CDD, intérim, CNE, CPE : quelles alternatives contre la précarité et le chômage ?

dimanche 9 avril 2006, par Webmestre

Pierre Concialdi, Thomas Coutrot, Michel Husson, Jean-Marie Harribey

CDD, intérim, CNE, CPE :

quelles alternatives contre la précarité et le chômage ?

Le mouvement social contre le CPE, d’une ampleur historique, constitue la première mobilisation d’ensemble de la jeunesse et du salariat contre le chômage et la précarité. Les salariés ont compris que le CPE, après le CNE, annonçait le " contrat unique " prôné par les néo-libéraux et le Medef, c’est-à-dire la liquidation du CDI. Cette convergence entre la jeunesse scolarisée, les salariés, les chômeurs et les précaires est la grande nouveauté du mouvement anti-CPE.

Depuis trente ans la précarisation de l’emploi, du travail, du logement, bref l’insécurité sociale ronge la société. Elle entrave les capacités de résistance et d’innovation sociale, affaiblit les mouvements sociaux. Les jeunes, mais aussi les femmes, les immigrés, et plus largement les salariés " d’en bas " (ouvriers, employés), sont particulièrement touchés. L’insécurité sociale met en péril la démocratie : la peur, le racisme, les replis identitaires font le jeu des partisans des " solutions " autoritaires.

La précarisation ne touche pas que l’emploi et les salaires : la course sans limites à une rentabilité financière absurde, imposée par le capitalisme mondialisé, amène les entreprises et les Etats à sacrifier aussi la santé des travailleurs, des habitants et de la planète.

La lutte contre le chômage et la précarité est donc un combat décisif pour Attac. Au delà de l’indispensable retrait du CPE, le mouvement social doit avancer ses propres solutions. La précarité ne saurait en aucun cas être une réponse au chômage. On ne pourra éliminer le chômage et la précarité sans remettre en cause le partage des richesses imposé par le capitalisme financier. Il faudra des politiques macroéconomiques énergiques pour développer des activités répondant aux défis sociaux et écologiques, aujourd’hui immenses. Il faudra une politique vigoureuse de réduction du temps de travail. Mais comme l’a montré l’expérience des 35 heures, ces politiques peuvent rater largement leur objectif, accélérer la dégradation des conditions de travail et la course au productivisme, si elles ne s’accompagnent pas d’une intervention directe des salariés et des citoyens. De nouvelles règles sont nécessaires, sur le marché du travail et dans les entreprises, pour imposer les créations d’emploi nécessaires, éradiquer la précarité, réorienter les choix en matière d’organisation du travail et de la production. Elles supposent des avancées considérables de la démocratie dans les entreprises et sur le marché du travail. Il s’agit simplement de rendre effectif le droit à l’emploi théoriquement inscrit dans la Constitution. Pas n’importe quel emploi : un emploi stable, normalement rémunéré, avec des conditions de travail décentes, pour des productions utiles et soutenables. C’est possible : pour contribuer au débat, Attac avance ses analyses et ses propositions.

1. La flexibilité est déjà là

Selon le Medef et le gouvernement, le marché du travail serait trop rigide en France. Les entreprises seraient " paralysées " par l’excès de réglementations. " La liberté de faire ou même la liberté de penser finissent là où commence le droit du travail .", déclarait en février 2005 Laurence Parisot, peu avant son élection à la présidence du Medef.

Pourtant, depuis 20 ans, les politiques n’ont cessé de déréguler le marché du travail, qui est aujourd’hui gangrené par la précarité. La flexibilité existe déjà massivement avec l’intérim, les CDD, le temps partiel, les stages et contrats aidés. Ces emplois précaires se sont multipliés depuis 20 ans : leur nombre a augmenté de 2,5 millions, sans que le chômage ne baisse.

Chaque année, plus de 4 millions de CDD sont conclus ; en moyenne, 1 700 000 salariés sont sur des CDD. Et les entreprises d’intérim déclarent 13 millions de missions d’intérim. Chaque jour, 500 000 salariés sont au travail sur une mission d’intérim. Les jeunes constituent la majorité de ces précaires.

Chaque année, plus de 400 000 titulaires de CDI sont licenciés, les trois quarts pour " motif personnel ", un quart pour " motif économique ". Dans neuf cas sur dix (c’est-à-dire hormis pour les plans sociaux), les procédures sont très simples : un entretien puis l’envoi d’une lettre de licenciement précisant les motifs. Le coût du licenciement d’un CDI dans les deux premières années est quasiment nul. Ensuite il augmente progressivement et peut représenter 1 à 2 ans de salaire pour des salariés ayant une certaine ancienneté. Pas de quoi ruiner des groupes qui croulent sous les profits.

