Cours-débat du 21 janvier 2004 RMA : du droit au travail au travail obligatoire ? avec Evelyne Guirriec

jeudi 19 février 2004, par EG

Cours-débat du mercredi 21 janvier 2004

Thème : RMA : du droit au travail au travail obligatoire

Intervenante : Evelyne Guirriec

Présentation :

Le RMA mais aussi toutes les mesures prises depuis un an concernant l’indemnisation des salariés privés d’emploi - réduction de la durée d’indemnisation Assedic et ASS, modification du statut des intermittents du spectacle, mise en place du chèque emploi entreprise...- s’inscrivent dans le même processus de casse de l’Etat social engagé depuis bientôt trente ans au nom de la concurrence mondialisée. Il s’agit de diminuer encore et toujours le coût du travail non pour favoriser la reprise de l’emploi mais afin d’accroître la rémunération du capital investi dans l’entreprise. Le nombre des chômeurs augmente et leurs conditions d’existence s’aggravent, de même que s’étend la précarisation d’une part toujours grandissante des salariés en poste, de plus en plus soumis à la "pression". Mais les esprits ont été préparés et désormais les chômeurs se considèrent et sont considérés comme responsables et coupables de leur état tandis que l’esprit de compétition triomphe, offrant à ceux qui ont encore un emploi l’espoir illusoire d’accéder un jour au cercle admiré des "gagnants". Le RMA, remettant en question le droit au travail librement choisi, mais aussi le droit du travail et la protection sociale, introduit une inégalité entre salariés. Dès lors, le contrat social est rompu, faisant du RMAste un citoyen de seconde zone.

Cette première mise en perspective de ces mesures montre bien l’urgence pour le citoyen de se réapproprier la réflexion sur l’emploi et plus largement celle sur le travail.

Texte de l’intervention :

Quelques chiffres

Chiffres du chômage

Situation à la fin du mois de novembre 2003

Catégorie 1 (demandeurs d’emploi qui recherchent un CDI y compris ceux qui ont exercé au cours du mois une activité de 78 heures au plus) : 2 435 000 inscrits
· en baisse sur un mois de 0,2 %
· en hausse sur un an de 6,2 %
C’est la seule catégorie qui apparaît dans les statistiques publiées chaque mois. Ces dernières ne reflètent donc qu’une partie de la réalité du marché du travail.
Sont recensés par le ministère du travail mais n’apparaissent pas dans les statistiques :
Catégorie 2 (demandeurs d’emploi qui recherchent un emploi à plein temps ou à temps partiel) : 453 000
Catégorie 3 (demandeurs d’emploi qui recherchent un emploi à temps partiel) : 300 000 ou un contrat d’intérim : 290 000
Hors catégorie (demandeurs d’emploi inscrits qui recherchent un meilleur emploi mais qui ont travaillé plus de 78 heures dans le mois) : 570 000
Total : 3 888 470

Perspectives

L’Insee prévoit un retour de la croissance en 2004. 20 000 postes seront créés par trimestre ; ce sera néanmoins insuffisant pour inverser la courbe du chômage ou même la stabiliser. Il y aura 35 000 créations nettes d’emplois dans le secteur marchand alors que 100 000 emplois ont été détruits dans le privé au cours de l’année 2003.

Facteurs d’augmentation du chômage :

- 113 600 emplois jeunes vont disparaître

- suppression de milliers de postes de fonctionnaires

Facteurs de stabilisation du chômage :

- La hausse de la population active va ralentir pour des raisons
>>> démographiques (diminution de la natalité après le baby-boom),
>>> entrée tardive sur le marché du travail,
>>> départ en retraite des salariés qui ont commencé à travailler à 14, 15, 16 ans (500 000 personnes selon François Fillon, ministre du travail et des affaires sociales, d’ici 2008)
1998 - 2002 = 5 années de forte augmentation - 270 000 actifs supplémentaires par an
2003 - 2007 = hausse moyenne de 70 000 actifs par an

- à partir du 1er janvier 2004, sortie de 392 000 ASS : ces chômeurs en fin de droits risquent de passer au RMI et ne seront plus comptabilisés dans les statistiques.

Commentaire de l’Insee : « La faible croissance de la population active potentielle conjuguée à une légère progression de l’emploi total permettrait d’interrompre la hausse du chômage au cours du 1er semestre ». D’où l’optimisme du ministre du travail et des affaires sociales François Fillon puisque les chiffres sur le papier seront favorables au bon moment, celui des élections régionales et européennes.

Avertissement de Laure Maillard, Caisse des dépôts et consignations : « Attention, des gens qui ne travaillent plus, ne produisent plus, c’est de la croissance potentielle en moins ».

