leur remise en cause après être passé de l’autre côté de la barrière.

En définitive, il convient de rester vigilant car sous des prétextes de libre-entreprise ou de simplification administrative, la paysannerie française n’est pas à l’abri de la dérégulation de ses politiques foncières. Déjà des voix s’élèvent pour demander à rendre obligatoire le passage en bail cessible ! Le recours aux ordonnances pour modifier le statut du fermage, introduit également avec la dernière loi, tout comme les concessions faites pour obtenir la cessibilité du bail doivent être abrogées au plus vite. Compte tenu de l’importance de cette régulation, toute modification doit être issue d’un débat parlementaire et non du catimini des couloirs ministériels co-gérés.

Stopper l’inéquité du soutien direct au revenu

Peut-on imaginer justifier un soutien au revenu qui soit distribué sans tenir compte des revenus réels des populations ainsi aidées ? C’est pourtant ce qu’il se passe actuellement dans le secteur agricole, et conduit à une répartition des aides où, en UE-15, 20% des agriculteurs s’accaparent 80% du soutien.

Avec les réformes successives que connaît la PAC depuis le début des années 90’, sont apparues des aides directes qui ont été distribuées pour compenser la baisse de prix consécutive au retrait partiel de l’intervention sur les marchés communautaires. Par conséquent, la distribution des aides entre exploitations agricoles est fonction des volumes produits lors de leur mise en place. Globalement, il en résulte que les plus gros chèques vont aux agriculteurs qui produisaient les plus gros volumes des productions les plus soutenues. Le problème vient alors du fait que près d’une décennie et demie après les premières réformes, la répartition de ces aides a faiblement évolué alors que :

1) une compensation à une sortie de régime de soutien par les prix perd sa légitimité avec le temps ;

2) l’intervention publique en agriculture tend à prendre maintenant la forme de politiques contractuelles pour la promotion de la protection de l’environnement et des ressources naturelles et du développement rural ;

3) les fonds octroyés à la principale politique européenne souffrent de la pingrerie des exécutifs actuels des membres de l’UE qui ne souhaitent que réduire le budget communautaire à peau de chagrin.

Dans l’état actuel des décisions communautaires, on sait que les fonds communautaires alloués au 2nd pilier (environnement + développement rural) pour la France (comme pour les autres pays de l’UE-15) subiront une baisse de 35% sur la période 2007-2013 relativement à celle de 2000-2006. En outre, sans ressource supplémentaire pour financer l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie, et la montée en puissance du soutien chez les nouveaux membres de 2004, mais également les dernières réformes en date (sucre, lait), on sait également que les soutiens directs au revenu (1er pilier) octroyés aux agriculteurs français diminueront de 15 à 20% (l’estimation précise ex ante est impossible) d’ici 2013 au nom de la discipline financière. Il en résulte que tous les agriculteurs français qu’ils touchent 800 ou 80 000 ? par mois subiront une baisse de leurs aides directes de ce pourcentage sans pour autant pouvoir justifier auprès de l’opinion ces montants qui ne correspondent plus au soutien d’une activité.

La proposition avancée consiste à faire porter la charge de cette réduction par les exploitations les plus aidées par actif. L’idée est de baser le soutien sur le nombre d’actifs afin que le soutien au revenu soutienne réellement le revenu ! Pour une mise en œuvre simple, il suffit d’établir une franchise par exploitation proportionnelle au nombre d’actifs (mettons 15 000 ?/actif) et de prélever les ressources nécessaires au respect de la discipline financière sur la partie excédent cette franchise. Dans un deuxième temps, il est même envisageable d’augmenter ce taux de prélèvement pour augmenter les ressources du 2nd pilier. Pour qu’il soit pleinement efficace, ce dispositif doit s’accompagner en parallèle d’une certaine dose de mutualisation des aides afin d’harmoniser le montant des droits à paiement à l’hectare.

Ainsi, on rectifierait l’inéquité du soutien tout en le rendant plus justifiable, et ce par au moins trois raisons. Premièrement, soutenir l’emploi peut être considéré comme un soutien indirect aux activités plus intensives en travail que sont les pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement et les activités de diversification qui comptent parmi les cibles des mesures d’un 2nd pilier balbutiant. Deuxièmement, baser la franchise unitaire sur le coût de l’emploi d’un travailleur est une mesure généralisable à l’ensemble de l’UE pour limiter les distorsions intracommunautaires. Enfin, soutenir directement l’emploi peut prendre les traits d’une politique anti-dumping social, le coût du travail en Europe étant souvent perçu par les paysans comme un boulet à traîner face à une concurrence qui rémunère beaucoup moins ses travailleurs.

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