" Oui, c’est facile de licencier, mais ensuite on risque gros devant les tribunaux ", répondent les avocats de la flexibilité. C’est la fameuse " insécurité juridique " dont le Medef ne cesse de se plaindre. Il est vrai que quelques rares plans de licenciements économiques (dit " plans de sauvegarde de l’emploi "...) ont été annulés par les juges pour n’avoir pas respecté les procédures formelles. Mais les entreprises concernées se sont rapidement mises en conformité avec la loi et ont licencié. En outre, les juges civils n’ont leur mot à dire que sur les plans sociaux, qui ne concernent que les paquets de plus de 10 licenciements économiques dans les grandes entreprises, soit à peine plus de 10% du nombre total de licenciements. Qui plus est, ces licenciements économiques ne sont contestés que dans 5% des cas ! Concernant les autres licenciements (pour " motif personnel "), seulement un sur cinq fait l’objet d’une contestation devant les prud’hommes. L’augmentation récente des litiges résulte uniquement de l’envolée de ces " licenciements pour motif personnel " : + 60% entre 2000 et 2003.

Car les DRH ont appris à contourner la législation sur les plans sociaux pour remplacer les licenciements économiques par des licenciements pour faute ou pour insuffisance professionnelle.

Avec le CNE et le CPE, Villepin a voulu rassurer les chefs d’entreprise en supprimant l’obligation de motiver le licenciement. Mais la " rue " l’a renvoyé dans ses buts. En outre, par un retour de bâton, le CNE pourrait bien accroître l’insécurité juridique des employeurs, comme en témoigne le contentieux qui est en train de se former. Voilà une raison supplémentaire pour le Medef d’exiger une nouvelle cure d’amaigrissement pour le Code du travail : qui veut noyer son chien... Mais c’est la notion même d’insécurité juridique qui est contestable : qui se plaint de celle qui frappe les voleurs de sacs à main réprimés par le système judiciaire ?

2. La flexibilité n’augmente pas l’emploi mais les profits financiers

Le gouvernement prétend vouloir lutter contre le chômage des jeunes. Mais personne ne peut prendre au sérieux ces déclarations d’intention. Le CNE et le CPE, pas plus que le CDD et l’intérim par le passé, ne créeront le moindre emploi supplémentaire.

L’impact du CNE sur l’emploi : trucages et bidonnages

Pour prouver les vertus de la flexibilité, Villepin et Borloo s’appuient sur le " succès du CNE " : près de 400 000 embauches sous CNE d’août 2005 à mars 2006. Ils ont d’abord prétendu que ces emplois n’auraient pas été créés si le CNE n’avait pas existé. Or chacun sait que sans le CNE, ces emplois auraient été créés pour l’essentiel en CDD. Ils ont ensuite affirmé - sur la foi d’un sondage auprès de patrons de PME - qu’un tiers des embauches en CNE correspondent à des nouveaux emplois. Puis une étude " scientifique " de MM. Cahuc et Carcillo, largement reprise par la presse, a prétendu que le CNE, s’il était généralisé à toutes les embauches nouvelles, créerait 80 000 emplois. Ce chiffre été repris hâtivement par l’Insee. En fait tout indique aujourd’hui que l’emploi n’augmente pas plus vite dans les petites entreprises, et que le bilan du CNE en termes d’emplois créés est catastrophique.

Déjà, en 1987, le CNPF avait promis la création de 400 000 emplois (sic) grâce à la suppression de l’autorisation administrative du licenciement (depuis 1975, l’Inspection du travail devait statuer sur la légalité de chaque licenciement). On les attend toujours...

Les comparaisons internationales le montrent : il n’y a pas de lien entre la flexibilité de l’emploi et les performances du marché du travail. Parmi les pays européens qui ont apparemment de bonnes performances en matière de chômage, certains sont caractérisés par des contrats de travail protecteurs : c’est le cas de la Suède où le licenciement est fortement encadré. D’autres, comme le Royaume-Uni, ont au contraire beaucoup de flexibilité. L’emploi a certes progressé au Royaume-Uni, mais pas beaucoup plus vite qu’en France, et le recul du taux de chômage est surtout dû au découragement de nombreux chômeurs qui ne recherchent plus d’emploi, ainsi qu’au gonflement de la catégorie des " invalides ".