Conclusion : En apparence, les chiffres pourront paraître assez bons mais le taux de chômage restera quand même supérieur à celui de 2003. Quant à la réalité vécue par les chômeurs et précaires...

Chiffres de la précarité

Les minima sociaux (allocation adulte handicapé, allocation de parent isolé, allocation d’insertion, ASS, RMI et bientôt RMA) sont versés à 3 millions de bénéficiaires environ et concernent une population - ayants droit compris - de près de 6 millions de personnes. Parmi eux les RMIstes étaient 965 000 en juin 2003. Si l’on y ajoute les intermittents du spectacle, les salariés à temps partiels, en contrat emploi solidarité, en formation et en pré-retraite, la précarité concerne 14 millions de personnes en France. Depuis le 1er janvier, le nombre des chômeurs indemnisés est passé de 53,7 à 45,3%... et c’est autant de demandeurs d’emploi qui disparaissent des statistiques du chômage...

Les mesures

Ouest-France titre « l’année commence mal pour les pauvres ! » Et Claire Villiers, syndicaliste SNU-ANPE et actuelle présidente d’AC ! interroge : « Pourquoi tant de haine ? », elle ajoute : « les décisions prises à l’encontre des chômeurs en cet automne 2003 sont d’une ampleur inégalée : on pourrait dire qu’il s’agit du plus grand « plan de licenciements » jamais connu dans ce pays : environ un million de personnes vont se voir supprimer leurs allocations, donc leur moyen de vivre (ou de survivre...) dans les deux ans à venir par le jeu cumulé des réformes de l’Unedic, de l’ASS, du RMI et n’auront plus rien, ou dépendront de leur famille. »

La « réforme » du statut des intermittents du spectacles

Le protocole d’accord qui a été adopté en juin dernier modifie leur régime d’indemnisation : avant il fallait avoir travaillé 507 heures en 10 mois pour être indemnisé, aujourd’hui 507 heures en 6 mois (régime général des salariés : 920 heures en 8 mois).
90 000 intermittents sont concernés par cette mesure : ils ne travaillent pas assez (ne font pas assez de « cachets »), vont perdre leur statut et ne seront plus indemnisés.

La convention Unedic du 20 décembre 2002

Elle a été signée par une partie des partenaires sociaux : patronat, CFDT, CFTC et CFE-CGC. Elle a pris effet au 1er janvier 2003 pour les nouveaux chômeurs et en janvier 2004 pour ceux qui étaient déjà en cours d’indemnisation.
Cet accord réduit la durée d’indemnisation pour la grande majorité d’entre eux, faisant sortir du système 180 000 demandeurs d’emploi dès le 1er janvier 2004, selon une estimation de l’Unedic, qui chiffre à 600 000 le nombre de personnes concernées par la restriction de l’indemnisation d’ici à la fin de 2005. Les syndicats et les associations avancent le chiffre de 850 000.
L’application rétroactive de l’accord et la remise en cause des contrats signés dans le cadre du Pare (plan d’action pour le retour à l’emploi) renforce le sentiment d’injustice éprouvé par les salariés privés d’emploi. François Desanti (CGT-chômeurs) précise que « les dossiers en justice commencent à s’accumuler » contre le recalcul des droits. Ainsi une centaine de dossiers ont été déposés devant les tribunaux de grande instance d’Albi, Toulouse et Bordeaux. En attendant, les « recalculés » en fin de droits vont basculer soit vers l’ASS (l’allocation spécifique de solidarité), soit vers le RMI (le revenu minimum d’insertion), soit vers... RIEN !

Les minima sociaux

C’est l’Etat qui finance ces deux minima sociaux que sont l’ASS et le RMI. Il se substitue à l’Unedic de nouveau en déficit depuis la reprise de la hausse du chômage. Mais, comme le Président de la République veut à tout prix tenir son engagement de baisse des impôts de 30% en 5 ans et que le pacte de stabilité européen impose de limiter le déficit budgétaire, les minima sociaux eux aussi sont concernés en 2004 par la « contre-réforme ». Et pourtant leurs montants sont parmi les moins élevés d’Europe.

Voici quelques chiffres cité par AC ! qui permettent de mieux mesurer l’ampleur des dégâts : « pour les cadres dirigeants, 500 fois le Smic ; pour les ministres, 15 000 euros mensuels ; pour les riches près de deux milliards de cadeaux fiscaux ; pour les nantis une déduction de 2000 euros pour usage de personnel à domicile... Parallèlement, des centaines de milliers de chômeurs privés de tout revenu et des minima sociaux autour de 400 euros mensuels ». On peut noter encore que Jean-Marie Messier, l’ex-PDG d’une multinationale bien connue, a reçu en 2001 un salaire équivalent à un RMI toutes les 34 secondes.

Depuis le 1er janvier 2004, l’allocation de solidarité spécifique n’est plus versée sans limitation de durée mais pour deux ans seulement aux chômeurs en fin de droit ayant travaillé au minimum cinq ans au cours des dix dernières années. Ainsi en 2004, 130 000 chômeurs de longue durée sortiront vraisemblablement du dispositif ASS sur 420 000 bénéficiaires. Pour le ministre des Affaires sociales, François Fillon, cette décision "est inspirée moins par une exigence d’économie que par un changement de logique", car "au bout d’une longue période de chômage, les personnes concernées ont moins besoin d’une indemnisation que d’un accompagnement social effectif pour les remettre sur un parcours vers l’emploi". Pour Jacqueline Lazarre, de la CGT, qui appelle à revoir l’ensemble du financement de l’assurance-chômage, les chômeurs sont mis au contraire "dans des situations tellement difficiles que tout ce qui est insertion, intégration au travail devient de plus en plus compliqué".

Quand au RMI, il ne relève pas de l’assurance chômage mais de l’aide sociale. Il fait passer les anciens salariés du statut de demandeurs d’emploi indemnisés à celui, très stigmatisé, d’« assistés ». Il concerne près d’un million de personnes, il en fait vivre deux millions si l’on compte les ayants droit. Les jeunes de moins de 25 ans en sont exclus et les périodes indemnisées à ce titre compte pour 0 dans le calcul de la retraite.

Le RMA

Le RMI sera désormais géré exclusivement au niveau du département - ce qui pose une question : son montant variera-t-il en fonction de la richesse de ce département ?

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Il sera complété par le RMA ou revenu minimum d’activité. Car désormais le RMIste devra « mériter » son indemnité de perte d’emploi... en travaillant ! En effet, le Premier ministre l’a répété cent fois : « Il faut réhabiliter le travail ! » Et il ajoute : « Il nous faut d’abord faire aimer le travail, je crois que c’est très important quand on regarde aujourd’hui la situation de notre pays. Si vraiment la France croit que nous pourrons garder un système social parmi les plus avancé du monde en entrant dans la vie active à trente ans et en en sortant à cinquante, nous sommes dans une impasse. » Et Ernest Antoine Seillière du Medef, son inspirateur, peut répondre : « Rendre au travail sa place dans notre société après des années d’une propagande fallacieuse en faveur du loisir... vous avez, M. le ministre, sifflé ces derniers mois la fin de la récréation. » Après la remise en question des 35 heures, le retour aux « vraies valeurs » se poursuit !

Le texte créant le RMA a été adopté en mai 2003 par le Sénat et en novembre 2003 par l’Assemblée nationale. Il est lui aussi entré en vigueur le 1er janvier 2004. Que dit ce texte ? Le RMA ou plutôt le Cirma c’est à dire « Contrat insertion - revenu minimum d’activité » est « réservé aux allocataires du RMI, il est subordonné à la signature d’une convention entre le département et un employeur, privé ou public (hors Etat). Il ne peut excéder dix-huit mois. La durée de travail hebdomadaire minimale est de vingt heures. Il est rémunéré sur la base du smic au prorata du nombre d’heures travaillées. En plus de la prise en charge par le département des coûts à l’embauche et des frais de formation, l’employeur perçoit une aide égale à l’allocation du RMI. Il est exonéré de cotisations sociales sur cette part versée par le département. Ne reviendront à sa charge, pour un contrat de 20 heures hebdomadaires, que les 183 euros de différence (plus les charges) entre le montant du RMI et le RMA. Le titulaire d’un Cirma, lui, ne bénéficiera de prestations sociales (droits à la retraite ou au chômage) que sur ce différentiel. »

Voici les questions qui ont été posées par les députés au ministre au cours du débat qui eu lieu à l’Assemblée nationale avant le vote de la mesure :

- A partir de quelle durée d’inscription au RMI devient-on éligible au RMA ? au bout d’un an mais des dérogations sont possibles [un mois ?].
- Quelle sera la durée minimale d’un RMA (idée d’éviter le recours à des RMA pour des travaux temporaires de courte durée) ? Celle-ci sera fixée par décret.
- La rémunération du RMA sera-t-elle un salaire ? non
- Pourra-t-on instaurer un délai entre la signature de deux RMA afin d’éviter qu’ils ne se substituent à des emplois classiques ? non
- Pourra-t-on contingenter le nombre des RMA (par exemple, pas plus de 5 % de contrats RMA dans les entreprises de plus de vingt salariés) ? non
- Pourra-t-on interdire aux entreprises de travail temporaire le recours aux contrats RMA ? non
- Pourra-t-on étendre aux titulaires d’un RMA les droits communs aux salariés ? non