Quant au fameux " modèle " danois dont on parle beaucoup ces derniers temps, et qui combine une grande facilité de licencier avec des indemnités de chômage très élevées, c’est sans doute un modèle intéressant, mais il existait déjà au début des années quatre-vingt-dix lorsque le Danemark avait un chômage à deux chiffres. En outre, de 1993 à 2003, avec cette fameuse " flexicurité ", l’emploi a augmenté de 6% au Danemark alors que la France, avec son " modèle social " soi-disant désuet et ses 35 heures, n’a créé " que " 11% d’emplois supplémentaires... C’est en gonflant les préretraites et les stages de formation que le Danemark a réduit son chômage, tout comme les Pays-Bas en attribuant le statut d’invalide à 12% de leur population active.

En fait, sous la contrainte des rendements financiers exorbitants exigés par le capitalisme actionnarial, les entreprises doivent partout mettre au placard des millions de salariés jugés " inemployables " et précariser les autres, qui peuvent encore prétendre à un emploi. Qu’ils soient chômeurs de longue durée (en France), invalides (aux Pays-Bas) ou découragés (au Royaume Uni), qu’ils soient CDD, intérimaires ou sur des contrats " jetables ", les exclus et les précaires sont les victimes du même système économique impitoyable qui ne prend en considération que la rentabilité financière de court terme. Il s’agit de faire supporter intégralement le risque du marché par les salariés. Les actionnaires et les donneurs d’ordres ne veulent voir leurs profits se réduire quand l’activité faiblit : ils exigent de pouvoir répercuter immédiatement les aléas des marchés sur leurs salariés et leurs sous-traitants. La précarisation est le moyen de soutenir et de stabiliser les niveaux extravagants de rentabilité atteints aujourd’hui par les grands groupes financiers.

Même l’OCDE, qui vante depuis de nombreuses années les mérites de la flexibilité, a dû reconnaître dans un rapport de 2004 qu’il est impossible de mettre en lumière un impact positif sur le chômage des réformes encourageant la flexibilité du marché du travail. Loin de constituer un marchepied vers l’emploi stable, ces emplois précaires débouchent de plus en plus souvent sur un autre emploi précaire. De même, on observe une persistance accrue du phénomène des bas salaires : la probabilité de sortir des bas salaires ou du chômage a diminué depuis vingt ans. Autrement dit, loin de résorber le chômage et de favoriser l’emploi, le développement de la flexibilité du marché du travail et les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires ont conduit au développement de ce que l’on appelle les " trappes " à pauvreté et à bas salaires.

Ce qu’ils disaient avant le CPE...

" Il est impossible de mettre en lumière un impact positif sur le chômage des réformes du marché du travail dans le sens de la flexibilité et de la fluidité ".

(OCDE, Perspectives de l’emploi, 2004)

" Force est de constater que cette plus grande flexibilité de l’emploi n’a pas permis une réduction significative du chômage "

(Le sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France. Groupe de travail présidé par Michel Camdessus, 2005)

La précarité permet au patronat d’externaliser le plus possible le coût de la main-d’œuvre et de ne payer que le temps de travail immédiatement productif. Il en résulte des " miettes d’emploi " qui ne permettent pas de vivre. Aujourd’hui, plus de 30% des personnes inscrites à l’ANPE travaillent (contre 5 % au début des années 1990). Mais vu la précarité de leur emploi, elles restent inscrites à l’ANPE en espérant pouvoir en trouver un autre. Le coût de la précarité est donc reporté sur la collectivité ou directement supporté par les individus concernés.

Il ne s’agit donc plus d’accepter un peu plus de précarité en contrepartie d’un peu moins de chômage. Ce faux dilemme n’a été qu’un prétexte pour affaiblir un peu plus un salariat miné par le chômage. Il s’agit de lutter à la fois contre le chômage et la précarité.