Donc, le coût d’un RMA pour l’employeur sera de 183 euros par mois et le RMAste ne cotisera que sur cette base. A ce régime, il faudra qu’il travaille 160 ans pour s’ouvrir des droits à la retraite. François Desanti précise que « le salaire brut d’un RMAste sera de 545 euros pour vingt heures de travail. L’équivalent de son RMI sera, en contrepartie, versé directement au patron. Lequel pourra garder son RMAste dix-huit mois. Après vous croyez qu’il va embaucher en CDI ? Et puis 40% des RMIstes sont des femmes seules élevant leurs enfants. On va les obliger à aller travailler vingt heures par semaines. Qu’est-ce qui est prévu pour les transports, la garde des enfants ? On les pousse vers l’exclusion et leurs enfants vers la rue. »

Dans le système RMA, le travail s’appelle "mesure d’accès à l’emploi" ou "action d’insertion", le patron se nomme "tuteur" et le salarié "bénéficiaire". L’employeur-tuteur atteste tous les 3 mois au référent que l’action d’insertion est suivie. S’il est établi que le non-respect de l’action d’insertion est imputable, sans motif légitime, au bénéficiaire, le versement du RMI peut être suspendu.

Le résultat de la mise en place de cette mesure c’est que le cycle de la précarisation s’accélère. On peut imaginer le scénario suivant : une employée qui percevait un SMIC et demi avant d’être licenciée, de Danone par exemple, pourrait, au terme d’un rapide parcours Assédic-ASS-RMI, être obligée d’accepter un RMA dans le même groupe Danone pour 183 euros...

Le RMA c’est comme une sorte de délocalisation sur place : le coût du travail est réduit dans des proportions qu’on avait encore jamais vu en France. La prochaine étape pourrait être la mise en œuvre du mode 4 de l’AGCS.[à préciser]

Dans ces conditions, la remise en question prochaine du Smic semble de plus en plus probable. Et un des piliers du droit du travail, l’articulation contrat de travail - salaire, chancèle dangereusement.

On ne sera pas étonné de savoir que des chômeuses du Loiret, de la région de Brest, des Cévennes, du Var..., interrogées lors d’une manifestation, témoignent toutes d’une tendance dont on peut observer le développement récent dans les PME et chez les artisans de leurs régions : ceux-ci cherchent à se débarrasser à tout prix de leurs salariés, usant de la faute grave ou du harcèlement moral pour les contraindre à partir.

Effectivement, si on peut se payer cinq RMA pour le prix d’un SMIC, il faudrait être FOU pour dépenser PLUS !

Et les rapports commandés par le ministère du travail et des affaires sociales publiés récemment semblent indiquer que l’on va aller plus loin encore dans la flexibilité, la précarité, l’insécurité sociale et économique.

C’est le cas avec la création récente du titre emploi entreprise dont la justification officielle est la simplification administrative de l’embauche des salariés dans les PME mais qui constitue de fait une étape de plus dans le processus de précarisation croissante du travail. Et c’est également le cas avec la mise en place programmée du contrat de mission, que nous allons examiner dans un instant.

Car le 31 décembre dernier, adressant ses vœux aux Français, le Président de la République a promis de faire de 2004 l’année de l’emploi. Jacques Chirac veut une « grande loi de mobilisation pour l’emploi ».
Il faut craindre le pire pour les salariés dans la mesure où il préconise des moyens dont nous avons déjà eu maintes fois l’occasion de mesurer la « modernité » : de nouveaux allègements de ces « charges excessives » qui « entravent » le dynamisme des entreprises c’est-à-dire la poursuite de la baisse du coût du travail - dont le volume a perdu 10 points au cours des 15 dernières années - et l’augmentation de la rémunération du capital.

Mais avant les mesures, tout commence toujours par des rapports...

Le rapport de Virville et le contrat de mission

Ce rapport a été publié le 15 janvier dernier. Il préconise la création d’un contrat de mission taillé sur le modèle du contrat de chantier en vigueur dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Une entreprise pourra embaucher un salarié pour la durée de l’exécution d’une commande ou la mise en œuvre d’un projet. Le terme de ce contrat, non fixé à l’avance, "devrait être lié à l’obtention d’un résultat objectif ou d’un événement spécifié". La durée du CDD actuel ne peut excéder 18 mois, celle du contrat de mission pourrait se prolonger pendant 3 à 5 ans à la discrétion de l’employeur. Selon le rapport, ce contrat serait réservé à des salariés qualifiés, cadres ou experts. Mais le Medef a déjà exprimé son désaccord : il réclame que ce soit l’employeur qui décide.

L’opposition, les syndicats et les associations de chômeurs redoutent, eux, la fin programmée du contrat à durée indéterminée (CDI), ancienne norme du travail salarié déjà bien souvent remise en cause. Ils y voient aussi « un pas décisif dans le sens du salarié jetable » .

Ne doit-on pas craindre en effet le retour prochain du salaire à la tâche, à la pièce et de l’embauche à la journée, après qu’un siècle de luttes eut été nécessaire pour conquérir des garanties comme la mensualisation et le CDI ? Mais on nous répète que c’est ça la modernité et que c’est inéluctable. Pour Claire Villiers « le marché de dupe est total puisque cohabitent baisse des salaires, des garanties collectives et de la protection sociale ET chômage de masse et précarité ! »

Le rapport Marimbert et le démantèlement du service public de l’emploi

Selon une déclaration du syndicat SNU-TEFI-ANPE (FSU), « face aux grandes questions que pose la dramatique situation de l’emploi - augmentation du chômage et de l’exclusion - [...qui] exige notamment une transformation profonde du service public de l’emploi afin qu’il soit rénové et renforcé avec une extension audacieuse de ses missions », le rapport Marimbert « propose un « dépeçage » camouflé du SPE particulièrement dangereux ». Il ne se préoccupe pas du démantèlement de l’AFPA (Association pour la formation professionnelle des adultes) consécutif à la loi de décentralisation, or l’AFPA est actuellement l’outil central de formation professionnelle au service des salariés et des chômeurs. Ce rapport ne se préoccupe pas non plus de la réduction des budgets destinés aux Missions locales chargées de l’insertion professionnelle des jeunes.

Par contre, « il approuve la mise en concurrence totale de l’Agence nationale pour l’Emploi sur le terrain du placement. L’Intérim ne suffisant pas, il va jusqu’à préconiser l’intervention de bureaux de placement privés payants ! »

Par ailleurs, la commission Marimbert réaffirme la nécessité « d’une répression accrue des chômeurs ». Alors que pas moins de trois services contrôlent actuellement les chômeurs - ANPE, ASSEDIC et Ministère du travail - ceux-ci sont jugés trop laxistes. C’est pourquoi le rapport préconise la mise en place d’un « contrôleur à temps plein pour 10 000 chômeurs indemnisés. Ce chiffre est à mettre en rapport avec celui, « squelettique », des 1300 contrôleurs et inspecteurs du travail chargés du contrôle des 1 500 000 entreprises qui emploient plus de 16 millions de salariés ! »

[Après la présentation du rapport Marimbert lors d’une réunion du collectif AC !35 récemment, une militante a demandé : "Les contrôleurs seront-ils armés jusqu’aux dents ? avec des flashballs ?" et un autre a conclu que "le syndrôme "supersarko" avait encore frappé !". En effet, le chômeur, aujourd’hui traité de fainéant sera-t-il bientôt qualifié de délinquant ?]

Quelques éléments pour une analyse critique

Un constat et une question :
- cette dégradation accélérée des conditions de travail et plus largement des conditions d’existence d’un nombre croissant de personnes privées ou non d’un emploi s’installe sans déclencher de mouvement de résistance massive.
- Il faut essayer de comprendre pourquoi - tout du moins tenter de dégager quelques pistes explicatives.

Accompagnement idéologique

On peut remarquer que toutes ces mesures sont accompagnées d’un « volet communication » visant principalement à faire passer le chômeur du statut de victime à celui de responsable de sa situation.

Un des moyens utilisé consiste à le culpabiliser et à l’infantiliser. Voici, à cet égard, quelques termes utilisés par les sénateurs lors des débats qui ont eu lieu à propos du RMA : quand il n’est pas un fainéant auquel il faut « réinculquer la valeur Travail », le chômeur est une personne « fragile », qui, en perdant son « employabilité » a perdu « ses repères », et l’ « estime de soi » , et qui a besoin de l’ « accompagnement » d’un « référent » ou d’un « tuteur » dans son « cheminement parfois chaotique vers le retour à l’emploi. »

Un autre moyen consiste à stigmatiser les chômeurs, semer la division parmi les salariés, faire oublier la notion de droit AU travail. Le résultat, très inquiétant, c’est le sondage réalisé en novembre dernier qui révèle que 67 % des Français approuvent l’idée que le RMIste doit fournir un travail en contrepartie de son indemnité. Cette indifférence face à « la mise à la misère » d’un nombre croissant d’entre nous paraît d’autant plus irréaliste que, comme nous le rappelle Claire Villiers, « on aurait tort de croire que la frontière est étanche entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui ont une indemnité et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui ont encore un logement et ceux qui n’en ont pas ».