3.Après le CNE et le CPE, voici le " contrat unique " pour tous les salariés

Après les salariés des petites entreprises et les jeunes, les autres salariés vont aussi y passer. C’est un secret de Polichinelle : chez les libéraux, de plus en plus de voix dénoncent la multiplication des types de contrats de travail, et plaident pour un " contrat de travail unique ", évidemment aligné sur le CNE et le CPE. L’OCDE le dit par la voix de son économiste en chef Jean-Philippe Cotis : " Le CPE, tel qu’il est, ne peut être qu’une première étape vers une unification des contrats de travail, car au bout de deux ans on entre à nouveau dans l’ancien système [celui du CDI] dont on pense qu’il est trop restrictif". Dominique de Villepin l’a confirmé dans un entretien au " Monde " du 30/03/06 : " j’ai pensé que la Valda passerait mieux avec le CPE qu’avec le contrat unique ".

Car le véritable objectif du CNE et du CPE n’est pas seulement de précariser l’emploi des jeunes - tant il est vrai que c’est déjà largement fait -, mais aussi et surtout de faire passer la pilule du contrat unique. Le CNE et le CPE permettent d’enclencher une véritable régression historique qui vise beaucoup plus largement le CDI.

Le statut protecteur du CDI est une conquête relativement récente. Il a fallu attendre 1973 pour voir apparaître en France un cadre légal et réglementaire concernant le licenciement individuel. Avant, c’était au salarié d’apporter la preuve du caractère abusif du licenciement prononcé par son employeur. On imagine les difficultés des salariés devant les tribunaux, par exemple lorsqu’il faut mobiliser les témoignages de camarades de travail eux-mêmes soumis(e)s à la pression de l’employeur. Car il existe une dissymétrie fondamentale dans la relation d’emploi entre l’employeur et le salarié : l’employeur dispose du pouvoir d’organiser le travail, et de révoquer le contrat de travail. Le salarié peut certes démissionner, mais encore faut-il que le marché du travail lui permette de trouver ailleurs un emploi aussi bien rémunéré.

Le CPE, un contrat moderne ?

Extrait du règlement intérieur des usines Renault en 1906.

" Art. 7 : Débauchage : Les ouvriers pourront quitter la Maison une heure après avoir prévenu le contremaître.

Réciproquement, la Maison se réserve le droit de remercier sans indemnité les ouvriers en les faisant prévenir par le contremaître une heure d’avance "

Source : François Weiss, Les relations du travail, tome 1, Cujas, 1988.

La loi de 1973 oblige l’employeur à invoquer une " cause réelle et sérieuse " pour justifier le licenciement. " Réelle " : il doit s’agir d’une cause objective, reposant sur des faits précis et exacts. Sérieuse : il ne peut s’agir d’une faute légère, ou d’une difficulté économique passagère. La loi n’oblige cependant pas l’employeur à apporter la preuve de la faute réelle et sérieuse au salarié, mais laisse aux tribunaux le soin de trancher les éventuels litiges.

On cherche donc en vain la " modernité " dans des dispositifs comme le CNE et le CPE. Banaliser le licenciement sans cause réelle ni sérieuse, c’est simplement démanteler la loi de 1973 et liquider le CDI. Les salariés et leurs organisations syndicales ne s’y sont pas trompés, comme en témoigne leur très large participation au mouvement anti-CPE et l’unité inédite réalisée à cette occasion entre les organisations de jeunes et de salariés.

Ce bouleversement annoncé du Code de travail ne tombe pas du ciel. Il a été préparé depuis deux ans par de nombreux rapports et de nombreuses innovations dans les formes de contrats de travail. Aujourd’hui, l’idée du " contrat unique " fédère un large éventail d’acteurs, à droite et même à gauche.

Un projet soigneusement orchestré

Janvier 2004 : Michel de Virville, secrétaire général du groupe Renault, remet son rapport pour un Code du travail " plus efficace ", où il préconise notamment la mise en place de " contrats de projet ".

Mars 2004 : Le MEDEF publie 44 propositions pour " moderniser " le Code du travail.

Mai 2004 : La loi relative à la " formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social " (ouf !) crée le contrat de professionnalisation qui remplace les contrats de qualification, d’orientation et d’adaptation existants.

Octobre 2004 : le rapport Camdessus se prononce pour un " contrat unique "

Décembre 2004 : le rapport Cahuc-Kramarz fait de même, en proposant également une taxe sur les licenciements en échange de la suppression du contrôle du juge sur les causes du licenciement

Janvier 2005 : La loi de programmation pour la cohésion sociale abroge les CES et les CEC et crée le contrat d’initiative rénové, le CAE (Contrat d’accompagnement dans l’emploi) et le Contrat d’avenir.

Mars 2005 : la " Convention sur la question sociale " de l’UMP se prononce en faveur du rapport Cahuc-Kramarz et du contrat unique

Juin 2005 : Dominique de Villepin annonce son " plan d’urgence " pour l’emploi. Rappelons qu’en 1986, le gouvernement Chirac lançait déjà un " Plan d’urgence pour l’emploi des jeunes "....

Août 2005 : Ordonnance créant le CNE.

Avril 2006 : promulgation par le Président de la République de la loi " pour l’égalité des chances " instituant le CPE

L’idée peut paraître à première vue séduisante : il s’agirait de " lutter contre les inégalités " entre CDD, intérimaires et CDI, entre salariés précaires et salariés protégés, en instituant un contrat de travail unique qui serait peu protecteur dans les premiers mois mais donnerait progressivement plus de droits au salarié. Certains libéraux (comme Cahuc et Kramarz) préconisent même de taxer les licenciements pour inciter les entreprises à prendre en compte le coût social de leurs décisions : en effet il n’est pas normal qu’une entreprise puisse se débarrasser d’un salarié et reporter entièrement le coût de sa décision sur le régime d’assurance-chômage et donc la collectivité.

Là où le bât blesse, c’est d’abord que le Medef n’a évidemment aucune intention de renoncer au CDD et à l’intérim, que les partisans du contrat unique ne proposent d’ailleurs pas d’interdire. Le nouveau contrat n’aura donc d’unique que le nom. C’est aussi et surtout que le contrat unique signifie la fin de la " cause réelle et sérieuse ", et la généralisation de l’arbitraire patronal. Au nom de l’argument selon lequel le juge n’aurait pas les compétences pour juger les décisions des gestionnaires de l’entreprise, il sera dessaisi de ses responsabilités en la matière. Les entreprises auront toute liberté pour licencier à leur guise, moyennant le paiement d’une taxe calculée bien sûr de façon à ne pas nuire à leur compétitivité... Ce sera aux salariés de plaider devant le juge que le licenciement a été abusif ou discriminatoire et d’en apporter la preuve. Le " noyau dur " du CDI, dont les règles protègent encore la majorité des salariés du secteur privé, aura ainsi explosé. Tous les salariés deviendront jetables du jour au lendemain. La menace permanente du licenciement arbitraire portera le coup de grâce aux capacités de résistance et d’organisation collective des salariés.


4. Eliminer le chômage et la précarité : c’est possible

Aujourd’hui, le chômage et la précarité découlent de la même source : la loi de la rentabilité maximum et immédiate pour les titulaires de revenus financiers. Les néo-libéraux et le Medef prétendent qu’il faut réformer le marché du travail pour créer des emplois. C’est un mensonge. On ne pourra ni éliminer le chômage, ni éradiquer la précarité, sans remettre en cause les règles du jeu dictées par la finance. Contrairement aux promesses inlassablement répétées, l’envolée des profits ne s’est pas traduite par une progression de l’investissement et donc de l’emploi. Car les profits sont redistribués aux actionnaires qui les réinvestissent dans la spéculation boursière, alors que les salaires et la consommation stagnent. C’est ce cercle vicieux qu’il convient de briser pour rendre plus dynamique la création d’emplois, non pas bien sûr en relançant " la croissance pour la croissance ", mais en orientant l’investissement vers les besoins sociaux et écologiques.

* un CDI ou un statut pour tous :

il faut abroger immédiatement les dispositifs qui institutionnalisent la précarité (CNE-CPE). La norme du contrat de travail doit être le CDI (contrat à durée indéterminée) à temps plein, le CDD et l’intérim doivent être interdits. Les branches professionnelles (spectacle...) ou territoriales qui le souhaitent pourront négocier un statut du salarié intermittent, qui devra garantir le maintien du revenu entre deux missions, comme le propose la Coordination des intermittents et des précaires ; ce dispositif doit être financé par les entreprises qui y recourent. Il faut instaurer le droit au passage à temps plein pour tous les salariés, très majoritairement des femmes, qui subissent des contrats à salaire partiel ; il faut aussi supprimer les exonérations pour les emplois à temps partiel et majorer fortement les heures complémentaires. Pour lutter contre la précarité, il est nécessaire d’élargir les droits des salariés des grands groupes aux salariés des sous-traitants, dans les domaines de l’emploi, des salaires, des institutions représentatives, de la négociation collective, de la santé-sécurité... ; il faut aussi doubler les effectifs de l’Inspection du travail pour faire respecter le Code du travail.