Mais ce travail idéologique ne date pas d’aujourd’hui : depuis la fin de la période du plein emploi (1975), il y a eu régulièrement des attaques pour désolidariser les salariés en poste de ceux qui sont privés d’emploi. Par exemple, dans les années 80, des millions d’anciens salariés licenciés, furent fustigés pour leur passivité, pour leur manque d’esprit d’entreprise. Patrons et hommes politiques appelèrent à la chasse aux faux-chômeurs et, en 1979, le ministère du travail créa les Services du Contrôle de la Recherche d’Emploi.

Ce travail de « formatage des esprits » permet de faire accepter à tous les salariés une précarisation toujours accrue. Résultat, aujourd’hui, pour des centaines de milliers de salariés en France, la norme de travail n’est plus le CDI, le temps plein et le Smic, mais le CDD, le temps partiel et le demi-smic. C’était un des buts poursuivis par le patronat. C’est devenu celui des gouvernements successifs depuis bientôt trente ans, et, pire encore, celui de certains syndicats de salariés.

Sous prétexte d’incitation au retour à l’emploi s’impose petit à petit une logique d’insécurité sociale par remise en cause de tous les droits collectifs et la « casse » du droit du travail.

Ce travail de fond a accompagné depuis trente ans le déploiement des principes du néolibéralisme dans la politique économique. Et c’est la logique de la mondialisation néolibérale - celle qui prône la concurrence exacerbée et la guerre économique à l’échelle planétaire - qui s’impose comme un phénomène inévitable, permettant de légitimer l’affirmation suivante indéfiniment répétée : pour réduire le chômage il faut absolument réduire le coût du travail. Les recherches menées depuis une quinzaine d’années par les économistes dits hétérodoxes - ceux qui ont dénoncé la « pensée unique » en économie - montrent qu’en réalité tous ces phénomènes sois-disant inéluctables sont le produit de choix de politique économique dont le but est, depuis le début, de répartir autrement les richesses produites dans les entreprises. Il s’agit en effet de réduire la rémunération du travail - composé du salaire direct et du salaire indirect ou socialisé (les cotisations sociales) - au profit de la rémunération du capital - c’est-à-dire les dividendes versés aux actionnaires.

[Courbe]

Concernant le travail idéologique qui a accompagné cette évolution, je trouve très éclairante l’analyse de Claire Villiers, analyse qu’elle développe dans un texte publié en novembre dernier et intitulé Démolitions sociales et dans laquelle elle utilise la notion d’injonction paradoxale (concept de psychologie sociale).

« Pour atteindre ces objectifs nous sommes confrontés à une transformation profonde de la gestion des salariés dans les entreprises, les mêmes caractéristiques s’exerçant sur les chômeurs. Il s’agit d’insécuriser, d’individualiser, de culpabiliser, de soumettre.
C’est ce à quoi s’attache la " gouvernance ". L’offensive idéologique est elle aussi considérable à coup d’injonctions contradictoires ou paradoxales qui rendent fou le plus équilibré d’entre nous : sommés d’être responsables mais soumis aux objectifs imposés, d’être les acteurs de notre propre destin dans le cadre de contraintes " indépassables ". Les chômeurs comme les agents de l’ANPE connaissent bien ces situations dont la " contractualisation " entre un agent et l’usager est un moment clé : " vous faites un projet de vie - je l’accepte si je pense qu’il est adapté aux besoins du marché - je vous donne tous les moyens du service public... si après ça vous ne trouvez pas d’emploi, c’est de votre faute !"
La conclusion que beaucoup en tirent c’est qu’il vaut mieux n’être responsable de rien du tout et remettre son sort entre les mains de n’importe quel démagogue, ou pire...
Les travaux conduisant à la certification, aux normes qualité sont de la même veine : tout le monde sait que ce qui est écrit et signé est inapplicable, c’est le règne du mensonge au nom de la qualité, du service au client, et s’il y a un problème... c’est le salarié qui est jugé individuellement responsable ».

Claire Villiers conclut - et j’espère qu’elle a raison : « il n’est pas sûr que le monde ainsi dessiné apparaisse légitime à la majorité de la population encore bien longtemps. Les contradictions qui marquent le discours avancé par les libéraux surgissent en effet de plus en plus. »

Enfin il faut ajouter que si ce travail idéologique a pu aussi bien fonctionner c’est sans doute parce qu’il s’est fait sur du « vide ». Je m’explique : il semble qu’une très large majorité des citoyens français ne connaissent pas et ne comprennent pas les caractéristiques et surtout les principes qui régissent le système de la protection sociale en vigueur dans ce pays, du "filet de sécurité" qui a été mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Et nous sommes par exemple, pour la plupart d’entre nous, incapables d’expliquer ce qui le différencie d’autres systèmes choisis dans d’autres pays. En conséquence, nous ne mesurons pas toujours les avantages de notre système - même si personne ne nie que des améliorationsdoivent y êtreapportées - nilesluttes qui ont été nécessaires pour parvenir à le mettre en place.