* lutter contre toutes les discriminations :

l’égalité professionnelle doit être assurée indépendamment du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’origine, de l’état de santé... Le CPE a été imposé dans le cadre d’une soi-disant " loi pour l’égalité des chances" suite à la révolte des banlieues de novembre 2005. Le gouvernement a prétendu que le CPE ne concernait pas les étudiants ni les salariés qualifiés mais les jeunes des banlieues sans qualifications. Or on sait que les discriminations au faciès empêchent l’accès au travail de centaines de milliers de jeunes ou moins jeunes. Ce n’est pas par la précarisation qu’on pourra lutter contre les discriminations, mais par de multiples actions de sensibilisation et une répression systématique des comportements abusifs des employeurs. Il faut aussi renforcer considérablement l’action des services publics (emploi, éducation, transports, logement...) dans les quartiers défavorisés, trop souvent laissés à l’abandon.

* privilégier les alternatives aux licenciements et renforcer la réglementation :

il faut d’abord supprimer les aides publiques aux entreprises qui licencient pour accroître leurs bénéfices, et leur faire payer une " restitution sociale " évaluée en fonction des rémunérations des emplois supprimés. Le licenciement économique doit être subordonné à la nécessité de préserver l’existence de l’entreprise, et non pas son niveau de rentabilité. L’obligation de reclassement des salariés doit être renforcée. De nouveaux droits doivent être accordés aux salariés et à leurs élus : droit de veto du Comité d’entreprise (ou obligation de négocier et de parvenir à un accord d’entreprise majoritaire) sur les plans de suppressions d’emploi. Les pouvoirs publics doivent favoriser la reprise des entreprises viables par leurs salariés sous forme de coopérative ou de SCIC (société coopérative d’intérêt collectif, associant salariés et parties prenantes extérieures) gérées démocratiquement. - créer une Sécurité sociale professionnelle, gérée démocratiquement : le droit au revenu et à la formation doivent être déconnectés de l’emploi dans une entreprise particulière. En cas de suppression d’emploi justifiée, si l’entreprise ne peut véritablement pas assurer le reclassement du salarié, la Sécurité sociale professionnelle doit l’organiser dans la branche ou le bassin d’emploi, en assurant le maintien du niveau de qualification et en garantissant la rémunération pendant les périodes de recherche d’emploi ou de formation. Cette Sécurité sociale professionnelle résultera de l’unification de l’Unedic et de l’ANPE dans un véritable service public de l’emploi, dont les usagers (les représentants des employeurs, les syndicats de salariés, les associations de chômeurs) seront parties prenantes, à l’exclusion des agences d’intérim et autres opérateurs privés. Elle sera financée par une cotisation acquittée par les entreprises et proportionnelle au degré d’instabilité de leur main-d’œuvre : les entreprises qui licencient ou précarisent leur main-d’œuvre seront ainsi pénalisées. L’Etat y contribuera pour co-financer des droits de tirage sociaux attribués à chaque salarié pour une durée garantie, par exemple 5 ans au cours de la vie active.

* instaurer un revenu minimum décent, un véritable " revenu de résistance " :

il est urgent d’unifier tous les minima sociaux à un niveau permettant de vivre, et en aucun cas inférieur à 80% du SMIC. Ce revenu minimum doit être un droit individuel, et non pas lié à la situation familiale. Il doit évoluer dans le temps comme le salaire moyen. Les chômeurs ne sont pas responsables du chômage, le service public de l’emploi doit cesser de les culpabiliser et de les harceler : c’est aux entreprises de proposer des emplois attractifs en termes de conditions de travail et de salaires. Un revenu minimum décent permettra en même temps le développement d’activités autonomes, autogérées, coopératives, solidaires, libérant les facultés d’agir de chacun, réduisant la pression du chômage et de la précarité sur les conditions de vie et de travail de tous, dans les entreprises comme en dehors.

* mener une politique économique orientée vers la satisfaction des besoins sociaux et écologiques :

il faut mettre en œuvre des politiques de développement des services publics et des équipements collectifs (santé, éducation, petite enfance, personnes âgées, transports collectifs, logement social), des énergies renouvelables et des économies d’énergie, de la recherche fondamentale et appliquée. Il faut en finir avec le " pacte de stabilité " européen, réformer la Banque centrale européenne pour pouvoir monétiser les dépenses collectives, augmenter le budget européen par une taxation des transactions et des revenus financiers.