Et comme "on ne défend bien que ce qu’on connaît bien", il semble que l’urgence aujourd’hui c’est de nous retourner sur notre histoire récente pour connaître celle de la protection sociale en général et de l’assurance chômage en particulier.

[profiter de la commémoration du 60ème anniversaire du programme social du Conseil national de la Résistance le 15 mars 2004 pour diffuser l’information nécessaire au citoyen pour qu’il se réapproprie la question de la "sécurité économique et sociale".]

L’assurance chômage : une histoire méconnue

- Dans l’esprit des fondateurs de 1945, l’assurance chômage aurait dû être une des branches de la Sécurité Sociale, au même titre que la maladie, la vieillesse et les allocations familiales. Il s’agissait de créer un vrai filet de sécurité face aux aléas de la vie, un système qui assure des droits, rompant avec toutes les pratiques d’assistance ou de charité, un système financé par les cotisations, géré par les représentants élus des salariés.

Mais en 1945 la France était surtout préoccupée par les pénuries de main d’œuvre : l’heure était à la "reconstruction" et la branche chômage ne fut pas mise en place. Les rares chômeurs ont continué de recevoir les aides publiques existantes.

- Ce n’est qu’en 1958 que le système d’assurance chômage été mis en place : l’entrée dans le marché commun, les restructurations technologiques et structurelles des entreprises ont fait craindre des phases récessives importantes. De Gaule exhorta patronat et syndicats à négocier. Le patronat et FO sautèrent sur l’occasion. Le premier y voyait une possibilité de rompre avec une gestion aux mains des syndicats de salariés, l’autre de contrebalancer la présence de la CGT dans la gestion de la Sécurité Sociale. Il en sortira l’UNEDIC (Union Nationale pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce) et les ASSEDIC (Association pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce). L’accord fondateur a été signé par le CNPF, la CFTC, FO et la CGC. Il introduisait le patronat dans la gestion à travers le paritarisme et faisait payer aux salariés une partie du risque chômage à travers les cotisations, rejetant l’idée que le chômage est de la stricte responsabilité du patronat. C’est pour cela que la CGT a refusé de signer cet accord.

C’est l’Unedic qui décide des règles d’indemnisation du chômage. Ces règles sont révisées à l’occasion de chaque renégociation de la convention. Elles sont soumises à l’agrément du gouvernement. Une fois agréées, elles deviennent obligatoires et entrent dans le code du travail. Au besoin, le gouvernement fait voter des lois pour rendre le code du travail conforme à la convention.

A l’époque du plein emploi, l’Unedic assurait un revenu de remplacement sensiblement égal au salaire et favorisait la mobilité en indemnisant l’allocataire 110% de son ancien salaire pendant un an de formation librement choisie.

- En 1967, l’Etat compléte le dispositif en créant l’Agence nationale pour l’emploi, établissement public.

Puis, à partir de 1974 et le 1er choc pétrolier, le contexte économique se dégrade et le chômage de masse s’installe. C’est ce que Gérard Régnier (AC !, Attac) appelle l’ouverture de la chasse aux « faux-chômeurs ».

Nous avons vu qu’en 1979, le ministère du travail a mis en place les Services du Contrôle de la Recherche d’Emploi. Ce qui veut dire qu’à effectif égal, l’inspection du travail contrôle moins les entreprises pour mieux contrôler les chômeurs. La loi renverse la charge de la preuve : au contraire des principes du droit au travail, les chômeurs accusés "d’insuffisance d’actes positifs de recherche d’emploi", doivent désormais fournir les preuves de leur innocence.

- En 1984, l’Unedic invente les filières d’indemnisation, ce qui veut dire que les droits deviennent proportionnels à la durée de cotisation de l’ex-salarié. Cette réforme marque la fin de la mutualisation et de la solidarité dans le régime. Une nouvelle catégorie de chômeurs apparait : les "fin de droit" qui sont à la fois sans droit au travail, sans droit à l’indemnité chômage. L’Etat intervient alors et crée l’allocation de solidarité spécifique pour en « récupérer » une partie seulement puisque ses conditions d’obtention excluent des centaines de milliers de chômeurs qui se retrouvent sans aucun revenu.

- En 1988, le gouvernement crée le RMI ou revenu minimum d’insertion, (payé par l’État et versé par la CAF).

- En 1991, Michel Charasse lance une nouvelle campagne contre les "faux chômeurs". Le Parlement vote une nouvelle loi sur le contrôle des chômeurs et la précarité entre dans le code du travail. Les textes d’application obligent les chômeurs à accepter les postes à temps partiel et à répondre à toutes convocations y compris téléphoniques, à fournir des preuves. Le chômeur devient suspect.

- En 1992, l’Unedic présidée par la CFDT met en place la dégressivité des allocations (baisse de 17% tous les 4 mois), impose des délais de carence, allonge les durées de cotisations requises pour ouvrir des droits... Les jeunes sont particulièrement touchés puisque, dans un contexte où les contrats précaires se multiplient, l’ouverture de droits passe de 3 mois de travail exigés dans les douze derniers mois à quatre mois dans les huit derniers.
En même temps, des avantages financiers accordés par l’Etat encouragent le patronat à recourir aux temps partiels (en 1993 ; en 1996 avec la loi Robien ; en 1998-2000 avec les lois Aubry).

- En juillet 1997, l’Unedic s’en prend à l’AFR (allocation formation reclassement) et supprime les fonds sociaux d’urgence dans les antennes ASSEDIC.
Le principe qui avait présidé à la création du régime en 1958 selon lequel le chômeur devait avoir les moyens de se consacrer à sa recherche d’emploi ou à sa formation est définitivement enterré. Désormais les chômeurs doivent justifier leur état de "pauvres" pour quémander l’assistance dans les divers bureaux d’aide sociale.

- En juillet 2001, est approuvée la convention Unedic qui met en place le Pare (plan d’action pour le retour à l’emploi). Cet accord consacre la main mise du patronat sur le service public de l’emploi. Désormais l’ANPE, en partie financée par l’Assedic, est contrôlée par celle-ci et soumise à des objectifs de rendement y compris pour les radiations (primes). De plus, le Pare substitue le contrat individuel au droit collectif. Il achève de liquider les droits à une formation librement choisie : l’AFR est supprimée, les formations sont réduites à une durée maximale de 6 mois, n’ont plus pour but l’acquisition d’une qualification (diplôme) mais sont destinées à favoriser un " rapide retour à l’emploi " dans les secteurs où le patronat manque de main d’oeuvre. Ce type de formation était auparavant financées par l’entreprise dans le cadre du droit à la formation continue du salarié. Le Pare détourne les cotisations prélevées sur les salaires, destinées aux chômeurs, et verse les indemnités qui leur sont dues... aux employeurs. En effet, pendant 3 ans maximum, l’Assedic verse aux employeurs qui embauchent un chômeur une aide dégressive équivalente au montant de l’allocation antérieurement perçue. On peut dire enfin que le Pare est un outil de « formatage » de la main d’oeuvre destinée à la préparer à accepter la précarité généralisée et la baisse du coût du travail.

Cet historique de l’assurance chômage montre la progressive prise de contrôle du patronat sur l’Unedic, avec "l’aimable collaboration" de FO dans un premier temps puis de la CFDT. Ce retour en arrière permet de mettre en évidence la logique d’une évolution qui aboutit assez logiquement à la dérive actuelle.

Pour conclure... provisoirement

Aujourd’hui le RMA remet en question le droit au travail, le droit du travail et la protection sociale. Il introduit une inégalité entre les salariés. Thierry Brun écrivait récemment dans Politis : désormais " traité comme une marchandise, l’emploi n’est plus synonyme de contrat social, générateur de revenu, de place et de droits sociaux ". Et en effet, le RMAste apparaît comme le prototype d’un citoyen de seconde zone qui semble être la seule perspective proposée à beaucoup d’entre nous pour un proche avenir.

Blagues

[Repiquées chez Attac Isère]

- Le gouvernement est heureux de vous souhaiter une très bonne année 2004 !
Il tient aussi à remercier tout particulièrement 99,99 % des journalistes, 99,99 % des intellectuels (sic), les instituts de sondage, le MEDEF, les syndicats (re-sic) CFDT, CGC, CFTC,... pour la qualité de leur service après-vente et leur soutien aux réformes (re-re-sic) gouvernementales (retraites, intermittents, décentralisation, RMA, suppression de l’ASS...).

- LE « RMA » PARCE QUE VOUS LE VALEZ BIEN !
Chômeurs vous faites quoi ? fainéants ! vous recherchez un emploi de merde, une expérience humiliante, une voie sans issue, postulez donc au RMA pour vous faire exploiter.
Cela se passe comme ça chez démocratie libérale... en France.

Sources

[à compléter]

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