* réduire le temps de travail :

la réduction du temps de travail permet à court terme de créer massivement des emplois, et à moyen terme d’affecter les gains d’efficacité économique au gain de temps libre plutôt qu’à l’accumulation de biens matériels. C’est donc une mesure socialement et écologiquement décisive. Les 35 heures ont créé 500 000 emplois entre 1998 et 2001 mais auraient pu en créer trois fois plus. Il faut généraliser immédiatement les 35 heures hebdomadaires à tous les salariés (en accordant si nécessaire des facilités pour favoriser les mutualisations d’emplois pour les petites entreprises) ; programmer le passage aux 32 heures puis aux 30 heures dans les cinq ans ; imposer des créations d’emploi au prorata de la RTT de façon à limiter le risque de flexibilisation et d’intensification du travail.

* revaloriser le SMIC à 1500 euros mensuels et indexer le SMIC et de tous les bas salaires sur l’évolution de la productivité :

c’est la quasi-stagnation des salaires depuis 25 ans qui déprime la demande et freine la création d’emplois. Les pays (tels le Royaume-Uni ou l’Espagne) où les salaires ont suivi les gains de productivité sont aussi ceux qui ont créé le plus d’emplois au cours des 10 dernières années. Tous les salariés proches du SMIC doivent bénéficier à la fois de cette indexation et de la RTT, ce qui permettra d’inverser la tendance à la hausse de la part des profits dans la valeur ajoutée. Les salariés les mieux rémunérés amélioreront prioritairement leur situation par le biais de la RTT.

* exiger la fixation de normes européennes :

il faut retirer définitivement la directive sur la libéralisation des services (Bolkestein) et de celle en projet sur le temps de travail ; fixer un SMIC dans chaque pays et établir un calendrier de convergence de ces SMIC ; harmoniser progressivement par le haut (dans un délai de 5 à 10 ans) les normes sociales en matière de droits, de protection et de conditions de travail.

* financer l’élimination du chômage et de la précarité par la décroissance des revenus financiers :

tous les revenus financiers distribués dans les entreprises (dividendes, stocks-options, primes d’intéressement) doivent être soumis à cotisations sociales, puis plafonnés de telle sorte que l’échelle des rémunérations dans les entreprises ne dépasse pas 1 à 5. Il faut augmenter les cotisations sociales pour financer les régimes de protection sociale, et réformer la fiscalité pour la rendre plus progressive.

* instaurer une écologie du travail :

l’intensification du travail et la souffrance au travail rendent beaucoup d’emplois tout simplement insoutenables. Il faut d’abord imposer une reconnaissance effective des maladies professionnelles (cancers, troubles musculo-squelettiques, troubles dépressifs, aujourd’hui massivement occultés par les entreprises et la Sécurité sociale) ; il faut également pénaliser les entreprises qui rendent leurs salariés malades ; mais surtout, renforcer les moyens des collectifs de travail et des élus du personnel (DP, CE, CHSCT) (formation, expertise) pour instaurer un droit de regard sur les conditions et l’organisation du travail.

* imposer aux entreprises des critères écologiques et sociaux :

les élus des salariés, en association avec les parties prenantes extérieures (collectivités territoriales, associations de riverains et de défense de l’environnement, associations de malades...), doivent disposer de nouveaux droits démocratiques afin de contraindre les entreprises à prendre en compte les conséquences des choix des technologies et des productions sur la santé des salariés, des populations, et sur l’environnement. Il faut imposer une responsabilisation sociale et environnementale des entreprises : chaque entreprise doit produire un rapport annuel détaillé et chiffré, avec des indicateurs standardisés, sur les conséquences sociales (salaires, emploi, égalité professionnelle, conditions de travail, santé au travail) et environnementales (déchets, rejets polluants, émissions de GES,...) de son activité et de celle de ses sous-traitants, en Europe et dans le monde. Il faut organiser un système à financement public d’information et de vérification des rapports annuels des entreprises, et organiser l’information des consommateurs sur les coûts sociaux et écologiques des produits et des services.- démocratiser le fonctionnement des entreprises : contre la " gouvernance " au seul profit des actionnaires, les élus des salariés doivent disposer d’un droit de regard (obligation de négocier et de parvenir à un accord), en association avec les parties prenantes extérieures, sur les choix stratégiques de production et d’investissement (nature, localisation...) ; les Conseils d’Administration doivent être ouverts largement aux représentants élus des salariés.

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